Premier Président de la République de Guinée, Sékou Touré est un personnage qui a marqué l'histoire de l'Afrique contemporaine. Nous vous proposons de lire son histoire dans ce 15ème numéro de Grands d'Afrique.


Par Bathie Samba Diagne, étudiant au département d'histoire à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar


Sommaire
Enfance et parcours
1.        Parenté avec Samory Touré
2.        Scolarite
Entrée en politique et ascension
1.        Le Parti démocratique de Guinée (P.D.G.)
2.        Sékou député !
La marche vers l’indépendance
1.      La loi cadre Deferre
2.      Non !
Sékou Touré, le président
1.      Orientations
2.      Les premières crises
Tentatives de déstabilisation
1.      Les réseaux Foccart
2.      Opération Mar Verde
Un régime autoritaire
1.      Le Camp Boiro
2.      Qui est Diallo Telli ?
Le complot peul
1.      La brouille entre Sekou Touré et Diallo Telli
2.      La genèse d’un « complot »
3.      La mort de Diallo Telli
Sékou, le Panafricain
1.      Engagement en Afrique
2.      L’aide aux mouvements de libération
Relations entre la France et la Guinée
La chute du Syli

Enfance et parcours

1.      Parenté avec Samory Touré
Sékou Touré est né officiellement à Faranah en pays mandingue en 1922.  Son père, Alfa Touré est un commerçant dioula d'ethnie Sarakolé originaire de la partie occidentale de l'ancien Soudan français (actuel Mali). Sékou Touré serait apparenté par sa mère à Samory Touré. Cependant, cette idée fait l’objet de débats. André Lewin, ancien ambassadeur de la France en Guinée, proche du président Sékou Touré a écrit une biographie sur lui ( voir bibliographie). Il affirme que « Certains de ses contempteurs affirment toutefois que cette filiation est fictive ; la grand-mère de Sékou ne serait pas une fille de l'almamy, mais celle de l'un de ses guerriers sofas mort au combat ; Samory l'aurait alors recueillie et élevée. D'autres au contraire précisent que la mère de Sékou, Aminata Fadiga, est bien la fille de Bagbé Ramatoulaye Touré, elle-même fille de Bagbé Mara que l'almamy épousa vers 1871 ; celui-ci donna ensuite la toute jeune Bagbé Ramatoulaye comme épouse au marabout Issa Fadiga, un Diakhanké (donc originaire de Diakha, au Soudan-Mali), région réputée pour ses marabouts. »
2.      Scolarite
Sékou reste auprès de sa mère jusqu'à l'âge de sept ans, comme le font les petits garçons malinkés, puis il entre à l'école coranique. A huit ans, il est placé à l'école rurale primaire de Faranah. Cependant, la scolarité du jeune Sékou Touré est assez mouvementée : « Son dossier scolaire comporte l'appréciation suivante, rédigée avant les épreuves du certificat d'études : “Élève intelligent, assidu, ponctuel, mais un danger pour l'autorité. En cas d'admission, l'orienter plutôt sur l'Ecole Georges-Poiret” (cet établissement était seulement un collège technique ne donnant pas accès à des études plus poussées). » Il entre  finalement au lycée technique Georges Poiret de Conakry  sans y durer. En effet « Sékou Touré finira par être renvoyé pour insubordination, après avoir tenté de fomenter en janvier 1938 une grève de la faim chez les écoliers pour protester contre les corvées diverses auxquelles ils étaient astreints. Un arrêté du gouverneur l'exclut définitivement de tous les établissements d'enseignement de la colonie. Il exerce alors en ville divers petits métiers manuels, comme apprenti-maçon ou aide-ajusteur. »
L’objectif a été atteint pour l’administration : Sékou Touré ne fera pas un long cursus sur les bancs. Après avoir travaillé comme ouvrier spécialisé, il devient employé des postes à Conakry. Jeune, il s’engage dans le syndicalisme. Son engagement au sein de ce mouvement lui permettra de se faire remarquer. Il devient membre actif du syndicat des travailleurs des postes et de la communication, devenant son secrétaire général et l'intégrant au sein de la puissante Confédération générale du travail, la fédération française du travail dirigée par les communistes. C’est naturellement que Sékou Touré va finir par s’engager dans la politique.
Entrée en politique et ascension
1.      Le Parti démocratique de Guinée (P.D.G.)
Le nationalisme guinéen prit de l’ampleur après la seconde guerre mondiale comme dans beaucoup de pays africains. Elu en 1945, Yacine Diallo fut le premier député de Guinée à l’assemblée française. Les formations politiques commencent à se multiplier pendant cette période d’après guerre. On assiste à la naissance du Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A.). Le R.D.A. est une fédération de partis politiques africains fondée à l’issue du Congrès de Bamako en 1946. Alors que des sections locales du RDA se sont créées rapidement dans les autres territoires de l'AOF, la Guinée prend du retard. Les élections cantonales du 15 décembre 1946 et les sénatoriales de janvier 1947 accaparent l'énergie des groupements politiques. Le 13 mars 1947, Sékou Touré dénonce au cours d'un meeting populaire « l'attitude opportuniste et irresponsable» des dirigeants des mouvements ethniques et propose la réactivation du comité d'union démocratique de six membres chargé de préparer sans délai le Congrès constitutif de la section guinéenne du RDA, dont il avait proposé la création le 2 novembre 1946 ; quelques Français aux idées progressistes y siègent aux côtés d'Africains: en font partie avec Sékou Touré, Madeira Keita, Guy Tirolien, Jean Ariola, André Eyquem, l'instituteur Ernest Fabre. Deux mois plus tard, le 14 mai 1947, Sékou Touré, quelques uns de ses amis et camarades, ainsi que les représentants de plusieurs mouvements ethniques fondent la section guinéenne du RDA, qui prendra ultérieurement le nom de Parti Démocratique de Guinée (PDG). C'est alors un simple front de coordination, sans cohésion ni doctrine réelles. Le 3 Juillet 1952, Sékou Touré en devient le secrétaire général. C’est le début d’une nouvelle ère.
2.      Sékou député !
Une occasion inespérée permet au PDG de faire enfin son entrée dans la vie politique nationale. Début novembre 1955, le président du Conseil Edgar Faure dissout inopinément l'Assemblée nationale française ; des élections générales ont lieu le 2 janvier 1956. Au soir du scrutin, Sékou Touré et Saïfoulaye Diallo sont proclamés élus. L’élection de Sékou Touré comme « Député du Territoire de la Guinée Française » (c'est l'appellation officielle) est validée le 3 février 1956. En 1956 et 1957, Sékou intervient onze fois devant l'Assemblée et dépose quatorze amendements, tous relatifs aux problèmes politiques, administratifs, économiques ou sociaux de l'Outre-mer. 
La marche vers l’indépendance
1.      La loi cadre Deferre
Ce texte législatif (n° 56-619) adopté par le Parlement le 23 juin 1956 constitue une étape importante dans le processus d'émancipation des territoires coloniaux en Afrique française. Élaborée par Gaston Deferre, ministre de la France d'Outre-mer du gouvernement Guy Mollet avec l'appui de Félix Houphouët-Boigny, elle transforme en profondeur la façon de gouverner les colonies françaises d'Afrique. Avec cette loi-cadre, sont établis de nouveaux statuts pour les territoires de la France d'outre-mer. Le nouveau texte met en place une décentralisation des pouvoirs de la métropole vers les territoires, ainsi que des mesures de déconcentration administrative accompagnant l'extension des compétences des assemblées territoriales. Cependant, cette loi cadre ne fait pas l’unanimité. En filigrane, on peut voir le fait de vouloir diviser les ensembles avant de leur octroyer l’indépendance afin de pouvoir mieux les contrôler après. Au sortir de cette loi cadre, Sékou Touré est vice – président du conseil de gouvernement semi-autonome de Guinée, Jean Ramadié est le président du Conseil de gouvernement.
Sékou Touré en 1958 - getty images

