Sommaire
- Enfance et parcoursv Cabral, la formation d’un engagé
- Rappel sur la colonisation portugaise
1. Le Cap vert et la Guinée Bissau
2. Le statu des « assimilados »
- Entrée en politique
1. La formation du P.A.I.G.C
2. Les chemins vers la lutte armée
3. Massacre de Pidjiguiti
- Les luttes pour l’indépendance
1. Cabral et les rendez vous internationaux
2. Le combat par les armes
- O assassinato (l’assassinat)
1. Le film
2. Causes de l’assassinat
- Le « Marxisme-cabralisme »
1. La conception de Cabral
2. Le matérialisme historique
3. La libération nationale, acte de culture
- L’après Cabral
1. La révolution des œillets
2. La guinée et le cap vert
Bibliographie
Enfance et parcours
Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924 à Bafata, en Guinée Bissau, qui est alors une colonie portugaise. Il est le fils de Juvénal Cabral (originaire du Cap-Vert), enseignant dans une école élémentaire. Sa mère, Iva Pinhel Evora travaille comme couturière. En 1932, Juvénal Cabral quitte la Guinée Bissau pour aller s’installer au Cap Vert. Peu de temps après leur arrivée sur l’ile, la famille se retrouve très pauvre, ce qui pousse Iva Pinhel Evora à travailler pour financer les études du petit Amilcar.(Le petit Amilcar © Lisapo ya kama)
Amilcar démarre ses études à Praia puis dans l’Ile de San Vicente. Bon élève, Cabral achève ses études secondaires en 1943, à Mindelon, sur l'île de San Vincente. Il obtient son bac en 1944 et décide de rentrer dans la vie active. Il travaillait durant une année comme aspirant à l’imprimerie de Praia. En 1945, il obtient une bourse et suit des études d'agronomie à Lisbonne, la capitale du Portugal où il restera jusqu'en 1952. D'une personnalité attrayante et ouverte, Cabral se fait facilement des amis et rencontre à Lisbonne des camarades qui joueront plus tard un grand rôle dans les luttes d'indépendance de l'Afrique lusophone. Il s'agit notamment de Mario de Andrade, d'Agostinho Neto, de Viriato Da Cruz (qui deviendra le 1er secrétaire du MPLA), d'Eduardo Mondlane (fondateur du Frelimo), Marcelino Dos Santos, Vasco Cabral etc.
Cabral, la formation d’un engagé
Cabral profite de ses années à Lisbonne pour ouvrir ses horizons. Il réfléchit notamment sur la condition des africains. En 1949, Cabral retourne au Cap Vert pour des travaux d'été. Il donne plusieurs conférences et commence à avoir pour leitmotiv de rendre les Cap-Verdiens conscients des problèmes auxquels leur société fait face. Il est pour lui essentiel que l'homme de la rue soit éduqué, bien informé. Une avant-garde intellectuelle doit se créer pour faire sortir de l'ignorance ceux des Cap Verdiens qui y sont. Les autorités coloniales portugaises lui interdisent de donner des conférences. De retour au Portugal, Cabral se met en relation avec d'autres étudiants issus des colonies portugaises, et entreprend une quête identitaire, la "réafricanisation des esprits". Cette quête se matérialise par la création du "Centro de Estudos Africanos" (Centre des Etudes Africaines), un centre qui joue un rôle non négligeable dans la formation des futures organisations politiques des colonies portugaises.En 1950, Cabral, diplômé en agronomie, commence une période d'apprentissage au centre d'agronomie de Santarem. En 1952, il retourne en Guinée Bissau pour les services de l'agriculture et des forêts de Guinée portugaise. Le retour de Cabral en Guinée Bissau n'est pas dû au hasard. Il avait eu la possibilité de travailler dans d'autres colonies portugaises et au Portugal mais il a une idée en tête : contribuer à l'amélioration des conditions de vie de son peuple, mettre fin à la domination coloniale portugaise. Il dirige rapidement le centre agronomique de Bissau.
En 1953, Cabral entreprend le recensement agricole de la Guinée, un travail colossal grâce auquel il s'imprègne de la réalité profonde du pays, ce qui lui permettra plus tard de mettre en place une stratégie de mobilisation adaptée à la vie en Guinée Bissau. En 1955, le gouverneur lui demande de quitter la Guinée Bissau et d'aller travailler en Angola. Cabral en profite pour prendre contact avec les groupes et les formations qui formeront le futur MPLA (Mouvement pour la Libération de l'Angola). En 1956, il est de retour et effectue des travaux agronomiques considérables sur la culture de la canne à sucre et le coton. 1956, année synonyme de l’entrée en politique d’Amilcar Cabral.
