Sembène et les coulisses de Guelwaar

Dans le cadre de la préparation du prochain numéro de Grands d'Afrique qui paraîtra ce Samedi 16 Mars et qui porte sur Sembène Ousmane, nous sommes allés à la rencontre de Moustapha Diop. Un grand monsieur dans le cinéma sénégalais. Il avait travaillé avec Sembène Ousmane en tant qu'acteur notamment dans son film Guelwaar ou il interprète le rôle d'Aloise. Il est revenu sur beaucoup de points riches en ensiegnements. Nous vous les livrons dans les lignes ci dessous. Bonne lecture






Par Bathie Samba Diagne, étudiant au département d'histoire, Ucad 

kluivertb1@gmail.com




Vous n’êtes plus à présenter mais faites nous un petit rappel de votre parcours
Je m’appelle Moustapha Diop. Je suis né et j’ai grandi à la Médina. J’étais à Daraay Kocc depuis ma prime jeunesse. Mais avant d’être à Daraay Kocc, je suis passé par la troupe «  Jamonoy Tey » où je faisais parti des membres fondateurs. C’était lors de l’époque du théâtre radiophonique, bien avant l’avènement de la télévision. Avec l’arrivée de cette dernière, nous étions à cheval entre le théâtre radiophonique et le théâtre filmé. Vers la fin des années 1970, il y’a eu une scission dans Jamonoy tey. En 1980, nous créions la troupe théâtrale Daraay Kocc. J’y étais de 1980 à 1993. Après avoir joué dans «  Un DG peut en cacher un autre », Daraay Kocc avait aussi joué quelques années plus tard, « les 4 vieillards dans le vent », je n’y avais pas participé. La dernière pièce que j’ai eu à jouer était « Teuss teuss ». C’est la pièce ou y’avait Makhouradia Guèye et Baye Peul. C’était ma dernière apparition officielle à Daraay Kocc. Après j’ai arrêté.
Dans quelles circonstances avez-vous fait la connaissance de Sembène Ousmane ?
Je peux dire qu’il s’agit de deux circonstances, l’une indirecte, l’autre directe. S’agissant de la première, Sembène fut un ami de mon beau père. Ce dernier avait joué avec lui dans « Le mandat » (NDLR il avait joué aussi dans Xala). Il s’appelait Abdoulaye Farba Sarr, professeur d’art dramatique et de diction à l’école nationale des arts, il fut aussi le défunt mari de madame Nicole Sarr qui était à la RTS. Déjà à travers lui, je connaissais Sembene. Aussi je le connaissais à travers ses films.  S’agissant de la deuxième circonstance, c’était dans le cadre du film Guelwaar.

« Sembene est un homme méticuleux dans ses choix.»


Comment avez-vous été pris dans le film Guelwaar ? Avez-vous fait le casting ou bien Sembène vous avait personnellement appelé ?
 Effectivement, j’ai fait le casting comme tout le monde. Sembene est un homme méticuleux dans ses choix. Certainement il s’agissait d’un casting ciblé. Un bon jour, on m’a appelé en me disant que Sembène avait besoin de moi. J’y suis allé. Il a eu un entretien avec Lamine Ndiaye qui était à Jamonoy Tey et moi. Il nous a parlé de son projet « Guelwaar » et nous proposait le rôle des fils de Guelwaar ( Aloise et Barthélémy ). Il nous a donné le scénario en nous disant «  regardez ça, vous revenez quand ? », je lui ai dit dans une semaine. La semaine d’après, je suis venu. Il faut dire que Sembène est un homme qui teste ses acteurs sur le contenu du film. On en a parlé, je lui ai donné mes appréciations et observations sur le scénario. On a échangé après je suis allé faire le casting. Après, on a fait des essais avec Lamine Ndiaye pour les rôles de Barthélémy et d’Aloise. Après on m’a appelé, j’ai discuté avec lui comme il le faisait avec la plupart, je suis tombé d’accord avec lui pour le rôle d’Aloise.  Ce qui est sur c’est qu’à chaque fois, Sembène fait un casting. C’est un homme qui sait bien observer aussi.

