L'histoire de Patrice Lumumba





Sommaire

v Parcours
v L’entrée en Politique
v La route vers l’autonomie
1.     Table ronde
2.     Unitarisme ou fédéralisme
3.     L’indépendance du Congo
v Le Chaos d’après indépendance
1.     La mutinerie dans la force publique
2.     Les sécessions
3.     Crise entre Lumumba et Kasavubu
v Lumumba , la descente aux enfers
1.     Révocations statu quo
2.     L’effet Mobutu
3.     Pourquoi Lumumba devait être «  éliminé »
v Le film de l’assassinat
v L’histoire d’un complot international
1.     La Belgique
2.     Les Etats Unis
3.     Le Katanga

v Parcours
Elias Okita Zombo est né le 2 Juillet 1925 dans le centre du Congo.  Son parcours tranche singulièrement avec celui des  grands « leaders intellectuels » qui ont conduit leur pays à l’indépendance. Son parcours scolaire ne peut s’ériger en modèle : Il quitte très vite l’école catholique où son père l’avait inscrit, il est alors exclu du toit familial. Il va se retrouver chez les pères méthodistes. Là aussi, il est encore renvoyé. Il retourne dans une institution catholique sans succès. Il suivra une formation d’aide infirmier. Il faut noter que celui qui deviendra Patrice Lumumba n’a même pas encore son certificat d’études primaire. En 1943, il décide de partir pour la ville. Là, un changement de nom va s’opérer. Elias Okita Zombo devient Patrice Emery Lumumba. Après avoir travaillé dans une entreprise minière, Patrice Lumumba arrive à Stanleyville actuel Kisangani. Région qui plus tard sera son fief politique. Il sera engagé à la poste. Tout en travaillant, il se forge une culture d’autodidacte. Il obtiendra son certificat d’études. Nommé percepteur en 1946, il sera à l’école des Poste de Léopoldville l’année d’après. A son retour de Stanleyville , il est promu commis de 3e classe.
Au début des années 50, il est bien connu à Stanleyville. Lumumba grâce à son charisme dirige une association socioprofessionnelle. Il recevra le ministre Belge des colonies. En Mai 1956, il séjourne même en Belgique. A son retour, pour une affaire de détournement de fonds qu’il a reconnu, il sera emprisonné. A sa libération en 1957, il s’installe à Léopoldville, la Capitale du Congo à cette époque. Il est engagé comme directeur commercial dans une brasserie (la bière polar). C’est dans cette ville qu’il va occuper le devant de la scène politique.

v L’entrée en politique
En 1958, les colonies françaises d’Afrique voient leur situation améliorée. Charles De Gaulle propose un référendum qui d’une façon ou d’une autre confère une autonomie à ces colonies françaises. Au Congo, ce changement n’est pas à l’ordre du jour. Les autorités belges prévoient d’accorder l’indépendance des décennies plus tard. C’est ainsi que l’universitaire belge Jeff Van Bilsen conçoit le « plan de trente ans ». Selon lui, l’indépendance du Congo devait se faire dans les années 80 afin que cela soit bien préparé. Il faut aussi noter que la colonisation au Congo a été très violente avec notamment l’histoire de « mains coupées ». Voyant ainsi donc le statu de leurs frères africains évoluer, les congolais vont s’organiser afin de pouvoir s’inscrire dans ce sillage qui tend vers l’autonomie.

En Octobre 1958, lorsque le Mouvement National Congolais (M.N.C.) est créé, Lumumba s’en attribue la présidence au grand dam  de ses pairs comme Albert Kalonji qui sera son opposant après. La même année, il se rend à une conférence à Accra pour rencontrer Kwame Nkrumah qui à cette époque avait déjà conduit son pays à l’indépendance. Cette conférence va avoir un grand impact sur Lumumba qui va se « radicaliser ». C’est le début de la « révolte ».
Le 4 Janvier 1959, des émeutes éclatent à Léopoldville. Au mois d’Octobre, sans l’autorisation des autorités, le M.N.C. tient une réunion à Stanleyville. La police tire. On dénombre une vingtaine de victimes. En Janvier 1960, arrêté, Lumumba est envoyé au Katanga pour purger sa peine : 6 mois de prison.
1960, l’année des indépendances en Afrique. Le Cameroun inaugure le « bal » dès le mois de Janvier. Les autorités belges, face à la lutte interne et aux pressions extérieures sont obligés de prendre une décision.

