Sékou Touré, deux visages
26 Mars 1984 - 26 Mars 2019
« Il est devenu simultanément un
héros africain et un dictateur ghanéen ». Le kényan Ali Mazrui parlait de Kwame Nkrumah. Mais ces
mots peuvent aussi qualifier Sékou Touré, le controversé qui porte deux
costumes à la fois : celui du
panafricain engagé et du dictateur sanguinaire.
Sékou Touré
serait né en 1922. Il devient président de la Guinée de 1958 au 26 Mars 1984,
date de son décès à Cleveland au Etats-Unis où il devait suivre une opération
chirurgicale. Ce que l’on retient toujours c’est son fameux « Non »
au général De Gaulle. A l’époque en 1958, il tranchait déjà avec bon nombre de
ses pairs. Ce qui peut s’expliquer. La majeure partie des dirigeants africains
lors du référendum étaient formés à Dakar, soit à L’école William Ponty ou à
l’école de médecine. Ils étaient pour la grande partie des enseignants ( Hamani
Diori, Modibo Keita etc.).Pour Sekou Touré, c’est un autre cas. Il n’a pas eu
d’études poussées et s’est très tôt investi dans le syndicalisme. Nourri par
les idéologies de gauche, il a incarné la rupture avec l’ancienne métropole.
Lors du référendum de 1958, on voyait déjà la prise de position des
syndicalistes qui optaient pour une indépendance. Au Niger, Djibo Bakary milite
pour le « NON ». A Dakar, les syndicalistes à travers Valdiodio
Ndiaye demandèrent leur indépendance. En Guinée, Sekou Touré obtient
l’indépendance de son pays suite au référendum du 28 Septembre 1958.
Bases d’un
régime dur.
Ce qu’il
faut comprendre déjà, c’est que l’existence d’un régime autoritaire n’était pas
l’apanage de la Guinée. A l’époque après les indépendances, on enregistrait
l’installation de régimes civils durs avec un parti unique. Après l’échec des « pères
de l’indépendances » qui ont été pour la majeure partie chassée ( Tombalbaye,Hamani Diori, Maurice Yaméogo,
Olympio, Ould Daddah, Hubert Maga…) on voit l’installation de régimes
militaires. En Guinée, après l’indépendance, la France déclarait « la
guerre » à Sékou Touré. A travers les réseaux Foccart, la Guinée va faire
l’objet de plusieurs tentatives de déstabilisation. A partir du Sénégal (opération
Persil) et de la Guinée portugaise, des opérations vont être lancées. Ce qui va
pousser de plus en plus Sékou Touré à développer un régime autoritaire prêt à
mater toute tentative. A l’époque aussi dans un contexte de guerre froide,
certains médias internationaux s’évertuaient à faire échos que de l’aspect
négatif de la Guinée, écornant l’image de Sékou Touré au passage. Dans cette
optique, d’aucuns lui attribueront la mort d’Amilcar Cabral.
Le panafricain
Une constante
a été toujours présente dans son œuvre : le panafricanisme. Il faut comprendre que Sékou Touré n’était pas
un homme qui se laissait dicter sa conduite par un autre président comme lui.
C’est de son pays qu’est issu le premier secrétaire général de l’OUA. Faisant
parti du groupe de Casablanca, il avait l’idéologie de l’unité africaine. Après
le coup d’Etat qui renverse son ami
N’krumah en 1966, il l’accueille en Guinée jusqu’à sa mort en lui
proposant la coprésidence du pays. Avant cela, on note l’union qu’il avait
réalisée avec le Mali de Modibo Keita et le Ghana. Sékou Touré aidait aussi les
mouvements de libération. Par exemple, il offre son pays comme arrière base à
Cabral et ses prises de position pour Lumumba lors du conflit congolais est
aussi remarquable.
Les dérives
Exposé à des
tentatives de coup d’états, le régime de Sékou Touré ne pouvait que mettre en
place un système totalitaire pour se protéger mais bien des dérives ont été notées.
Rien ne peut cautionner les atrocités commises dans les prisons et camps
militaires notamment celui du camp Boiro. Les témoignages de ceux qui ont eu la
chance d’en ressortir vivant est juste extraordinaire. L’histoire avec Diallo
Telli est aussi très marquante. Etant un des rares cadres guinéens à l’indépendance,
il rentre servir son pays dans un contexte où la Guinée était « laissée
à elle même ». Diallo Telli, ayant suivi une formation de juriste va
s’évertuer à faire accéder son pays à l’Onu. Il va aussi devenir en 1963, le
premier secrétaire général de l’organisation de l’unité africaine. A la fin de
son mandat, il rentre dans son pays où il devient ministre de la justice. Mais
certains de ses proches lui conseillaient de ne pas rentrer notamment Senghor. Sékou
Touré va lui faire porter le chapeau du « complot peul ». Diallo
Telli est envoyé au camp Boiro où il meurt de « diète noire » :
on ne mange pas on ne boit pas jusqu’à ce que mort s’en suive. Lors du
« complot peul », à travers les ondes de la radio, Sékou Touré
lançait des messages loin de cultiver l’unité, pour être euphémique. Avec lui
aussi, l’opposition en Guinée était systématiquement réduite à sa plus petite
expression. Les intellectuels fuyaient le pays, dans ce sillage on a la figure
de Camara Laye. Djibril Tamsir Niane lui est passé à la case prison aux
premières heures de l’indépendance.
L'après Sékou Touré
La Guinée et
la Cote d’ivoire d’une part partagent ce que j’appelle le « syndrome des
lendemains ». Après le décès de leurs « pères de l’indépendance »
qui ont longtemps gouverné sans préparer leur succession, leur pays sombre dans
des crises qui auront bien des répercussions. En Cote d’ivoire, c’est le coup
d’Etat de Robert Guei en 1999 et une guerre civile après.
Pour la Guinée,
une semaine seulement après la mort de Sékou Touré, Lansana Conté fait un coup
d’Etat et prend le pouvoir. Malade, il va s’accrocher au pouvoir jusqu’à sa
mort en 2008 après 24 ans en tant que président. Avec son décès, bis répétita.
Comme avec le décès de Sekou Touré , 2 jours après celui de Conté, le 24
Décembre 2008, un certain Moussa Dadis Camara s’installe. On connait la suite
de l’histoire.
Sékou Touré,
une des grandes figures de l’Afrique. Nous reviendrons plus amplement sur son
histoire dans Grands d’Afrique.
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