Guelwaar fait parti sans doute des films les plus réussis du cinéma sénégalais. Quels souvenirs gardez-vous du tournage de ce film ?
Ce sont de très bons souvenirs vraiment bien que ça commence à dater car j’avais démarré en Décembre 1991. Cela fait presque 28 ans maintenant. Ce sont des souvenirs impérissables parce qu’après le casting, on avait fait un travail de groupe. Il y’avait un scénario en français, une transcription en Wolof en plus Sembene insistait pour qu’on prenne un accent sérère et pour ça, entre le moment où il nous avait pris et le démarrage du film, il est allé parcourir le monde pour trouver des financements. Entre temps, il nous avait demandé, à toute l’équipe, les principaux personnages, de nous rencontrer une fois par semaine à son siège sous la supervision de son directeur de production, Mbengue pour échanger sur les dialogues. Cela nous permettait aussi de raffermir nos liens. Chaque vendredi, à 17 heures, on se rencontrait pour échanger. Personnellement, j’avais une facilité à transcrire la langue wolof, certains avaient cette difficulté, souvent je les aidais à trouver les synonymes wolofs de certains mots. Aussi personnellement j’avais un défi : épouser l’accent serere bien que je suis lébou. Au retour de Sembene, quand on a fait les derniers réglages, au moment du tournage, nous avions eu aucun problème, tout le monde était à l’aise, c’était vraiment huilé. De 6 heures du matin à 18 heures, nous faisions les tournages, à notre retour on se reposait. C’était la routine. Vraiment j’en ai de beaux souvenirs. Quand on finissait le tournage du film en Février 1992, cela coïncidait à un Dimanche, à deux jours de la venu du Pape au Sénégal (ndlr : Pape Jean Paul II avait voyagé dans quelques pays en Afrique de l’ouest du 19 au 26 Février 1992). Les figurants chrétiens dans le film en ont profité pour nous vendre quelques souvenirs. Nous en avions acheté. Après, ils allaient accueillir leur Pape et nous, on terminait le film. Le tout baignait dans une belle atmosphère. On s’est quitté sur une note, une ambiance vraiment extraordinaire. C’est un film qui m’a marqué. Avant la fin du film, j’avais dit à un de ses assistants, Thior que je ne savais pas comment allait terminer ce film mais je pense que Sembène ne ferait plus un film meilleur que celui-ci. J’avais ce pressentiment. Thior m’avait demandé pourquoi j’avais dit cela et je lui répondis que le contenu était essentiel en plus il y’avait de la qualité.

«...l’histoire de Guelwaar partait d’un fait divers paru dans un journal »