v La route vers l’autonomie

1.     La table ronde
La Conférence de la Table ronde belgo-congolaise eu lieu du 20 janvier au 20 février 1960. Pendant un mois, les représentants du Congo et de la Belgique vont procéder à Bruxelles à une large confrontation des points de vue sur l’indépendance du Congo (date et contenu) , sur le statut à adopter pour ce pays en remplacement de la charte coloniale de 1908, pour la période intermédiaire séparant le jour J de l’indépendance de la date de ratification de la constitution congolaise, sur l’organisation des élections législatives nationales et provinciales de mai 1960 ainsi que sur les dispositions transitoires à adopter jusqu’au 30 juin 1960.
Il faut noter qu’au moment où les autorités belges préparent la table ronde, Lumumba était en prison. Les représentants congolais notamment Joseph Kasavubu exigent que Lumumba soit libéré afin qu’il puisse participer à la table ronde. Ce qui fut fait. Lumumba dès sa sortie de prison part pour Bruxelles afin de prendre par aux négociations. A Bruxelles, Lumumba fait la connaissance  d’un certain Joseph Mobutu. Il fera de lui son secrétaire.

(Arrivée de Lumumba à Bruxelles . Source : getty images )
1.     Le Unitarisme ou Fédéralisme

L’option à faire par la conférence entre un régime unitaire décentralisé et un régime fédéral apparaissait comme le cap le plus dangereux de la Table Ronde. Sur ce terrain s’affrontaient à priori les partis fédéralistes d’une part (cartel Abako-P.S.A.-M.N.C.-Abazi-Parti du Peuple-F.G.C. ; la Conakat ; l’Union Mongo) et les unitaristes de l’autre (Assoreco ; M.N.C. Lumumba ; Cartel katangais). La manifestation la plus spectaculaire de la tendance fédéraliste "ultra" se produisit à l’occasion de la discussion sur les compétences respectives du pouvoir central et des provinces en matière d’exploitation du sous-sol (problèmes miniers). Les questions du contrôle scolaire, de la ratification de la constitution, de l’assiette fiscale nationale et provinciale … furent également des occasions d’affrontement entre fédéralistes et unitaristes. Cependant l’affrontement fut limité pour bien des raisons. D’une part , La crainte des séparatismes (et surtout du séparatisme katangais) a incité d’une part des partis fédéralistes comme le M.N.C. ou le Parti du Peuple à défendre des formules équilibrées, sauvegardant un pouvoir réel aux institutions politiques centrales et d’autre part les unitaristes à envisager des formules souples de décentralisation et de répartition des compétences. D’autre part, du côté gouvernemental et parlementaire belge, on n’a cherché à aucun moment à spéculer sur une division des congolais en fédéralistes et unitaristes.
Ainsi s’échafauda un régime para-fédéral provisoire qui va devoir subir l’épreuve de l’expérience. Les fédéralistes modérés y voient une traduction assez fidèle de leur souci de concilier l’exigence régionale et celle de l’unité ; les unitaristes y voient la mise en œuvre d’un système qui assure au moins l’existence d’un pouvoir central ainsi que la reconnaissance officielle de l’unité politique et économique du Congo et qui dote celui-ci des moyens d’intervention en cas de tentative de sécession.
En Mai 1960, le Mouvement National Congolais sort vainqueur des élections législatives. Patrice Lumumba est le premier ministre du pays au moment de l’indépendance.