2.      Non !
De Gaulle, pour parer à une nouvelle crise élabore un plan pour donner plus d’autonomie aux colonies tout en les conservant dans son giron. Il propose « la communauté ». Lors d’un référendum, les pays africains souhaitant avoir une autonomie interne et la communauté avec la France diront oui, ceux qui veulent avoir une indépendance totale et immédiate diront NON. Revenu aux affaires à la fin du mois de mai 1958, comme président du Conseil, Charles de Gaulle entame le 20 août un périple africain de 20. 000 km qui l’amène en une dizaine de jours de Fort-Lamy (devenu N’Djamena) à Alger, en passant par Tananarive, Brazzaville, Abidjan, Conakry et Dakar. Le général de Gaulle prévient que chaque territoire pourra prendre son indépendance en votant non au référendum du 28 septembre 1958 sur la Constitution : « L’indépendance, quiconque la voudra, pourra la prendre aussitôt. La métropole ne s’y opposera pas ». Il faut noter que le Général De Gaulle avait l’assurance que les leaders aller « oui ». Au Sénégal, Senghor lui avait déjà promis cela. Ainsi tout ce passe normalement jusqu’en Guinée. Il faut noter que le Général De Gaulle n’a pas tout expliqué aux africains pendant sa tournée. André Lewin note : « Juste avant le départ, ses conseillers Raymond Janot et Paul Coste-Floret lui ont fait accepter deux amendements importants qui ne seront pas rendus publics tout de suite, le général se réservant de les mentionner éventuellement pendant sa tournée. Le premier prévoit la possibilité d'une indépendance à terme, c'est-à-dire qu'il admet le principe d'un “droit à l'indépendance” sans rupture immédiate avec la France ou sans sortie obligatoire de la Communauté. Le second envisage l'entrée dans la Communauté des territoires “groupés ou non”, ce qui préserve à la fois la possibilité de maintenir en vie des fédérations ou de privilégier l'adhésion individuelle des territoires eux-mêmes »[1]. Deux aspects très importants que le Général de Gaulle a refusés de dire. Si Sékou Touré avait connu ces amendements aurait-il voté NON ? Une question qui n’aura jamais de réponse.
Un sénégalais lisant un journal de l'époque - getty images