Pouvez-vous revenir sur les motivations de Sembène à réaliser ce film ?
A l’origine, Sembène préparait une saga sur l’histoire de Samory Touré. Cela devait être une superproduction «  hollywoodienne ». Sembène voulait faire de ce film son œuvre majeure. Cela devait être une œuvre monumentale qui englobait toute l’Afrique de l’ouest. Pendant des années, il y a travaillé, écrit le scénario, fait des recherches et tout mais l’œuvre nécessitait un budget colossal. Le temps de faire un périple pour réunir les fonds, Sembène craignait de perdre la main car la préparation du film tenait sur des années. Le temps de boucler les moyens nécessaires pour ce film, Sembène voulait faire un film entre-temps pour se faire la main pour réaliser le film sur Samory après. Et on m’a dit que l’histoire de Guelwaar partait d’un fait divers paru dans un journal, dans un hôpital où une confusion s’était faite entre un cadavre musulman et chrétien. Sembène s’est appesanti sur ce fait divers pour imaginer l’histoire de Guelwaar. Ce qui est extraordinaire, dans le film Guelwaar, le musulman qui est décédé ( ndlr : Meissa Ciss ) n’a pratiquement pas d’histoire. De l’autre coté, pour le chrétien qui décédé, ( ndlr : Guelwaar ) Sembène est revenu sur sa personnalité. Un panafricain comme lui , un homme qui luttait contre l’aide alimentaire avec beaucoup de valeurs que prônaient des hommes comme Sankara et autres. Sembène revient aussi sur certaines tares comme la trahison dont est victime Guelwaar, il revient aussi sur la coexistence entre chrétiens et musulmans, le dialogue islamo-chrétien en plus aussi il revient sur la mendicité et la prostitution. Un jour, avec un peu d’humour j’avais dit à Sembène, avant que je ne fasse le casting, que dans son histoire (Guelwaar) il faisait la part belle aux chrétiens parce qu’eux ils ont leur abbé et les musulmans ont leur imam mais chaque fois que ce dernier parle cela suscitait des polémiques ce qui n’était pas le cas pour les chrétiens. A cette remarque, il riait en me disant « ma weer sama guedj kou beug nga for » (chacun est libre de l’interprétation qu’il en fera). Tout cela, c’est pour vous dire, qu’il posait les problèmes de manière crue, comme il les sentait et c’est finit. Il aimait faire des choses qui poussaient à la réflexion, à la prise de conscience. Ces aspects, je les ai découverts chez lui. En un moment donné dans le film, il y’a une scène où, l’imam, harcelé était obliger d’insulter pour se faire valoir (rires). Ce sont des symboles forts. Aujourd’hui si on refait ce genre de scène dans un film, on le mettra dans un mauvais registre et cela serait très mal vu alors que cela ne dépend que du contexte de la scène. Il faut voir une corrélation entre la personnalité de Guelwaar et celle de Sembène.


Ou a été joué Guelwaar ?
 Le film a été tourné dans la région de Thiès, principalement dans la ville. On logeait à la sortie de Thies, vers Bambey à Yander. Chaque jour, on tournait dans Thiès, puis on sortait après Médina Fall avant Lam-Lam sur la route de Tivaouane. Keur assane était le village principal là où il y’avait le cimetière. S’agissant de la dernière scène du film, là où les jeunes s’attaquaient au camion d’aide alimentaire, elle a été jouée sur la route qui mène à Sindia, après le stade Lat Dior. En somme, le film a été joué dans la région de Thiès.

«Les décorateurs ont créé un...  »

Parlez nous des scènes au cimetière avec le corps déterré. S’agissait-il d’un mannequin ? Pouvez-vous revenir sur le tournage.
Pour faire le cimetière, on a pris un champ en location. Après on a fait la clôture. Les décorateurs ont créé un cimetière fictif avec des tombes fictives. Le tournage des scènes au cimetière avait pris des jours. Il y’avais pas eu de faux décors, tout était bien réalisé. Chaque jour, chacun se mettait à sa place de la veille. Il y’a jamais de changement. Chaque jour, on portait la même tenue et on se mettait sur la même place que les jours précédents. C’était vraiment quelque chose d’extraordinaire. Dans le film, la scène est continue mais dans la réalité, on avait fait des jours là bas. Cela montre que Sembène était très méticuleux. Il ne laissait rien au hasard en plus il avait une bonne maitrise de la chose. Même si c’était dur, cela devenait une routine pour nous. On s’était bien adapté. S’agissant du corps, il était fabriqué. C’était de la cire, c’est comme du naturel. Le décorateur était un jeune à l’époque. Moustapha Ndiaye Picasso, il est toujours dans le cinéma. C’est un spécialiste du décor.