(Patrice Lumumba à gauche , Joseph Kasavubu premier président du Congo à droite )

1.     L’indépendance du Congo

f

( Lumumba lors de la cérémonie de proclamation. Source : getty images )

La cérémonie de proclamation a été très riche en événements. Sur un ton paternaliste, le Roi Baudouin ouvre « le bal ». Le roi des Belges rendit hommage à « l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II et continuée avec persévérance par la Belgique ». L’allocution suivante, prononcée par Joseph Kasavubu, le chef du nouvel État congolais, fut en revanche ressentie comme une offense par les nationalistes congolais. À commencer par leur chef de file, le Premier ministre Patrice Émery Lumumba. Au lieu de célébrer l’émancipation de son peuple, le président de la République rendit un hommage appuyé à l’ancienne métropole, incitant le chef du gouvernement à intervenir alors que le protocole ne l’y avait pas invité.
Il est 11 h 35 lorsque Lumumba se lance dans son «  éclairage ». Nous vous avons choisi quelques passages de ce discours mémorable :

 « Congolais et Congolaises, Combattants de l'Indépendance aujourd'hui victorieux, Je vous salue au nom du gouvernement congolais. À vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos cotés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l'histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté. Car cette Indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd'hui dans l'entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d'égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c'est par la lutte qu'elle a été conquise une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang (…)Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi était jamais la même selon qu'il s'agissait d'un Blanc ou d'un Noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres.
Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même (…) Je vous demande à tous d'oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l'étranger. Je demande à la minorité parlementaire d'aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques. Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise (…) Voilà, Sire, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de race, mes frères de lutte, ce que j'ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce jour magnifique de notre Indépendance complète et souveraine. Notre gouvernement, fort, national, populaire sera le salut de ce peuple. Hommage aux combattants de la liberté nationale ! Vive l'indépendance et l'Unité Africaine ! Vive le Congo indépendant et souverain ! »

v Le Chaos d’après indépendance

1.     La mutinerie dans la Force Publique.

L’expression « FORCE PUBLIQUE » est employée officiellement pour la première fois dans le décret du 30 octobre 1885, relatif à l’organisation du Gouvernement central de l’Etat indépendant du Congo. Quelques mois avant
L’indépendance, la direction et l’encadrement de la Force Publique par des officiers belges ont fait l’objet de critiques assez vives auxquelles les bulletins de la Force Publique font écho pour en contester le bien-fondé. Ainsi, Nsango ya bisu, bi-mensuel de la Force Publique, écrit le 15 mai 1960 : « certains estiment que le commandement ne se préoccupe pas suffisamment de la promotion des congolais ; c’est une erreur ; cette question fait l’objet de toute l’attention du Commandant en Chef. Toutefois, à la Force Publique, les grades ne s’accordent qu’au mérite… C’est le commandement, et le Commandement seul, qui fixera les conditions de promotion des congolais, et cela suivant les directives du gouvernement congolais ».
Des leaders congolais ont également mis l’accent sur la nécessité d’assurer des promotions d’Africains dans la Force Publique (« il serait de bonne psychologie de veiller à cet aspect des choses », déclarait M. Kasavubu, le 17 février 1960, à la Table Ronde politique). Le MNC-Lumumba (22 mai 1960) réclamait « l’affectation immédiate des congolais à tous les postes de commande, tant dans l’administration que dans l’armée le Congo indépendant devra avoir "sa propre armée dirigée par ses propres fils ».
Ce qui va arriver après l’indépendance du Congo parait comme une suite logique des événements : les officiers congolais qui veulent du changement vont se révolter.
C’est dans l’après-midi du mardi 5 juillet et surtout dans la nuit du 5 au 6 juillet que les premières manifestations de refus d’obéissance et de rébellion contre les officiers blancs sont enregistrées au Camp Léopold II à Léopoldville et au Camp Hardy à Thysville. La mutinerie débute. Dans ces circonstances Mobutu sera nommé par Lumumba, le chef de l’armée nationale congolaise.
Ainsi donc, dès ses premiers jours, la jeune République vit déjà des heures graves. Et ce n’est que le début…