Rappel sur la colonisation portugaise
1. Le Cap vert et la Guinée BissauEn 1456, le vénitien Alvise de Cada Mosto qui naviguait pour le compte du Portugal serait le premier à atteindre le Cap vert. Le traité de Tordesillas (1494) en fit une colonie portugaise rattachée à la Guinée portugaise. A partir du 17ème siècle, l’archipel joua le rôle de plaque tournante dans la traite des noirs. La conférence de Berlin confirma la souveraineté portugaise sur le Cap Vert. Une succession de sécheresses et de famines entraina après l’abolition de l’esclavage, une vaste émigration, à la fin du 19ème siècle et dans la première partie du 20ème siècle.
S’agissant de la Guinée Bissau, elle fit parti de l’empire du Mali. A partir du 16ème siècle, le royaume du Gabu dominait le haut pays. Sur la cote, les portugais avaient installé des comptoirs dès la fin du 15ème siècle et ils les placèrent sous l’autorité des iles du Cap Vert. La Guinée-Bissau en fut détachée en 1879 pour devenir une colonie autonome. A la fin du 19ème siècle, les portugais se lancèrent dans la conquête de l’intérieur. Ils rencontrèrent une vive résistance qui perdura jusque dans les années 30.
2. Le statu des « assimilados »
Comme la France, le Portugal instaura le «régime de l'indigénat» aux Noirs. Seuls les « assimilados » regroupant les métis et quelques Noirs assimilés eurent accès à l’instruction (en portugais). Les autres autochtones, les « indígenas », furent soumis aux travaux forcés, à l’interdiction de circuler la nuit, aux réquisitions, aux impôts sur les «réserves» et à un ensemble d’autres mesures tout aussi répressives telles que les châtiments corporels. Il faut noter que ce système n’était pas de vigueur au Cap vert. Le statut d’« assimilados » était accordé à l'issue d'une enquête administrative attestant que le mode de vie était bien assimilable à celui des colonisateurs portugais. Si l'enquête était concluante, ils se voyaient délivrer un certificat qu'ils devaient être en mesure de produire à tout moment pour justifier leurs privilèges.
Cependant, leur position restait précaire dans la mesure où leur statut était périodiquement, bien que de manière irrégulière, réexaminé dans le cadre d'une nouvelle enquête les obligeant « à mobiliser toutes leurs relations pour présenter les meubles, la vaisselle ou les nappes prouvant qu'ils vivaient à l'européenne ».
Ainsi ne peuvent prétendre à des études poussées que ceux qui sont assimilés. On note ainsi que ceux qui vont mener des luttes de libération dans les colonies portugaises sont majoritairement des assimilés : Amilcar Cabral (ingénieur agronome), Eduardo Mondlane( docteur en anthropologie- Mozambique), Agostino Neto ( Médecin, poète – Angola) etc.
Entrée en politique
1. La formation du P.A.I.G.C.(Amilcar Cabral échangeant avec Aristides Pereira et en arrière plan Luis Cabral © page facebook Amilcar Cabral)
Le 19 septembre 1956, Cabral et cinq de ses compagnons parmi lesquels Luis Cabral, son demi-frère (futur président de la république de Guinée-Bissau), Aristides Pereira (futur président de la république du Cap-Vert), Abilio Duarte (futur ministre et président de l'Assemblée nationale du Cap-Vert) fondent le Partido Africano para a Independência da Guiné e Cabo Verde
(En français : le parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap Vert -PAIGC).
Le parti fondé par Cabral fut une organisation clandestine qui ne va acquérir de statut légal que quatre ans plus tard. En 1957, Cabral organisait clandestinement le PAIGC en Guinée. Le parti se concentra d'abord sur la population urbaine, qu'il considèrait à cette époque comme le moteur de la révolution, en créant des cellules clandestines et un mouvement syndical. Le 3 août 1959, le PAIGC connut une défaite importante puisqu'une grève d'ouvriers fut réprimée (une cinquantaine de victimes) et une grosse partie de l'infrastructure du parti est démantelée. Cabral décide alors de réorganiser le PAIGC en mobilisant prioritairement les campagnes.