(Moustapha Diop en bleu lors du tournage)

La première fois que vous avez visionné le film entièrement qu’avez-vous senti ?
Je l’ai regardé une fois. C’était à la salle de l’unité africaine au Cices. C’était vers la fin de l’année 1992 à la sortie du film. On nous avait invité pour le visionnage sur grand écran. C’était vraiment impressionnant. J’avais eu la certitude que le film serait réussi comme je l’avais à Thior, assistant de Sembène. Je lui avais dit aussi que ce serait difficile de voir un film sénégalais mieux réussi que Guelwaar. Dans ce film, tu peux voir l’expression de beaucoup de vertus telle la fierté, le fait de croire en soi. D’un autre coté, l’aspect patriotique voire panafricain. Je pense que c’est la seule fois où j’ai regardé le film. Après je n’ai pas eu l’occasion de le visionner en entier. Aussi grande que soit la renommée de Guelwaar, il n’a jamais été diffusé dans une salle de cinéma sénégalais. Ceux qui savent Guelwaar l’on su pour la plupart à travers les plateformes de visionnage sur internet.
Parlez nous un peu des acteurs de Guelwaar ?
D’abord je dirai que le casting a été bien fait. Sembène a bien veillé à la sélection. L’ossature venait du théâtre national Daniel Sorano : gendarme Gora, Guelwaar, Mame Ndoumbé( la femme de Guelwaar),le cercle des vieux dirigé par Samba Wane et Coly Mbaye. Certains venaient du théâtre populaire comme moi. D’autres choisis « dans le tas » étaient des figurants. C’est une panoplie qui a bien été à la hauteur des attentes. Chacun a bien fait son boulot. Un travail d’équipe exécuté dans la cohésion. Dans la famille Ciss, il y’avait un vieux qui avait un problème dans son jeu. Je me disais même dans ma tête qu’il va être un talon d’Achille. Mais j’ai vu Sembène avec une patience extraordinaire. Il discutait avec lui en lui montrant les gestes qu’il devait faire avec beaucoup de soin comme une marionnette. Ce qui m’avait étonné le plus, c’est qu’au finale, la famille Ciss avait rempli son rôle d’une manière extraordinaire. Et là je me suis dit que seul un grand directeur d’acteur pouvait faire cela. Et Sembène en était un. Les chorales, la veillée funèbre…Ce film m’a grandement marqué !


(Sembène Ousmane )

Selon vous, qui est Sembène Ousmane, pouvez vous revenir un peu sur sa personnalité ?
 Je ne saurais écrire un livre sur toute sa personnalité. Quand je l’ai côtoyé c’était dans « Guelwaar ». Je peux dire qu’il était un homme de principes, un homme de parole et un homme de rigueur. Il n’aimait pas trop verser dans les détails, dans le superflu. Il allait toujours à l’essentiel. Aussi il aimait une personne qui croit en lui. Quand il discute avec toi, il ne parlait pas de questions de forme mais de fond. C’était une personne entière. Rien ne l’entravait. Si vous venez dans son bureau par exemple et qu’il est libre, vous pouvez discuter mais si vous terminez de parler de l’essentiel et vous commencez à verser dans des banalités, il vous dit hop ! Allez continuer votre travail je fais le mien (rires). Il aimait aussi susciter la discussion. Il ne minimisait personne, que vous soyez grand ou petit. Après le film Guelwaar, entre ce film et « Faat Kiné » (ndlr : film réalisé au tout début des années 2000), étant donné que mon lieu de travail était proche du sien,  il avait son bureau dans les anciens studios de la RTS, parfois j’allais le voir. A chaque fois, il voulait discuter, il échangeait sur tous les sujets après vous passez à l’essentiel. Il savait discuter. Il savait ouvrir une porte mais il savait aussi fermer. Il savait comment gérer une personne et ne versait pas dans le superflu.  C’est ce que je peux dire de sa personnalité.

«De toute ma carrière, Guelwaar est le seul film dont... »