2.     Les sécessions
Avec la mutinerie dans la Force Publique, un désordre va s’installer. C’est le moment où les divergences d’avant indépendances vont s’afficher. Moins de deux semaines après la proclamation de l’indépendance du Congo, Moïse Tshombé  proclame la sécession du Katanga. Il faut noter qu’il est un « grand opposant » à Lumumba. Ce 11 juillet 1960, aux alentours de 22h30, c’est d’une voix déterminée où perce une joie indicible que Moïse Tshombé s’exprime sur les ondes de la Radio-Collège, à Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi), pour déclarer officiellement l’indépendance de la riche province minière du Katanga, que son parti contrôle depuis les élections législatives du moi de mai. Fils d’un homme d’affaires katangais, Tshombé  a fait fortune dans le commerce, avant de se lancer dans la politique en fondant en 1958 le Conakat, parti indépendantiste katangais. Il est révolté de voir que la région qu’il dirige doive devenir la principale pourvoyeuse de fonds au bénéfice de l’État central, il veut aussi conserver des relations privilégiées avec les Belges. Autant de raisons qui le poussent à déclarer unilatéralement la sécession et l’indépendance du Katanga.



Il dira :

« (…) le mouvement katangais a décidé de proclamer l’indépendance du Katanga. Cette indépendance est totale. Cependant, conscient de la nécessité impérieuse d’une collaboration économique avec la Belgique, le gouvernement du Katanga, auquel la Belgique pour protéger les vies humaines vient d’accorder l’assistance de ses propres troupes, demande à la Belgique de s’unir avec le Katanga en étroite communauté économique. »

La sécession katangaise est une occasion en or pour la Belgique de conserver sa présence en Afrique centrale. Véritable pilier industriel du Congo, la province du Katanga regorge de cuivre, de zinc, de cobalt, et a depuis le début de la colonisation belge fait l’objet d’une attention très particulière de la part des multiples opérateurs économiques européens. Il est compréhensible donc que cette sécession soit soutenue par plusieurs pays du bloc de l’ouest .
(Moise Tshombé et l’armée du Katanga. Source : getty images )

     
( Albert Kalonji en train d’etre interviewé , Moise Tshombé derrière lui en arrière plan . Source : getty images )
Ainsi donc, le jeune Etat se trouve face à des problèmes dès ses premiers moments . Les méthodes pour parer à ces divisions vont semer une crise à la tête de l’Etat.



1.     La crise entre Lumumba et Kasavubu

Suite à la vague de sécession notamment du Katanga, Lumumba rompt les relations diplomatiques avec la Belgique qu’il juge comme le principal instigateur.
Il se tourne vers les casques bleus de l’O.N.U. pour demander de l’aide. Bizarrement, les casques bleus ne font pas mystère de leur position.
Ils prennent part pour le Katanga. Il faut noter qu’à cette époque, la Belgique et les Etats Unis commençaient à nourrir l’idée d’un « départ » de Lumumba qui ne fait pas leur affaire.
A la fin du mois d’Aout 1960, Lumumba sollicite le concours des pays du bloc de l’Est notamment l’U.R.S.S (Union des Républiques socialistes soviétiques) afin de stopper cette vague de sécession. Il va parvenir à régler la situation du Sud Kassai avec cette aide cependant bien des exactions ont été commis dans cette zone par les militaires, ce qui va exacerber la haine contre Lumumba. Cette décision de Lumumba de faire appel aux pays du bloc de l’Est va mettre le feu au poudre. Pour la Belgique et les Etats Unis, il faut passer à l’action. Lumumba doit être «  éliminé ». Joseph Kasavubu qui est lui un modéré voire pro occidental voit mal la démarche de Lumumba. Il reproche à Lumumba les méthodes employées dans la reconquête du Kassai . Il faut aussi noter qu’il ne partage pas la même volonté d’unité que Lumumba. Son parti militait pour une fédération. Pour finir, Kasavubu fut en quelque sorte influencé par Timberlake , l’ambassadeur des Etats Unis. La cohabitation avec Lumumba devait impossible. Et ce qui devait arriver arriva…

v Lumumba , la décente aux enfers

1.     Révocations, statu quo
Le 5 septembre 1960 à 20 h 15, la radio nationale congolaise interrompit brusquement ses émissions pour faire entendre un message spécial du président de la République. D’une voix mal assurée, Kasavubu annonça la révocation du Premier ministre, que, dans l’émotion du moment, il appela le « premier bourgmestre ». Il dira :

 « …Il a recouru à des mesures arbitraires qui ont provoqué la discorde au sein du gouvernement et du peuple. Il a gouverné arbitrairement. Et maintenant encore, il est en train de jeter le pays dans une guerre civile atroce ».