·         Le film
Il est 16 h quand l’avion du Général de Gaulle pose ses roues sur le tarmac de l’aéroport de Conakry. Il est accueilli par Ahmed Sékou Touré, le président du Conseil de la Guinée, vêtu d’une tenue traditionnelle entièrement de couleur blanche : boubou à manches courtes, toque, babouches, mais il n'agite pas le mouchoir blanc qui deviendra plus tard l'un de ses signes distinctifs ; une grosse montre orne son poignet gauche. Elle aussi toute de blanc vêtue, une immense foule mobilisée par le PDG, alignée sur quinze kilomètres le long de l'avenue du Niger qui va jusqu'au centre de la ville, acclame de Gaulle au même titre que “Sily” Sékou Touré, assis à ses côtés dans la Chambord noire, en psalmodiant “Sily so tay” (l'éléphant est entré dans la ville). De Gaulle, en uniforme, plutôt souriant, rend leurs saluts aux militants déchaînés avec de grands gestes des deux bras levés ; il pense sans nul doute que l'éléphant ainsi célébré, c'est lui. Sékou Touré en revanche savoure la chaleur d'un accueil qui vise à démontrer au général que la Guinée est tout entière derrière lui. Il faut noter que le discours qu’a lu Sékou Touré avait déjà été entre les mains de l’administration française avant l’arrivée du Général de Gaulle. Il faut dire que les gouverneurs français n’y ont pas beaucoup prêté attention : « Messmer et ses collègues trouvent que ce texte n'est pas très bon mais qu'il ne contient rien de désastreux, rien d'inacceptable ; ils ne savent pas encore que le désastreux et l'inacceptable seront perçus par le général de Gaulle plutôt dans la mise en scène et dans le ton. » notait André Lewin.
Alors qu'il devait s'agir d'une réunion restreinte aux seuls Conseillers territoriaux et à quelques invités sélectionnés pour entendre un discours de style parlementaire, on a très vite l'impression que l'on assiste en réalité à un meeting public où tout a été minutieusement organisé pour obtenir un effet de choc, voire de provocation. Le général, assis à la tribune à côté de l'orateur, dissimule mal son impatience ; il enlève à plusieurs reprises ses lunettes, tapote son képi posé devant lui. Après la première intervention de Saifoulaye Diallo, président de l’assemblée territoriale, venait le tour de Sékou Touré :
Archive sonore - discours de Sékou Touré face à De Gaulle en 1958

Le Général De Gaulle, dépassé, improvise un discours. Il débute sur un ton assez cordial avant de mettre en garde la future République en ces termes : « On a parlé d'indépendance ; je le dis ici plus haut encore qu'ailleurs, l'indépendance est à la disposition de la Guinée; elle peut la prendre le 28 septembre en disant ‘non’ à la proposition qui lui est faite et, dans ce cas, je garantis que la métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d'obstacles, elle n'en fera pas et votre territoire pourra comme il le voudra et dans les conditions qu'il voudra, suivre la route qu'il voudra. » . La rupture consommée, le Général De Gaulle quitte Conakry direction Dakar. Le 28 Septembre 1958, la Guinée vota « NON » à plus de 90%. Le 2 Octobre, elle proclama son indépendance.

Sékou Touré, le président
1.      Orientations
L’indépendance obtenue, la rupture avec le Général De Gaulle consommée, il fallait à Sékou Touré et à la Guinée de trouver des ressources. Une première aide va venir d’un pays africain : le Ghana, indépendant une année plus tôt. En effet, le président Kwame Nkrumah du Ghana apporte un appui financier à la jeune République guinéenne.  Dans un contexte de guerre froide, les pays de l’Est apportent leur aide. Il faut aussi noter qu’après la rupture avec la France, la Guinée avait besoin du soutien de grandes puissances. « Les pays communistes se sont d'emblée manifesté auprès de Conakry, alors que les pays occidentaux, freinés par la France, tardent à le faire, à quelques exceptions près, dont les Etats-Unis » affirme André Lewin. Ainsi, dès 1962, Sekou Touré rendra visite au président Kennedy. Les relations entre les deux pays vont se détériorer par la suite.

Visite de Sékou Touré à John Kennedy - Archive de l'I.N.A

 Entre l’Est et l’Ouest, Sékou Touré affiche sa position : en quatre ans, de la fin de 1958 au début de 1963, la Guinée aura signé 104 accords avec les pays de l'Est, et 33 seulement avec les pays occidentaux. Sékou Touré multiplie ses voyages vers les pays de l’Est signe de nombreux accords de partenariat. Ce rapprochement vers l’Est n’est pas du gout du bloc occidental. Sur le plan intérieur, c’est le Parti Unique. L’expression plurielle cède la place à l’idéologie du parti. Le régime se durcit et les crises commencent à se manifester des le début des années 60.
Reportage en Guinée cinq années après l'indépendance - Archive INA