On vous a retrouvé dans « Faat Kiné » de manière sommaire. Avec le recul, quel souvenir avez-vous de ce film et de Guelwaar ?
Effectivement, j’y ai fait une apparition brève mais symbolique. Sembène est difficile à convaincre en tant que réalisateur. Un acteur ne peut pas le tromper, il avait un œil très pointu et savait diriger des acteurs. C’était un véritable directeur d’acteurs en dehors d’être un réalisateur. Il sait puiser la matière dans ses acteurs. Entre Guelwaar et Faat Kiné, à travers les discussions qu’on faisait, je sentais l’estime qu’il avait envers moi. En plus, il m’associait indirectement à ses futurs projets, comme le film sur Samory par exemple. Il ne me l’a pas dit de manière explicite mais je pouvais lire cela en filigrane. Un jour, quand il m’avait pris dans Guelwaar, quand je commençais à répéter une séquence, il m’a lancé « hé écoute, on n’est pas à la télévision » et a poursuivi son chemin. C’était une manière de m’avertir que le cinéma était beau plus sérieux et beaucoup plus complexe. Il m’avait lancé cette boutade et j’avais compris. Dans une autre séquence, cette fois-ci, je l’avais impressionné. Quand il m’avait donné le scénario, il avait oublié de me dire que Aloise ( ndlr : personnage dans le film) était un handicapé qui boitait. Il ne me l’a jamais dit mais j’avais vu cela dans le scénario. Je me suis gardé de lui faire cette remarque pendant une année. Au mois de Décembre 1991, le jour où je devais commencer le tournage, nous étions dans l’hôpital. Tout le monde était prêt, nous avions fait les maquillages et tout. Là alors qu’on devait donner le coup de manivelle, Sembène s’arrête brusquement et me dit «  Mais est ce que je t’ai dis qu’Aloise doit boiter ? » je lui répondis que non. Là il s’est pris la tête en poussant un petit mot de stupéfaction, ce qui a attiré les regards sur lui. Alors on lui demanda qu’est ce qui s’était passé et il faisait l’état de la situation à ses collaborateurs.  Après il me demanda «  Qu’est ce qu’on va faire ? » et je lui ai dit que j’étais prêt et que j’étais venu pour travailler. Il demanda 10 minutes de suspension à l’équipe pour que je répète ma démarche. Mais dans mon fort intérieur, étant donné qu’il m’avait prévenu de la complexité du cinéma en me lançant une boutade,  j’avais préparé cela. Auparavant, j’avais joué dans une pièce de théâtre « Lapis » où je boitais. Peut-être même que c’est grâce à cette pièce que j’ai été copté pour ce rôle mais étant donné que les formes de handicap étaient différentes dans les deux films, la démarche devait être différente aussi. Donc j’avais préparé cela. Maintenant quand il m’a dit qu’on démarre pour 5 minutes d’essai sur 10 mètres, à même pas 3 pas, il dit « on arrête, c’est bon, on tourne ». Après il me regarda avec un petit sourire que je lui rendis (rires) et c’est passé. Je pense que depuis lors, il a eu de l’estime pour moi. Je pense qu’un acteur doit être prêt et avoir une bonne panoplie pour répondre aux exigences du jeu. J’avais gardé cette conception pour moi. Pour tourner ce film, j’avais pris deux mois de congés là où je travaillais pour me consacrer à ce film et financièrement ça en valait le coup. Dans ma maison, ici aux Parcelles assainies, je peux vous monter bien des choses dont j’ai pu obtenir grâce à l’argent qu’on m’a payé pour Guelwaar. De toute ma carrière, Guelwaar est le seul film dont l’argent qu’on m’a payé est toujours présent à travers les biens que j’ai pu acheter. Ce que j’ai pu avoir avec Guelwaar, je ne l’ai jamais eu lors de ma passage à Jamonoy Tey, ni à Daaray Kocc ni à la télévision. Je dirais que Guelwaar est un souvenir dans les souvenirs car ça m’a marqué dans beaucoup de plans.

« Quand les autres allaient prendre le déjeuner, il ne bouge pas. Il ne boit que du lait. »