La réponse de Lumumba ne se fait pas attendre.  Sa voix retentit peu après sur les mêmes ondes :

« Le gouvernement populaire reste à son poste. A partir d'aujourd'hui, je proclame que le Président Kasavubu qui a trahi la nation, qui a trahi le peuple pour avoir collaboré avec les Belges et les Flamands, n'est plus chef de l'État ».

Le Premier Ministre Lumumba mit son offensive au point et misa sur les Chambres dont il sollicita les pleins pouvoirs. Face à cette situation juridique délicate, le Parlement réagit en annulant d'abord les deux destitutions. Ensuite, réunies en « Congrès national », les deux Chambres décidèrent de constituer une commission de Sages chargée de réconcilier les deux dirigeants. Un projet d'accord fut même élaboré portant sur la répartition de compétences entre les deux fonctions. En réalité, cette réconciliation était impensable car trop de personnes avaient intérêt à ce qu'elle ne se fasse pas. Les Américains y étaient farouchement opposés, de même que les Belges. C’est dans ce contexte qu’arrive un troisième larron qui saisit maitre Aliboron.

2.     L’effet Mobutu

« … Ici c’est le colonel Mobutu Joseph qui vous parle de Léopoldville (…) l’armée nationale congolaise a décidé de neutraliser le chef de l’Etat, les deux gouvernements rivaux en présence ainsi que les deux chambres législatives jusqu’à la date du 31 Décembre 1960…»

Ainsi donc ce 14 septembre, le colonel Joseph Mobutu, chef d’état-major de l’armée, entre en scène en annonçant la « neutralisation » des deux têtes de l’exécutif. Il faut noter qu’auparavant Lumumba avait nommé Mobutu secrétaire d’Etat au moment de l’indépendance et qu’il l’a ensuite fait chef d’Etat Major de l’armée nationale congolaise suite à la mutinerie. Cependant, avec l’arrivée de Mobutu au pouvoir, on peut voir une idée en filigrane : « isoler Lumumba et l’écarter définitivement du pouvoir».
Lumumba est placé en résidence surveillé le 10 Octobre. Entre temps, la complicité internationale, habilement orchestrée par le colonel Mobutu au détriment de le Premier Ministre Lumumba, permit au Président Kasavubu de se faire reconnaître le 23 novembre 1960 par l'Assemblée générale de l'ONU comme seul pouvoir légal au Congo. Le Premier Ministre Lumumba comprit alors qu'il devait faire vite : non seulement de nombreux lumumbistes arrêtés étaient acheminés à la prison de Luzumu mais ses amis du camp progressiste se trouvaient désormais dans une position diplomatique délicate vu l'option prise par l'ONU. Il décida de se rendre à Stanleyville . Le leader du Mouvement national congolais (MNC) s’échappe de Léopoldville le 28 novembre. Il veut rallier Stanleyville, son fief de la province Orientale, où Antoine Gizenga, ancien vice-Premier ministre, a décidé d’installer le gouvernement déchu.
( Antoine Gizenga à gauche , Ralf Bunche , représentant de l’Onu et Dag Hammarskjöld secrétaire général de l’ONU)
Il se fit arrêter le 2 décembre à Lodi, dans le Kasaï. Conduit à Léopoldville, le Premier Ministre Lumumba fut finalement transféré à Thysville sous la garde des troupes d'élite. Il est emprisonné jusqu’au début du mois de Janvier où les incidents qui survinrent précipitèrent le cours des choses.