2.      Les premières crises
La sortie de la Guinée de la zone Franc entraine immédiatement des conséquences. S’y ajoute les tentatives de « fragilisation » du nouveau régime par Paris. Ces mutations entrainent des crises et pénuries. Les contestations commencent à monter. C'est ainsi que cheminots comme enseignants organisent un meeting à la Bourse du travail et dénoncent la politique du gouvernement. En tête de la conférence, Keita Koumandian, grande figure du syndicalisme. Cette manifestation est sévèrement réprimée. 5 membres du syndicat des enseignants sont arrêtés. L’historien Djibril Tamsir Niane est l’un d’entre eux. Cet épisode va  faire prendre conscience aux intellectuels l’autoritarisme du régime. Ils seront des centaines à fuir la Guinée et à devenir des opposants de Sékou Touré. Dans ce sillage, nous avons la figure de Camara Laye qui s'éxile au Sénégal. 
Tentatives de déstabilisation
1.      Les réseaux Foccart
« Nous avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre dignité. Or, il n'y a pas de dignité sans liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité d'Homme et en fait arbitrairement un être inférieur. Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l'esclavage. » Ces mots prononcés le 25 Aout 1958 par Sékou Toure à Conakry mettent le général De Gaulle hors de lui. Il quitte la salle en oubliant même son Képi. Ce comportement de Sékou Touré ne peut rester impuni. Des stratégies voient le jour. Maurice Robert, ancien agent des services secrets français et ancien ambassadeur au Gabon soutient : « Nous devions déstabiliser Sékou Touré, le rendre vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l’opposition. Avec l’aide d’exilés guinéens réfugiés au Sénégal, nous avons aussi organisé des maquis d’opposition dans le Fouta-Djalon. L’encadrement était assuré par des experts français en opérations clandestines. Nous avons armé et entraîné ces opposants guinéens, dont beaucoup étaient des Peuls, pour qu’ils développent un climat d’insécurité en Guinée et, si possible, qu’ils renversent Sékou Touré. (…) Parmi ces actions de déstabilisation, je peux citer l’opération « Persil », par exemple, qui a consisté à introduire dans le pays une grande quantité de faux billets de banque guinéens dans le but de déséquilibrer l’économie. »[2]
2.      Opération Mar Verde
Dimanche 22 novembre 1970, 2 heures du matin, au large de Conakry. Six bateaux de couleur grise, sans immatriculation, mouillent près des côtes de la capitale guinéenne par une nuit de pleine lune. Un temps idéal. À leur bord, les chefs politiques d’un gouvernement provisoire et quelque 400 hommes, puissamment armés, attendent les ordres… Le commandant du Centre des opérations spéciales du Portugal, Alpoim Calvao (son vrai nom est Carvalho), va alors lancer l’opération « Mar Verde ». En moins d’une heure, les soldats, habillés de treillis semblables à ceux de l’armée guinéenne, débarquent en plusieurs groupes. Ils coupent le courant à la principale centrale électrique de la ville et occupent plusieurs endroits stratégiques. Objectifs : la libération de prisonniers de guerre portugais, la capture du leader charismatique du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC), Amilcar Cabral, et, théoriquement, le renversement du régime de Sékou Touré. A cette époque, le PAIGC mène une guerre de libération contre le colon portugais et prône la réunion des îles du Cap-Vert avec la Guinée-Bissau en une seule nation. De sa base arrière de Conakry, où il détient des militaires portugais capturés à Bissau, le PAIGC bénéficie de toutes les alliances et connexions « anti-impérialistes » offertes par le régime guinéen, notamment les Cubains. Pour Marcelo Caetano, le président du Conseil du Portugal, il faut absolument enrayer son influence. Cette tâche sera confiée au gouverneur militaire de Guinée-Bissau, le général Spinola. Après avoir accosté en différents points de la capitale, les putschistes ne reçoivent guère de résistance dans leur progression. Un groupe libère alors les prisonniers portugais du PAIGC. Un autre, les prisonniers politiques du camp Camayenne ( Ex Camp Boiro ). Mais tout ne se passe pas comme prévu. La coordination des opérations est mauvaise, une équipe a fait désertion, Sékou Touré n’est pas là où il devait être, à sa villa. Au final, les putschistes échouent à prendre le contrôle de la radio nationale et de l’aéroport. Au petit matin, la radio guinéenne dénonce l’attaque. L’Opération se solde par un échec.
Un régime autoritaire
1.      Le Camp Boiro
Février 1969, Conakry vit encore dans la fièvre des coups d’Etats supposés ou réels. Cette fois ci, c’est un commando de parachutistes de l’armée qui est mis en cause. C’est le complot Kaman-Fodéba qui visait à renverser le président Sékou Touré. Les trois putschistes arrêtés sur ordre du chef de l’Etat sont mis dans un avion pour être transférés à Conakry. Soudain, entre Kankan et Labé, les trois prisonniers qui n’ont plus grand-chose à perdre parviennent à détacher leurs liens. Dans l’avion, c’est la bagarre avec les agents chargés de les convoyer. Les prisonniers prennent rapidement le dessus sur leurs geôliers. Puis un des convoyeurs, un inspecteur de Police est largué de l’avion. Les putschistes intiment d’abord au pilote de les amener au Mali. Sans qu’ils le sachent, il les dépose à Maléya  dans Siguiri, une petite bourgade de Guinée avant de s’enfuir au village où les habitants vont l’aider à mettre les fugitifs aux arrêts. C’est le début d’une légende. Le jeune inspecteur largué de l’avion, Mamadou Boiro, est déclaré martyr de la révolution. Son nom sera donné à l’ancien camp de la Garde Républicaine : le tristement célèbre Camp Boiro. En effet, ce camp à lui tout seul résume le caractère du régime de Sékou Touré. Torture, diète noire...tant de supplices auxquelles faisaient face les prisonniers politiques. Beaucoup y ont perdu la vie, notamment Diallo Telli.
2.      Qui est Diallo Telli ?[3]
Boubacar Telli Diallo est né en 1925 dans la petite localité de Porédaka, en plein cœur du massif du Fouta Djallon. Il entre tôt, à peine âgé de 6 ans, à l’école coranique, puis à l’école primaire de Porédaka. Sur les conseils de ses maîtres français, il est envoyé à Conakry, capitale de la colonie. Il poursuit ses études à l’école primaire supérieure, futur lycée classique de Donka, dans la banlieue de la ville. Malgré des résultats brillants, Diallo Telli ne passe pas le Baccalauréat : ce n’est qu’en 1950 que sera attribué en Guinée même le premier diplôme de ce niveau. Il complétera ses classes à Dakar, à l’école William Ponty de Sébikotane. Toutefois, la famille de Telli n’a pas les moyens de subvenir longtemps à ses besoins et il ne passe finalement pas les examens, mais réussit à entrer dans l’Administration coloniale, à un niveau modeste. Durant l’année scolaire 1946-1947, Diallo Telli prépare les deux parties du Bac et les réussit. Une fois nanti du précieux diplôme, Telli part pour la France et s’inscrit d’emblée à la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris. Outre la licence en droit et en sciences économiques, Telli prépare également avec assiduité le concours d’entrée à l’’Ecole nationale de la France d’outre-mer (Enfom). Pendant l’été 1951, Diallo Telli, qui vient de réussir sa licence en droit et en sciences économiques, est reçu premier au concours «B» de l’Ecole nationale de la France d’outre-mer, réservé aux jeunes gens déjà fonctionnaires. Major de sa promotion, au lieu de choisir la filière «Administration générale» qui était alors la plus prisée, il choisit la section «Magistrature». Dès sa sortie de l’Ecole nationale de la France d’outre-mer avec ses camarades de promotion 1951-1953, Diallo Telli est affecté, conformément à son choix, dans la Magistrature d’outre-mer, dont le cadre est géré conjointement par le ministre de la Justice et celui de la France d’outre-mer. Il est nommé au poste de substitut du procureur de la République près le Tribunal de 3ème classe de Thiès au Sénégal, un poste qui vient d’être créé. Mais il ne va pas durer dans la Capitale du Rail. Après Thiès, il devient dans un premier temps chef de Cabinet du haut-commissaire de l’Aof, Afrique occidentale, à Dakar, en 1955. Il postule ensuite pour le poste de secrétaire général de l’Aof, et est finalement retenu pour ce poste auquel il accède en avril 1957. Les 18 mois qu’il passera à ce poste lui permettront de se familiariser avec le fonctionnement d’institutions de type parlementaire, et surtout de côtoyer quelques grands noms comme Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Lamine Guèye, Modibo Keïta, Fily Dabo Sissoko, Djibo Bakary, Hamani Diori, Ouezzin Coulibaly et bien d’autres.