Aviez-vous gardé le contact avec Sembène après « Faat Kiné » et pouvez vous revenir sur la dernière fois que vous l’avez rencontré ?
Ce n’était pas des contacts réguliers mais périodiques comme ce fut le cas depuis que j’ai fait sa connaissance. Il aimait me recevoir de temps en temps s’il était disponible. Je pense qu’il m’avait copté dans « Faat kiné » pour ses projets futurs. Entre temps, le projet sur Samory avait piétiné en plus il prenait de l’âge et se sentait plus bien. Pendant un moment, Il était au Burkina pour réaliser « Mooladé » (ndlr : dernier film de Sembène Ousmane ). Par la suite, il s’en est allé. Il y’avait pas une forte affinité entre nous mais on avait quand même gardé le contact. Il y’avait le respect, il y’avait l’estime. C’est une personne qui m’avait marqué vraiment parce qu’il y’avait un génie en lui. En 5 minutes avec lui, tu peux connaitre qu’est ce que le cinéma, qu’est ce que le jeu d’acteur, qu’est ce que la direction artistique et qu’est ce que la réalisation. Sembène peut rester dans son travail du matin au soir. Quand on commence un tournage à 8heures ou 9heures, il ne fait pas de pause dans l’après midi. Quand les autres allaient prendre le déjeuner, il ne bouge pas. Il ne boit que du lait. Pratiquement, il ne prend que le petit déjeuner et le diner. Avant de se coucher aussi il fait de sorte que chacun sache ce qu’il aura à faire le lendemain. C’était un homme de rigueur qui ne laissait rien passer. Il est impressionnant.

« Il y’a tellement de paradoxes et de contradictions dans le Cinéma sénégalais »

Vous faites parti des grandes figures du Cinéma et du théâtre sénégalais aujourd’hui. Votre talent n’est plus à démontrer. Quelle analyse faites-vous du cinéma sénégalais ?
Je vous remercie déjà de l’appréciation que vous faites sur moi. S’agissant du cinéma, je dirai que je n’ai pas eu à y faire une grande carrière. Je pense que mon premier film c’était en 1978, « Seuy seuyeuti » de Ben Diogaye Bèye. Ce dernier est aussi un ami, on habitait ensemble à la Médina. Après je reviens dans Guelwaar puis Faat Kiné. Aussi j’ai fait un court-métrage muet « Aicha » pour un jeune cinéaste nigérien réalisé ici au Sénégal. Ce film avait remporté un prix au Fespaco. Récemment en 2017, j’ai joué dans un film qui n’est pas encore sorti «  Hivernage » de Laurence Gavron. Je pense que ça va sortir incessamment. Globalement, pour l’instant ma carrière cinématographique se limite à cela en dehors de mes apparitions télévisuelles. S’agissant du cinéma sénégalais, j’y vois chaque fois une contradiction. Le Sénégal fait parti des précurseurs du cinéma en Afrique, il y’a un cinéma sénégalais rayonnant  mais un cinéma que les sénégalais ne regardent pas. Il y’a aucune salle de cinéma où nos films sont diffusés. Il y’a pas de salle de cinéma proprement dite au Sénégal. Deuxièmement, si nos films ne sont pas diffusés au cinéma classique, on devait faire l’effort de les diffuser à la télévision mais rien de cela. C’est le second paradoxe. Enfin, le cinéma sénégalais dont l’Etat subventionne parfois à travers la Fopica (Fonds de Promotion à l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle). Ces films, financés par le contribuable sénégalais, sont le plus souvent réalisés par des européens, la post production se fait en Europe aussi. La majeure partie du financement va en Europe pour la réalisation. Après le sénégalais ne voit le film ni dans une salle de cinéma, ni à la télé. Et c’est un film censé être sénégalais. Je pense aussi que c’est un paradoxe à revoir. Nos films vont à la Fespaco, à des festivals, gagnent des prix, mais le sénégalais ne se voit pas dedans. Ce qui est vraiment dommage car le contribuable sénégalais participe à la réalisation. Je pense que nous devons revoir la démarche du cinéma sénégalais. Je ne remets pas en compte le contenu aussi parce que chacun a son point de vue. Parfois aussi, Malheureusement, les étrangers qui coproduisent notre cinéma si le contenu ne leur plait pas, le film ne sera pas réalisé. Parfois, il y’a une dualité entre ce que nous voulons produire et ce que ces étrangers aimeraient qu’on soit. Et s’ils ne voient pas leur intérêt dans un film, ils ne vont pas le financer. Sembène lui il avait une certaine indépendance. Il promouvait ses idées. Il ne se laissait pas influencer. S’agissant des nouveaux cinéastes, des nouvelles figurent, je les connais de nom mais je n’ai pas fondamentalement regardé leurs films. Les films que l’on prime dans des festivals, la majeure partie, je ne l’ai pas regardé. La dernière que j’ai regardé c’est « Madame Brouette » de Moussa Sène Absa. Je l’avais vu à la télé. En somme, s’agissant du cinéma sénégalais, j’en ai beaucoup plus entendu parler que j’en ai regardé. On a un parc culturel à Dakar, on y a mis le Grand Théâtre, le musée des civilisations noires mais ce parc pouvait abriter une salle de cinéma entièrement sénégalais. Et pourtant, on a fait de la place à Canal Olympia qui diffuse ses films. Il y’a tellement de paradoxes et de contradictions dans le Cinéma sénégalais raison pour laquelle je ne veux pas trop m’avancer sur ce sujet.