(Lumumba arrêté. Source getty images)
 1.     Pourquoi Lumumba devait être éliminé

Stanleyville qui, depuis le 13 décembre, s'était proclamée le « seul gouvernement légal du Congo » venait de se révéler comme un véritable danger. Une situation nouvelle se dessinait dans la capitale et dans ses environs immédiats où l'on enregistra à nouveau, du 7 au 14 janvier, une succession de mutineries militaires à Thysville et à Léopoldville. Les problèmes de soldes, de grades et d'inégalités furent à nouveau évoqués. Il devenait urgent pour le pouvoir de Léopoldville de régler le problème le Premier Ministre Lumumba, au risque de le voir resurgir à la faveur de l'effervescence qui gagnait les camps militaires. En effet, une fois arrêté, le Premier Ministre Lumumba s'attira à nouveau la sympathie de quelques-uns. Manifestement le temps travaillait pour lui. Même à l'ONU, la pression en faveur de sa libération, se faisait plus forte et plus pressante. A Washington, le républicain Eisenhower allait quitter le Maison Blanche. L'investiture du jeune démocrate élu, J.F. Kennedy, était prévue pour le 20 janvier. Il fallait en finir avec l'affaire le Premier Ministre Lumumba avant cette échéance. Pour l’assassiner, faut pas se tacher les mains. Donc l’idée d’envoyer Lumumba chez ses pires ennemis a été retenue : direction Katanga.

v Le film de l’assassinat
La journée du mardi 17 janvier, la dernière que connut le Premier Ministre Lumumba, fut l'une des plus longues. Pour le Premier Ministre Lumumba, la journée commença vers 4h30 du matin, lorsqu'il quitta sa prison, escorté par des soldats. A 16 h 50 à Élisabethville, capitale du Katanga, le DC-4 d'Air Congo immatriculé 00-CBI en provenance de Moanda, sur la côte atlantique, descend sur l'aéroport de Luano et s'immobilise sur la zone militaire. Sur le tarmac : des éléments de la gendarmerie katangaise et leurs encadreurs belges. Mais aussi quelques ministres du Katanga en pleine sécession, dont celui de l’Intérieur, Godefroid Munongo, et, plus loin, une unité de Casques bleus suédois. Trois hommes, mal en point, attachés par une corde, sont poussés sans ménagement hors de l’appareil. La foule et les officiels s’excitent en reconnaissant Patrice Emery Lumumba, Premier ministre du Congo jusqu’au 5 septembre 1960, et ses deux compagnons, Joseph Okito, ex-vice-président du Sénat, et Maurice Mpolo, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports. En guise d’accueil, les trois prisonniers, traités sans le moindre égard, essuient injures, coups de poing et de crosses de fusils. Et sont jetés dans une Jeep. Un cortège hautement sécurisé s’ébranle en direction d’un lieu sûr, en l’occurrence une maison appartenant à un colon belge. Moïse Kapenda Tshombe, président du Katanga et ennemi juré de Lumumba, arrive sur les lieux vers 18 h 45.
À 22 heures, un convoi quitte le lieu de détention. Tshombe en personne est du voyage. Quarante-cinq minutes et cinquante kilomètres plus tard, il s’arrête à Mwadingusha. Le commissaire de police belge, Frans Verscheure, fait descendre les trois prisonniers de sa voiture et les conduit devant le peloton d’exécution. Placé devant un arbre, Okito est le premier à être fusillé. Puis vient Mpolo et, enfin, Lumumba. Leurs corps sont jetés dans une fosse commune. Il est 23 heures. L’exécution fut dirigée par Julien Gat. Quelques semaines plus tard, suite à l’annonce de la mort de Lumumba, les corps sont déterrés et démembrés avant d’être mis dans une cuve d’acide afin de faire disparaitre toutes les preuves. L’exécuteur de cette mission gardera une dent de Lumumba comme souvenir…