Diallo Telli en 1950 - Guinée.net

Le 28 septembre 1958, donc lors du référendum sur la Constitution organisée par la France après le retour aux affaires du général de Gaulle, une énorme majorité du Peuple Guinéen suit les consignes de Sékou Touré et du Parti démocratique de Guinée et vote «non», signifiant clairement son choix en faveur de l’indépendance immédiate. Le désir de faire son entrée officielle dans la communauté internationale en devenant membre de l’organisation des Nations unies constitue alors l’une des premières manifestations de l’indépendance de tout nouvel Etat. Sékou Touré accorde donc, à juste titre, une grande attention au problème de l’admission de la Guinée à l’Onu. Après le référendum de 1958, Diallo Telli fait le choix de venir se mettre au service de son pays. Conscient de son potentiel, Sékou Touré le charge de faire admettre la Guinée à l’Onu. Telli y parvient en quelques semaines, malgré les manœuvres dilatoires de Paris.
Ambassadeur à Washington et représentant permanent auprès des Nations unies, Telli s’affirme vite au sein du groupe afro-asiatique. Arrivé à New York à la fin 1958, il représentera la Guinée à l’Onu jusqu’en juin 1960, puis de nouveau de mars 1961 jusqu’en août 1964, date à laquelle il prendra ses fonctions à Addis Abeba à la tête du secrétariat de l’Oua, où son nom s’impose lorsqu’en 1963 est créée cette instance africaine. Il en sera le secrétaire général pendant deux mandats, jusqu’en 1972, où il n’est pas réélu.
Diallo Telli - getty images