Le mot de la fin
Je pense que ce sera un résumé de toutes les questions précédentes. Je pense que l’avenir du cinéma sénégalais passe par la télévision. Ces séries sénégalaises, qu’elles soient peu ou nombreuses, elles représentent l’avenir du cinéma. C’est plus moderne, plus sophistiqué et plus accessible. Certes, coté cinéma c’est bien d’avoir de bons moyens techniques mais le contenu compte aussi et parfois cela fait défaut à l’Afrique. Notre histoire n’est pas très bien exploitée. On a un bon potentiel. On n’a pas besoin d’artifices pour raconter notre histoire. On a notre véritable histoire à raconter. Nous devons nous appesantir sur les nouvelles technologies pour faire voir au monde notre propre histoire et leur faire apprendre ce que nous avons. Je le dis souvent, Senghor nous avait invité au rendez-vous du donner et du recevoir mais je me rends compte que depuis que nous sommes indépendants, nous avons beaucoup plus reçu que donné. Maintenant des opportunités se présentent. Aujourd’hui, les occidentaux ont des moyens mais n’ont plus de contenu. Ici en Afrique de la même façon que nos ressources naturelles sont intactes, les ressources intellectuelles restent intactes. Idem pour l’histoire africaine. Donc qu’on le croit ou non tout reviendra à l’Afrique. C’est le moment pour que l’on répare notre histoire et qu’on entre dans la technologie occidentale pour conquérir le monde par le biais de la culture et de l’art. Ce qui est possible, parce que c’est une industrie. Il est temps que nous montrons au monde qui nous sommes. Nous avons des valeurs à montrer, nous avons un vécu à monter, nous avons une culture à montrer. Nous avons beaucoup de richesses à montrer au reste du monde. C’est le moment et ça peut passer par le cinéma et accessoirement par la télévision. J’encourage ceux qui font les séries et les films, qu’on l’on revoie nos tares pour avancer. Je pense que nous avons notre place dans le concert culturel des nations.


Rendez le 16 mars, Grands d'Afrique numéro 11 - Sembène Ousmane



Commentaires

  1. C'est passionnant mon pote, Sembene Ousmane était vraiment un acteur, un homme qui a toujours magnifié l'authenticité de la culture négro-africaine

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  2. Frère,
    Cet entretien est plus que fructueux tes abonnés (nous) ne sont jamais déçu de l'attente

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  3. Merci et bonne continuation frère.

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  4. Un artiste hors paire que les jeunes générations doivent prendre comme exemple et surtout le côtoyer pour beaucoup se servir de son expérience. Ça kaw ca kam baye Djiby

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  5. Bonne continuation frere.Beau frère

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  6. Merci le grand historien de ce très beau entretien.

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  7. Prendre un rendez-vous avec l'histoire n'est pas donné à n'importe qui . Good continuation brother tu es un stable , fils d'un stable ,né dans le terre de la stabilité, aussi aimable qu' honorable. We are panafricaine for the life. Ankh wdja Sneb.

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