v L’histoire d’un complot international

1.     La Belgique
Plusieurs décennies après l’assassinat de Lumumba, une commission parlementaire en Belgique a entamé des travaux en mai 2000, en examinant les archives du gouvernement belge et du Palais royal et auditionné de nombreux témoins, muets depuis les événements. Un volumineux rapport en deux volumes et un millier de pages a été livré.
Selon les conclusions des députés belges, Patrice Lumumba, qui a joué un rôle capital dans l’accession de son pays à l’indépendance après plus de 75 années de colonisation belge, a été tué quelques heures seulement après son transfert au Katanga «organisé par les autorités congolaises de Léopoldville avec le soutien d’instances gouvernementales belges». Selon la commission, ces «acteurs» ont œuvré pour écarter Lumumba du pouvoir puis ont participé à son transfert vers ses ennemis au Katanga (dans l’est du pays) «sans exclure la possibilité qu’il y soit mis à mort». Les parlementaires avaient également épinglé le roi Baudouin 1er, le roi des Belges à l’époque, pour avoir noué des contacts avec les adversaires de Lumumba. S’exprimant devant la Chambre des représentants, le chef de la diplomatie belge a enfoncé le clou : «Certains membres du gouvernement d’alors et certains acteurs belges de l’époque portent une part irréfutable de responsabilité dans les événements qui ont conduit à la mort de Patrice Lumumba», a affirmé Louis Michel. En 2002, le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, présente publiquement au peuple congolais et à la famille de Patrice Lumumba les « excuses » de son pays et ses « profonds et sincères regrets pour la douleur qui leur a été infligée ».
(Le ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel (G) et le fils de Patrice Lumumba, Roland Lumumba (D), arrivant au cabinet du Premier ministre belge Guy Verhofstadt, le 5 février 2002.
Herwig Vergult /BELGA/AFP )
1.     Les Etats Unis

C’est à un ancien agent devenu mémorialiste qu’on doit le récit détaillé de l’un des épisodes les plus marquants des opérations secrètes que mena la CIA au lendemain des indépendances africaines : la neutralisation de Patrice Lumumba, le charismatique Premier ministre congolais, au profit de Joseph-Désiré Mobutu, un officier ambitieux acquis à l’Occident.
Au cœur du dispositif de la CIA au Congo, de 1960 à 1967 : Lawrence « Larry » Devlin. En 2007, dans Chief of Station, Congo: Fighting the Cold War in a Hot Zone, ce dernier levait le voile sur les manœuvres de l’Agence visant à écarter Lumumba du pouvoir. Soutenu par divers pays socialistes, de la Chine au Ghana, Lumumba est vu par les États-Unis comme un homme dangereux, voué à basculer dans le camp du mal. « Tôt ou tard, Moscou prendra les rênes, écrit Larry Devlin dans un câble. Lumumba croit pouvoir manipuler les Soviétiques, alors que ce sont eux qui tirent les ficelles ». Allen Dulles, le directeur de la CIA, lui répondra personnellement : « Son départ doit donc être pour vous un objectif prioritaire et urgent ». L’agent déploie alors tout l’arsenal classique des opérations tordues. Disposant d’un budget (fort important pour l’époque) de 100 000 dollars, il organise des actions de contestation contre Lumumba, cherche à isoler ce dernier politiquement, incite Kasavubu à le démettre. Mais l’indocile Premier ministre s’accroche à son siège. Décision est donc prise d’employer les grands moyens. En septembre 1960, tandis qu’il patiente dans l’antichambre du président Kasavubu, Devlin voit débouler un colonel d’à peine 30 ans, Joseph-Désiré Mobutu, que Lumumba a nommé chef d’état-major. Brandissant la menace d’une imminente invasion soviétique, l’officier va droit au but : « L’armée est prête à renverser Lumumba […]. Puis-je considérer que les États-Unis nous soutiennent ? » La CIA vient de trouver son supplétif. Au mémo que Devlin adresse à Langley pour rendre compte de son plan, Allen Dulles répondra : « J’ai confiance en vous ». Dès septembre 1960, Mobutu tente un premier coup d’État. Lumumba est arrêté, mais la légitimité fait défaut au nouveau régime, tandis que le Premier ministre déchu bénéficie de la protection de l’ONU et du soutien d’une partie de l’armée. Un certain Joe de Paris, débarqué de Langley, présente alors à Devlin une pharmacopée empoisonnée destinée à éliminer physiquement Lumumba. Mais « Larry », pas convaincu, estime préférable de laisser les Congolais sceller son sort. Le 17 janvier 1961, Mobutu livre Patrice Lumumba à son ennemi juré, le leader katangais Moïse Tshombe…
À l’heure de quitter le Congo, en juin 1967, le chef de station de la CIA avait reçu la visite de Mobutu. L’homme à la toque léopard lui offrit ce jour-là un portrait le représentant, orné d’une dédicace aussi flatteuse qu’éloquente : « À mon excellent et vieil ami L. Devlin, pour tout ce que le Congo et son chef lui doivent. »