Le complot peul
1.      La brouille entre Sekou Touré et Diallo Telli
En 1972, bien qu'il n'ait pas ménagé ses efforts, Diallo Telli ne parvient pas à se faire réélire au poste de Secrétaire Général de l'OUA. S’interrogeant sur son avenir, il profite à la fin Janvier 1972 du Conseil de Sécurité des Nations Unies à Addis Abeba pour faire une démarche personnelle auprès du Secrétaire Général  des Nations Unies, Kurt Waldheim. Il souhaite obtenir un autre poste international. Cette requête  va s’avérer infructueuse. Pendant ce temps, Sékou Touré commence à se méfier de lui. Il faut dire que l’aura de Diallo Telli dérange dans un contexte où son pays est indexé par la communauté internationale à cause de l’autoritarisme du régime. Diallo Telli, n’ayant pas eu de poste international rentre en Guinée alors que ce choix lui a été déconseillé par beaucoup de ses proches. Magistrat de formation, Sékou Touré le nomme Ministre de la Justice en 1972, poste qu'il occupera jusqu'en 1976. Peu à peu, l’étau se resserre autour de Diallo Telli. Il n’a plus le droit de voyager. Finalement, un événement va venir porter l’estocade à la liberté chancelante de Diallo Telli.
2.      La genèse d’un « complot »
Le 13 mai 1976, la police met la main sur Mamadou Lamarana Diallo, un gamin de quatorze ans (peut-être même douze seulement), porteur d'une arme automatique et juché sur un arbre en face de l'entrée de l'Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser, où Sékou Touré doit effectuer une visite ; celle-ci est immédiatement interrompue. Dans les jours qui suivent, cinq membres de la milice sont arrêtés, dont un commandant, Sory Barry, ainsi que Moustafa Ba, un cadre du Parti ; ils sont accusés de négligence dans la protection du président. Sékou Touré en fait état lui-même à la radio le 6 juin. Le 24 juin, une note intérieure signée de Souleymane Camara, président du comité exécutif de la section d'Europe du Regroupement des guinéens à l'extérieur (RGE), informe les présidents des autres sections et les responsables de cet important mouvement d'opposition au régime de Sékou Touré que : « Dans la recherche de l'unité de l'opposition, une délégation du comité exécutif de la section d'Europe du RGE conduite par Siradiou Diallo et Souleymane Camara, et le bureau directeur de l'Union générale des Guinéens Libres (UGGL) conduit par le capitaine Abou Soumah et Julien Condé, ont conclu un accord de fusion des deux organisation dans un cadre unique de combat. Cet accord marque une importante étape dans la lutte de libération nationale que mène notre peuple contre le régime d'oppression et de misère de Sékou Touré, de son clan familial et de copains véreux, insolente camarilla de notre pays martyr. Ainsi désormais anciens militants de l'UGGL et militants du RGE vont coude à coude conjuguer leurs efforts et leur volonté déterminée en vue de hâter la libération de notre pays (…)
Je vous invite (…) à rappeler à chacun et à tous que le RGE leur est ouvert sans sectarisme ni exclusive aucune et qu'il souscrit à toute action tendant à rassembler dans un cadre unitaire toutes les forces dynamiques de notre pays déterminées à mettre fin au régime de honte de Sékou Touré »
Sékou Touré voit en cela un complot des peuls contre son régime. Dans la nuit du 18 au 19 juillet, Diallo Telli est arrêté et transféré au Camp Boiro  en même temps que lui sont arrêtés plusieurs hauts-fonctionnaires et militaires, en majorité d'ethnie peule.
Témoignage de Madame Diallo Telli - Youtube
 Diallo Telli est considéré comme le principal instigateur du complot. Sous la torture au sein du camp Boiro, on oblige les prisonniers à dire « la vérité du ministre ». Ainsi, Diallo Telli finit par livrer des aveux forcés. Cependant, dans ses aveux, Diallo Telli commet délibérément  des incohérences au niveau des informations. Sans doute pour signifier qu’il parle sous la contrainte. Pendant ce temps, Sékou Touré s’attaque aux Peuls en tenant des propos lunaires.
« Si, aujourd'hui, la Guinée ne peut s'entendre ni avec la Côte d'Ivoire, ni avec le Sénégal, la responsabilité principale en incombe vraiment à qui ? A eux seuls, aux cadres peuls. (…) Ce sont eux également qui induisent toujours en erreur les gouvernements français, américain, allemand. (…) Ils sont sans patrie, ces racistes Peuls forcenés, parce qu'ils se disent ne pas être des noirs. Ils sont encore et toujours à la recherche de leur patrie. Ils le peuvent plus avoir de patrie parce qu'ils n'ont pas une ligne de conduite exigeant l'accomplissement de devoirs sacrés. Aliénés qu'ils sont, ils ne pensent qu'à l'argent, et à eux. (…) C'est la déclaration de guerre. Ils veulent d'une guerre raciale ? Eh bien ! nous, nous sommes prêts ; quant à nous, nous sommes d'accord et nous les anéantirons immédiatement, non par une guerre raciale, mais par une guerre révolutionnaire radicale.»[4]
Diallo Telli prisonnier - grioo.com