(Amilcar Cabral sur une pirogue © page facebook Amilcar Cabral)
( Cabral en zone libérée © Foto 10 )
Les chemins vers la lutte armée
Le Portugal n’avait pas réussi sa révolution industrielle. Etant un petit pays, il fut obligé de rester dans ses colonies au moment où la France et l’Angleterre octroyaient l’indépendance. Au moment où la loi cadre Gaston Deferre voyait le jour dans les colonies d’Afrique française, Amilcar Cabral et ses camarades fondaient leur parti politique.1960, marque l’accession à l’indépendance de la quasi-totalité des colonies de l’Afrique de l’ouest. Dans les colonies portugaises, la réalité est autre. Cabral multiplie ses démarches. Il affirma, comme il le fera tout au long des années de lutte, qu'il se bat contre le système colonial instauré par le Portugal, et non contre le peuple portugais.
(Cabral arme à la main © inconnu)
Au début des années 60, le PAIGC opèra à partir de la République de Guinée Conakry où Sékou Touré a « arraché » son indépendance deux ans plus tôt. Il prépare les militants et les membres du parti à étendre son action en Guinée-Bissau afin de continuer à construire les cellules et l'infrastructure clandestines. Il cherche également à obtenir le soutien des pays voisins notamment le Sénégal.
Le massacre de Pidjiguiti
En 1959, le port de Pidjiguiti connut une grève des dockers qui réclamaient l’amélioration de leur salaire. Cette grève initiée par le PAIGC fut la première action d’envergure Parti d’Amilcar. Le 3 août 1959, le PIDE (la police politique portugaise) mit fin à la grève en ouvrant le feu sur les manifestants causant ainsi la mort de plus de 50 personnes. Les autorités portugaises accusèrent le PAIGC d’être à l’origine du mécontentement des dockers et des troubles liés à la grève.
Un mois après le massacre de Pidjiguiti, les leaders du PAIGC se réunirent en Guinée-Bissau afin d’établir une nouvelle stratégie de lutte contre la domination portugaise. La lutte armée fut définie comme étant la seule solution pour l’accès à l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert.
Les luttes pour l’indépendance
1. Cabral et les rendez vous internationauxIncarnant la figure de l’intellectuel révolutionnaire, Cabral lutte sur le terrain et voyage un peu partout pour assister à des conférences afin de sensibiliser le monde au destin de son peuple.
(Cabral, l’intellectuel © getty images)
En janvier 1960, Cabral assiste à la seconde Conférence des peuples africains à Tunis, et se rend à Conakry en mai. Il se rend également à une conférence internationale à Londres en juin où il dénonce pour la première fois publiquement le colonialisme portugais (cette dénonciation sera publiée en Angleterre sous le titre de "Facts about portuguese colonies", signée sous son pseudonyme, Abel Djassi qui est son surnom). En 1962, il se rend à l'ONU à New-York afin de présenter un mémoire sur le colonialisme portugais en Guinée. En Mai 1964, Cabral participe à un séminaire organisé par le centre Frantz Fanon de Milan En Janvier 1966, Cabral participe à la conférence tricontinentale de La Havane où est créée l'organisation de solidarité des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine. Cette conférence marque l'accession de Cabral comme dirigeant révolutionnaire majeur en Afrique et grande figure de la révolution dans les pays du tiers monde. A partir de 1969, Cabral mène une intense activité diplomatique : en Janvier, il se rend au Soudan où se tient une conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises. En Avril, il est devant la commission des Droits de l'homme de l'ONU où il dénonce une fois de plus le colonialisme portugais. Il est de retour sur le terrain à Conakry en Novembre où il dirige un séminaire de formation des cadres du PAIGC. Il traite notamment des problèmes de l'héritage magico-religieux des sociétés africaines, du poids des croyances du passé et de l'emprise des mentalités traditionnelle, notamment sous l'angle de la magie.
En février 1970, Cabral séjourne à l'université de Syracuse à l'occasion d'une réunion en la mémoire d'Eduardo Mondlane, dirigeant du Frelimo( Front de libération du Mozambique), assassiné un an auparavant. Cabral prononce un discours sur la lutte de libération en tant que fait et facteur de culture puis se rend au siège des Nations-Unies à Washington, ensuite devant la commission des affaires étrangères du congrès américain. En avril, il se rend à Moscou à l'occasion de la commémoration du centième anniversaire de la naissance de Lénine. En Juin, il est à Rome où il participe à la « conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises. » A la fin de la conférence, Cabral, Marcelinho Dos Santos et Agostinho Neto sont reçus par le Pape Paul VI. En février 1972, il prend la parole lors de la 163ème session du conseil de sécurité de l'ONU, et invite les Nations-Unies à envoyer une mission d'observation dans les territoires libérés. L'activité diplomatique extrêmement importante de Cabral vise à faire proclamer l'indépendance dans les territoires passés sous contrôle du PAIGC. Misant sur la renommée internationale acquise par la lutte du PAIGC grâce à ses efforts sur la scène internationale, Cabral veut passer au stade de l'indépendance effective, et déclencher ainsi la chute finale du colonialisme portugais.