2.     Le Katanga
Patrice Lumumba, anti-impérialiste, panafricaniste et père de l’indépendance du Congo, n’a pas grand chose en commun avec Moïse Tshombé. Il faut noter déjà que les deux ont des visions différentes de L’Etat.
 Lumumba mise plutôt sur l’unité alors que Tshombé est fédéraliste. D’ailleurs méme il ne tardera pas à faire sécession dès les premiers jours du Congo indépendant.
                                             (Moise Tshombé. Source getty images)
Le personnage de Lumumba taxé de « communiste » tranche bien avec celui de Tshombé qui apparait comme l’homme des Belges.
L’opération de reconquête du Katanga lancée par Lumumba après la sécession n’a fait qu’exacerber la haine que lui vouait les katangais. Bref, la présence du prisonnier Lumumba au Katanga ne pouvait se solder au final qu’avec sa mort. 
Le Katanga cachera le meurtre de Lumumba pendant trois semaines. Radio Katanga n’annoncera son « évasion » que le 10 février 1961. Les autorités katangaises ajouteront, trois jours plus tard, que Lumumba a été reconnu par des villageois qui l’ont tué. Un médecin belge signera un faux certificat de décès.
(Certificat de décès de Lumumba , Source : getty images )
Au Katanga, cet assassinat de ne suscite guère l’indignation, au contraire.

« Chez les étrangers, Belges et autres, peu de regrets sur la disparition du personnage, mais de l’inquiétude sur les conséquences de la publicité faite autour de l’événement, rapporte Marcel Thibault, consul de France à Élisabethville, dans un câble daté du 16 février 1961. Chez les Katangais, cela va de l’indifférence totale à la joie bruyante en passant par le soulagement ». Godefroid Munongo, bras droit de Tshombe, a joué un rôle de tout premier plan dans cette affaire, selon Ludo De Witte.

« Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur »

C’est sur ce passage du discours de Lumumba prononcé le 30 Juin 1960 que nous refermons ce numéro de Grands d’Afrique.
( Patrice Lumumba . Source : getty images )



Bibliographie

Webographie
·        Arsenault Michel , Vie et mort de Patrice Lumumba , Rfi , 2017
·        Bah Mehdi , Histoire : quand la CIA faisait les quatre cents coups en Afrique , Jeune Afrique , 2016
·        Foka Alain , archives d’afrique-Patrice Lumumba , rfi 2010
·        Kairouz Matthieu , Ce jour-là : le 11 juillet 1960, le Katanga proclame son indépendance , Jeune Afrique , 2016
·        Courrier hebdomadaire du CRISP , La Conférence de la Table ronde belgo-congolaise (20 janvier - 20 février 1960) , Décembre 1960 , n°58 , 20 Pages
·        Rfi savoirs , Mort de Lumumba: les excuses de la Belgique , 2018


Filmographie
Ferrari Alain  , AFRIQUE(S), Une autre histoire du 20ème siècle, temps noir , 2010 
Archives fresques INA sur le Congo 

Commentaires

  1. Encore merci frère Bathie Samba
    Ça sera toujours un énorme plaisir d'apprendre plus sur les grands d'Afrique et de lire vos magnifiques travaux
    Contre vents et marées.....

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  2. Article bien détaillé et bien argumenté aussi comme d'ailleurs. Bonne continuation frère.

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