3.      La mort de Diallo Telli
La présence de Diallo Telli derrière les barreaux ne suffit à Sékou Touré. Le Samedi 12 février 1977, aux environs de quinze heures, heure locale, l’adjudant-chef Mamadou Fofana, messager du Comité Révolutionnaire, ordonne l’arrêt de toute circulation dans l’enceinte de la prison et la fermeture de toutes les cellules. La diète noire débute donc pour Diallo Telli et ses compagnons. Amadou Diallo, compagnon de Diallo Telli livre des informations très importantes dans son livre[5]. Il a vécu de très près les circonstances qui ont conduit à mort de Diallo Telli en prison. Au camp Boiro, les conditions sont dures, Les supplices réservés à Diallo Telli, inhumains : « Cinq jours après le début de la diète noire, l’adjudant-chef Fadama Condé transféra Diallo Telli de la cellule 54 à la 52. Cette décision, il la prit parce que le bas de la porte de la cellule 54, rongé par la rouille, laissait passer trop d’air et de que ce fait l’agonie de Telli pouvait en être prolongée. ». Même s’il sait que son sort est scellé et que la mort l’attend, Diallo Telli résiste. Amadou Diallo poursuit : « De cette tragédie des derniers moments, je retiens deux choses qui m’ont fortement impressionné. Tout d’abord, I ‘attitude de l’ancien secrétaire général face à la mort. II m’a chargé de transmettre un message à tous ses compagnons : qu’ils s’aident de leur foi en Dieu pour mériter la mort qu’Il leur impose par le truchement de Sékou Touré. Qu’ils oublient l’existence de ce dernier pour se tourner entièrement vers Dieu…L’autre chose qui m’a frappé, c’est l’endurance de Telli par rapport aux militaires. Le décès des deux officiers intervint en effet vingt-quatre heures avant celui de Telli. Cela est partiellement dû à la dépense d’énergie qu’ils firent pour tenter de sortir de leurs cellules. Ils s’acharnèrent tant sur leurs portes que l’adjudant-chef Fadama Condé en fit renforcer la fermeture au moyen de cadenas et de fil de fer. » Perdant ses forces au fil des jours, Diallo Telli finit par mourir de diète noire. Le récit d’Amadou Diallo est pathétique : « A partir du 28 (Février 1977) au matin, je perçus distinctement un bruit que je ne parvins pas à identifier tout de suite. C’était un bruit régulier, organique. Un bruit de déglutition. Il dura toute la journée et les jours suivants. C’était insupportable. Je m’arrangeai pour passer plusieurs heures à l’infirmerie. A chaque retour, je constatais que le bruit était moins régulier, plus faible. Le 1er mars, à 8 h 30 du matin, le bruit avait cessé. Une demi-heure après, Fadama Condé et ses agents firent leur apparition. Depuis que les cinq hommes avaient été mis à la diète noire, la garde était renforcée et les contrôles plus fréquents. I1 devait donc être 9 h lorsque le chef de poste se fit ouvrir la cellule du secrétaire général de l’OUA. Un silence. Puis j’entendis Fofana demander, sans doute à l’un des gardes, de retourner le corps. Il insista : As-tu peur d’un cadavre ?... »  Diallo Telli est enterré dans l’un des nombreux charniers de Conakry sans cérémonie religieuse. Quelques jours plus tard, Sékou Touré viendra nuitamment vérifier que le corps enterré est bien celui de Diallo Telli.[6]
                                                 Sékou, le Panafricain
1.      Engagement en Afrique
Deux ans après l’indépendance, Sékou Touré est devenu un acteur incontournable sur le continent africain : ses liens avec N’Krumah sont connus, mais il a aussi rencontré plusieurs fois William Tubman, le président du Liberia. Il s’efforce par ailleurs de valoriser l’action des Nations unies au Congo pour la résolution du conflit qui se déroule dans ce pays. Consulté par le gouvernement américain, il s’engage à jouer un rôle de médiateur entre les parties en cause. Par contre, il tient à rappeler le cas des colonies portugaises, dont l’indépendance n’est pas envisagée, et le régime d’apartheid en Afrique du Sud, pour demander à Washington de faire pression sur les États concernés. En août 1960, l’éclatement de la Fédération du Mali, (composée des territoires du Sénégal et du Soudan français, l’actuel Mali) lui permet de se rapprocher à Modibo Keita, son ancien allié dans le RDA. À la fin de 1960 se forme la coalition Ghana-Guinée-Mali. Le 24 décembre, les trois chefs d’États se retrouvent à Conakry, où ils proclament leur intention de créer une union entre leurs pays. Bien que le contenu pratique de cette union reste lettre morte, la valeur politique de l’alliance entre les trois pays paraît importante. Elle démontre que Sékou Touré n’est pas isolé sur le plan africain. En 1963, l’Organisation de l’Unité Africaine voit le jour. Issue d'une aspiration des Africains à l'union afin de promouvoir la solidarité du continent contre toutes les formes d’impérialisme elle est aussi l’aboutissement d’une bataille diplomatique entre chefs d'États. Deux camps s'étaient dégagés : celui du « groupe de Monrovia » conçu comme le regroupement des « modérés » qui souhaitaient que l’intégration régionale se fasse par étape ; et le « groupe de Casablanca » qui rassemblait des leaders révolutionnaires adeptes d’une intégration rapide comptant notamment dans ses rangs Nasser, Nkrumah, Ben Bella et Sékou Touré. Ce dernier se révèle donc comme un panafricaniste convaincu. Il faut noter par ailleurs que c’est la Guinée qui a fourni à l’O.U.A. son premier secrétaire : Diallo Telli.
2.      L’aide aux mouvements de libération
Sékou Touré avait aussi ouvert les portes de son pays aux mouvements de libération.  Après l’indépendance de la Guinée, Sékou Touré accueille en Guinée les Upécistes en exil notamment le leader du mouvement Félix Moumié. Conakry sera le siège du mouvement. Il faut noter que l’Union des Populations du Cameroun (U.P.C.) est un mouvement nationaliste qui militait pour l’indépendance et l’unification du Cameroun. Le mouvement devient vite interdit au Cameroun par l’administration coloniale. Certains de ses leaders sont assassinés (Ruben Um Nyobe par exemple), d’autres organisent la résistance à partir de l’extérieur. Sékou Touré offrira son aide aussi au PAIGC (Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap Vert -PAIGC). En effet, ayant engagé la lutte armée contre le colonisateur portugais, il fallait à Amilcar Cabral et ses camarades une arrière base. Ainsi, Sékou Touré proposa d’accueillir le mouvement chez lui. Cette décision lui a valu des représailles (l’Opération Mar Verde - expliquée dans les lignes plus hautes).
Relations entre la France et la Guinée
La rupture de manière brusque en 1958 a laissé des lendemains sombres entre la France et la Guinée. Pire, les réseaux Foccart ont tenté de nombreuses fois à renverser le régime de Sékou Touré. Cependant, la signature des accords d’Evian font changer de position à Sékou Touré vis-à-vis de la France. Ce qui ne sera pas le cas pour le général De Gaulle. Saluant l'heureuse conclusion des négociations menées à Évian, Sékou Touré décide l'envoi à Paris d'une délégation ministérielle, qui serait chargée d'inviter le général de Gaulle à revenir en visite en Guinée. La réponse du Général De Gaulle est cuisante : « Je ne recevrai naturellement pas la "délégation gouvernementale" de Guinée à laquelle je n'ai rien à dire et dont rien ne nous a été communiqué quant à ce qu'elle voudrait me dire. Pour la même raison, je tiens essentiellement à ce que le gouvernement, dans la personne d'aucun de ses membres, ne reçoive le gouvernement guinéen dans la personne d'aucun des siens. Les ambassadeurs suffisent amplement. Encore une fois, c'est le moment, ou jamais, de ne pas nous "attendrir" sur la Guinée de Sékou Touré. »[7] .
Il va falloir attendre l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing qui marque la fin du pouvoir des Gaullistes pour noter une normalisation des rapports entre la France et la Guinée. Avec le président François Mitterrand, c’est la détente. Les présidents se rendent visite mutuellement.
Valery Giscard d'Estaing en visite officielle en Guinée- getty images