Une mission des Nations-unies se rend effectivement sur le terrain dans les régions libérées du sud de la Guinée du 2 au 8 avril 1972. Et son rapport amène les Nations unies à considérer le PAIGC « comme véritable et légitime représentant des peuples de la Guinée et du Cap-Vert ». Un peu plus tard, l'assemblée générale de l’ONU demandait aux Etats, gouvernements, organisations nationales et internationales de renforcer leur aide au PAIGC et de traiter exclusivement avec lui des problèmes concernant la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. La stratégie menée par Cabral et ses alliés portait donc ses fruits.
2. Le combat par les armes
Ayant comme arrière base la Guinée de Sékou Touré, le PAIGC s’investit dans une lutte armée contre le Portugal. En 1963, la guérilla éclate avec une attaque du PAIGC dans le sud de la Guinée Bissau. Le PAIGC met en place un front nord en Juillet, ce qui oblige les portugais à se battre sur deux fronts. Rapidement, le PAIGC contrôle le sud du pays. L'année suivante, Cabral préside un congrès du PAIGC en région libéré. Entre 1964 et 1965, le PAIGC met en place dans les régions libérées de nouvelles structures politico-administratives. En 1968, le PAIGC contrôle les deux tiers de la Guinée-Bissau. Le parti renforce son infrastructure politique et administrative (création de "magasins du peuple" pour fournir les populations libérées en produits de première nécessité), ainsi que de brigades mobiles chargées d'encadrer la population. Le PAIGC met en place dans certaines régions les bases d'une structure étatique (création d'écoles, amélioration de postes sanitaires, amélioration de la condition féminine...).
( Cabral en zone libérée © page facebook Amilcar Cabral )
Les portugais devant l'ampleur de l'avancée militaire et de l'activité diplomatique de Cabral ont entrepris de réagir en déployant de gros moyens militaires, en africanisant la guerre par incorporation massive d'africains dans les troupes portugaises, en accordant des promotions aux élites traditionnelles qui collaborent avec eux. Les portugais entreprennent également d'améliorer les conditions sociales des habitants de Guinée Bissau afin que ceux-ci leur soient plus favorables (distribution de riz à rendement élevé, mise en valeur des terres, construction d'écoles et de postes sanitaires...). Le PAIGC réussit malgré tout à conserver ses positions et Cabral est toujours sur le front international pour faire connaître son combat. Le 22 novembre 1970, le gouvernement de Guinée Bissau lance un commando pour capturer ou assassiner les leaders du PAIGC. L’opération fut un échec.
Au moment où la victoire était proche, un événement vient bouleverser la marche des choses…
O assassinato (l’assassinat)
( Amilcar Cabral et Sekou Touré ©webguinée.net)
Samedi 20 Janvier 1973, Joachim Chissano, membre du comité exécutif du Frelimo (Front de libération du Mozambique), de passage à Conakry, donne une conférence à l’école des cadres du P.A.I.G.C. L’essentiel des cadres et militants du parti s’y trouve. Amilcar Cabral qui assiste à une réception à l’ambassade de Pologne n’assiste pas à cet événement. Son adjoint Aristides Pereira n’y est pas non plus, il est resté dans son bureau où il attend le retour de Cabral prévu pour 23heures. C’est à peu près à cette heure qu’Amilcar Cabral et sa femme quittent l’ambassade de Pologne dans leur Volkswagen. Il faut noter que l’ambassade est tout près de chez eux. Mais à deux pas de leur domicile, tout à coup, Cabral est aveuglé par les phares d’une voiture qui bloque la route. Il s’arrête et reconnaissant un des Jeep du parti, il descend de son véhicule. Trois hommes descendent de la voiture militaire et braquent leurs armes sur Cabral. Cabral reconnait celui qui apparemment dirige l’opération : Inocencio Cani, un vétéran qui fut commandant de la marine.
