L'histoire d'Aminata Fall, la diva oubliée

« Voilà une vraie diva qu’on a jamais utilisé. Voilà une femme qui a une voix en or, une femme qui dans n’importe quel pays développé aurait fait une carrière internationale incroyable. Et là voila, elle n’a jamais fait de disque, elle a juste fait de petits trucs. Quand elle chante, moi j’ai la chair de poule » disait le célèbre cinéaste Moussa Sène Absa à propos d’elle. Dix-sept années après son décès, sa voix et son image semblent de plus en plus se fondre dans le temps. Aminata Fall, la diva de Saint-Louis, voici son portrait.

Aminata Fall est née le 29 Janvier 1930 dans le quartier de Gueth Ndar à Saint Louis. Elle raconte son enfance en ces termes  «  Enfant, je vendais des cacahuètes devant le lycée Faidherbe et occasionnellement devant le cinéma. J’ai ainsi pu voir des films avec d’excellents chanteurs comme Louis Armstrong, Mahalia Jackson, Aretha Franklin ou Tino Rossi ». C’est dans cette atmosphère que Aminata va débuter sa carrière de chanteuse fortement influencée par la musique négro américaine. En 1958, elle débute au Star Jazz de Saint Louis. 

Aminata Fall avec le Star Jazz de Saint Louis

Elle y restera jusqu’en 1966 date où le président Léopold Sedar Senghor l’invite à Dakar pour prendre part au premier Festival mondial des arts nègres (1^er au 24 Avril 1966). Il faut noter qu’un an auparavant, Senghor fidèle à son vœu de promouvoir la culture, inaugurait le théâtre national Daniel Sorano. Cette inauguration est accompagnée par la création de l’Ensemble lyrique traditionnel dudit théâtre. Aminata Fall va rejoindre cet Ensemble en 1966. Au même moment, elle fait la connaissance d’un certain Djibril Diop Mambety avec qui elle fera beaucoup de films. Elle raconte  « Quand j’ai rencontré Djibril Diop Mambety, il ne faisait pas encore de Cinéma. Nous étions au théâtre Sorano pour la pièce « l’Exil d’Alboury ». Il avait un projet de film et il m’a proposé un rôle. Il fallait me raser la tête et porter une perruque, j’ai accepté. Le rôle qu’il me proposait dans le film Touki Bouki était difficile mais il était convenu que j’étais capable de jouer dans des scènes où il y’a du sang. Je respecte l’imaginaire de Djibril Diop Mambety. Il ne faut pas critiquer ses rêves. Comme comédienne, je m’investis à fond dans ce qu’il me demande et s’il m’avait fallu égorger quelqu’un, j’aurais coupé la tête sans hésitation » . 

Aminata Fall dans Touki Bouki - extrait

Aminata Fall dans Le franc - extrait

Aminata Fall entama donc une carrière dans le Cinéma et se révèle comme une actrice dévouée. Elle confie « Lorsque Bouna Sèye m’a demandé de jouer j’étais souffrante. J’ai pris mon aspirine, je me suis rendu sur le plateau. Et j’ai chanté. Je ne suis pas comme ces comédiens qui se lamentent sur le plateau parce qu’ils sont malades. Quand je suis là, je me donne à fond ».

Pendant ce temps, sa carrière musicale prend aussi de l’ascension et Aminata étonne plus d’un. Elle revient sur cet épisode «  Aux Etats Unis, les Américains ne m’ont pas cru quand je leur ai dit que j’étais sénégalaise et non américaine. Ils estimaient qu’il n’y avait qu’une Amérique pour chanter ainsi ». Elle part aussi à la conquête du monde. Déjà en 1962, alors qu’elle était encore à Saint Louis, elle était partie représenter le Sénégal au 8^ème Festival mondial de la Jeunesse et des étudiants à Helsinki. Elle participe aux deux grands festivals africains des années 60. Le premier Festival mondial des arts nègres en 1966 et le Festival Panafricain d’Alger en 1969 qui apparait comme la réplique du Fesman de Senghor.

Aminata Fall continue sa mener une double carrière d’acteur et de musicienne. Coté musique, elle joue presque dans tous les registres. Elle fait même des featuring avec des rappeurs. Son talent n’est plus à démontrer. Coté cinéma, elle est sollicitée comme actrice et ses chants sont utilisés dans de nombreux films comme Tableau Ferraille de Moussa Sène Absa.

Thiéré Mboumb, un son rap dans lequel le Positif Black Soul fait un featuring avec Aminata Fall

Epuisée, la soixantaine entamée, Aminata Fall est gagnée par la maladie dans les années 90 et ne parvient plus à joindre les deux bouts. A l’époque «  nombre de célébrités des années 1970 sont tombées dans une déchéance totale ou sont obligées de se produire dans des bars pour assurer une existence difficile ».Ne joignant plus les deux bouts, c’est grâce à un Concert de solidarité organisé le 21 Avril 1997 qu’elle va partir pour la France afin de se faire opérer.

( Coupure de presse © Aminata-Fall.com)

 Au film du temps, sa maladie gagne du terrain. Le Jeudi 3 Aout 2000, dans le 2199^ème numéro du journal Sud Quotidien de Dakar, un SOS pour Aminata Fall est lancé pour la prise en charge des frais d’hospitalisation. Sur chaise roulante, elle finira par être amputée d’une jambe.

( Coupure de presse © Aminata-Fall.com)

 La suite est beaucoup plus douloureuse. La nuit du 24 Novembre 2002, Aminata Fall tira sa révérence. Elle repose à Saint Louis, dans la terre qui l’a vue naitre…

« J’ai eu maintes fois l’occasion de partir pour l’étranger, mais c’est par amour pour mon pays que je suis restée et ma situation ne s’améliore pas pour autant »

C’est sur ces mots qu’elle tenait que nous refermons cet article. Une fin de qui ne colle absolument pas avec la grandeur de la personne et le talent de l’artiste.

Bibliographie

Benga Ndiouga, 2002, « Dakar et ses tempos. Significations et enjeux de la musique urbaine moderne (c 1960-années 90) » : 289 – 308 in Diop Momar Coumba- Diouf Mamadou ( dir.), Le Sénégal contemporain. Paris, Karthala

Franck Schneider, Mambety blues, musique d’Afrique

 - Aminata-Fall.com