La chute du Syli
« Le mardi 20 mars 1984, Sékou Touré rentre d'Alger et de Fès ; il y a vainement tenté de rapprocher, au cours de ses conversations avec le président Chadli et le roi Hassan II, les points de vue de l'Algérie et du Maroc sur le Sahara occidental ; il sait désormais que le XXème Sommet de l'OUA prévu à Conakry, dont il ambitionnait de faire la réunion de la réconciliation, risque d'achopper sur cette question., il est reparti avec une extinction de voix, et a même craint d'avoir été empoisonné » mentionnait André Lewin.  Deux jours plus tard, son corps faiblit. Comme s’il connaissait que la fin arrivait : « Sa femme, Hadja Andrée Touré, passe un moment avec lui et lui montre un tissu de bazin avec lequel elle se propose de lui faire confectionner un boubou de cérémonie pour le Sommet de l'OUA ; il répond que ses goûts lui font préférer la percale, tissu plus modeste ». Le choix de la percale parait comme une prémonition. André Lewin raconte : « Dans la soirée, comme toujours quand il est seul, il dîne légèrement de miel, de laitages et d'ananas, mais à la fin de ce frugal repas, vers 21 heures, il est pris de malaises et de vomissements. Il se couche sans tarder et se plaint de douleurs qui sont “comme des coups de poignard”. Immédiatement alerté par Madame Andrée, le ministre des affaires étrangères, Abdoulaye Touré, qui est également docteur en médecine, s'affole ; arrivé en hâte auprès de Sékou, il lui administre des calmants et appelle à son chevet des médecins chinois. Ceux-ci l'auscultent avec soin, lui donnent divers médicaments et prescrivent surtout du repos. Ils ne semblent pas avoir diagnostiqué l'accident cardio-vasculaire dont Sékou Touré est en fait victime. L'un des tout premiers à avoir alerté Sékou et ses proches sur des problèmes cardiaques a été le Docteur Nagib Roger Accar, longtemps ministre de la santé. » .
Le 27 Mars 1984, vers 8heures, le Premier Ministre, Lansana Béavogui s’adresse à la Nation en ces termes : « Peuple de Guinée, Peuple du monde, le Bureau Politique National du parti démocratique de Guinée porte à la connaissance du peuple militant et croyant de Guinée la tragique nouvelle ci-après: à la suite d'une attaque cardiovasculaire, survenue dans la nuit du jeudi 22 au 23 mars 1984, le camarade Ahmed Sékou Touré, Responsable suprême de la Révolution, Président de la République Populaire et Révolutionnaire de Guinée, a été transporté immédiatement à l'hôpital de Cleveland aux Etats-Unis d'Amérique, où ont été entrepris des examens approfondis. Ces examens ont prouvé l'existence d'une dissection de l'artère aorte, toujours fatale en l'absence d'intervention chirurgicale urgente. C'est au cours de cette intervention que Dieu le Tout Puissant a rappelé à lui le grand révolutionnaire et sincère croyant que fut le Président Ahmed Sékou Touré. »
Ainsi donc, après 26 années de pouvoir, Sékou Touré décède. Une semaine après, aura lieu le premier coup d’Etat réussi en Guinée. Cela est une autre histoire…
Funérailles Sékou Touré  - getty images

Bibliographie
Baba Kaké Ibrahima, Sékou Touré : le héros et le tyran, Paris, Jeune Afrique Livres (« Destins »), 1987, 246 p.
Césaire Aimé, La pensée politique de Sékou Touré, Éditions Présence Africaine - « Présence Africaine », 1960/1 n° 29,  pp 65-73
Chauleur Pierre, La Guinée de M. Sékou Touré, Etudes, Novembre 1977, Tome 347, pp 437-455
Diallo Abdoulaye,  Sékou Touré 1957-1961. Mythe et réalités. Paris, L’Harmattan, 2008,
137 p.                                                                 
Diallo Amadou, La mort de Diallo Telli, Editions Karthala, Paris, 1983, 156 pages
Lewin André, Ahmed Sékou Touré. Président de la Guinée, 1922-1984, Paris, L’Harmattan, 2009
Lewin André, Diallo Telli, le tragique destin d'un grand africain, Japress Publications, 2000, 225 p.
Pauthier Céline, L’héritage controversé de Sékou Touré, « héros » de l’indépendance, Presses de Sciences Po - Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2013/2 N° 118, pp 31 – 44
Sidibé Mandiouf Mauro, La fin de Sekou Touré, Echos sonores et radiophoniques, l’Harmattan, 2007

Autres sources
Foka Alain, Archives d’Afrique – Sékou Touré, Radio France Internationale, 2010
Foka Alain, Archives d’Afrique - 60 ans d'indépendance de la Guinée, Radio France Internationale, 2010
Archives de l’Institut National de l’Audiovisuel ( I.N.A.)





[1] André Lewin –Ahmed Sékou Touré (1922-1984), Paris, L'Harmattan, 2010. ( Volume II - Chapitre 25/26 août 1958 — De Gaulle à Conakry) (En ligne : webguinee.net)

[2] Maurice Robert, « Ministre » de l’Afrique. Entretiens avec Alain Renault, Seuil, Paris, 2004
[3] Diallo Telli : Un grand Africain au destin tragique, Journal- le Quotidien, 2 Octobre 2017

[4] André Lewin –Ahmed Sékou Touré (1922-1984), Paris, L'Harmattan, 2010. (Volume II - Chapitre 75 — 18 juillet 1976 - L'arrestation de Diallo Telli et le “Complot Peul”) (En ligne : webguinee.net)
[5] Diallo Amadou, La mort de Diallo Telli, Editions Karthala, Paris, 1983, 156 pages,
[6] Archives d’Afrique, Alain Foka, 60 ans indépendance de la Guinée, RFI, 2018
[7] Note à Michel Debré, 2 avril 1962 (Archives privées Jacques Foccart dossier 470)

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