Un homme qui depuis quelques temps a des problèmes au sein du PAIGC. « Suis-nous ! » dit le Cani, Cabral refuse et appelle les gardes censés être devant sa maison mais il y’a plus de gardes. « Monte ! Sinon nous allons t’amener de force » lui dit Cani. En ce moment, l’un des militaires s’approche de Cabral avec une corde. Cabral qui dans sa lutte veut « briser les chaines » refuse d’être ligoté. En ce moment, Inocencio Cani lève son arme et tire presque à bout portant. Touché au foie, Cabral s’effondre mais trouve encore la force de parler. Il demande à ses bourreaux pourquoi ils l’ont attaqué étant donné que les divergences de vision pouvaient se régler dans le parti. Cani en guise de réponse donne l’ordre aux deux militaires qui l’accompagne d’achever Cabral. C’est sous une rafale de mitraillettes que Cabral rendit l’âme sous les yeux de son épouse tétanisée dans le véhicule. Les coups de feu qui ont touché Cabral ont été entendus notamment par Osvaldo Vieira, membre du conseil de guerre et qui a aussitôt rallié les lieux pour constater le décès de Cabral. L’alerte est donnée. Avec l’appui du gouvernement de Sékou Touré, les ports sont fermés et des barrages installés. Rapidement, les « assaillants » sont arrêtés.
2. Causes de l’assassinat
Selon madame Cabral, les bourreaux de Cabral avaient passé un accord avec le gouvernement portugais. Ils devaient amener Cabral et Pereira hors du pays.
Le jour de l’assassinat à minuit, un groupe de conspirateurs, en disgrâce dans le PAIGC, dirigé par Mamadou Touré dit Momo a été libéré de prison par les comploteurs. Ces derniers vont devant le président Sékou Touré. Ils viennent assumer leur responsabilité, pour eux il fallait écarter Cabral. Sékou Touré refuse de les entendre et dit de le faire qu’en présence de personnalités comme Samora Machel (leader du Frelimo) qui se trouvait à Conakry en visite officielle mais également en présence des ambassadeurs d’Algerie et de Cuba. Le 21 Janvier 1973, le complot démantelé, le président Sékou Touré organise une commission d’enquête qui va entendre parler pendant plusieurs heures, les conspirateurs qui racontent dans les détailles leur plan. D’après eux, les portugais leur ont promis l’indépendance sous plusieurs conditions :
La première fut la suppression du P.A.I.G.C. La deuxième était l’exclusion de tous les cap verdiens du mouvement nationaliste parce que le Portugal entendait conserver ces iles du cap vert qui étaient une base stratégique pour le Portugal et ses alliés. Ainsi, les noirs devaient se débarrasser de tous les métis.
Après cela, le Portugal allait constituer un gouvernement avec ceux qui auront accompli cette mission et les forces portugaises qui seront en retrait au cap vert pourront les assister. C’était cela le plan qui a abouti à la mort de Cabral qui a été trahi par ses frères. Cette version est logiquement battue en brèche par les autorités portugaises qui estiment que le président Sékou Touré est l’auteur de l’assassinat. Un argument qui ne repose sur rien de concret et qui voulait s’appuyer sur l’image écornée de Sékou Touré aux yeux du monde. Joseph Turpin, ami et compagnon de guerre d’Amilcar Cabral soutient que la mort de Cabral est le résultat d’un long processus dirigé par le gouvernement du Portugal et qu’il pouvait mourir à Conakry comme partout.
Le « Marxisme-cabralisme »
Pour développer ce point, nous nous basons sur l’excellent article de Alain Bockel : « Amilcar Cabral,marxiste africain »1. La conception de Cabral
Pour Cabral, ce qui était important avant tout c’est l’indépendance de son pays. Cabral avait des attaches avec Cuba et les pays communistes d’alors qui lui fournissaient des armes, les premières venaient du Maroc. Même s’il possède en lui tous les contours du marxiste, sa démarche tranche avec le « marxisme authentique ». Cabral, c’est un marxisme adapté aux réalités africaines. C’est un marxiste qui ne se borne pas à suivre le canevas des grands théoriciens. Cabral fait montre d’une certaine indifférence aux références, car c’est le destin de son pays qui l’intéresse. S’appuyant pourtant sur la conception marxiste de la société, il s’efforce d’analyser et de rendre compte de la situation de son peuple ; par là, il enrichit le grand courant de pensée d’un apport original, et là où la timidité ou le dogmatisme ont longtemps paralysé les recherches et les réflexions ; c’est trop rare pour ne pas être souligné. Et surtout Cabral s’est efforcé, avec plus ou moins de bonheur et de netteté, mais avec une grande rigueur, de lier théorie et pratique, d’ébaucher et d’entreprendre des réponses conséquentes et cohérentes avec ses analyses.
2. Le matérialisme historique
Mais c’est surtout sur le matérialisme historique que le leader guinéen s’expliquera davantage, en tentant de situer la Guinée. Son exposé consiste d’abord en un rappel des principales têtes de chapitre de l’enseignement de Marx. Cabral, en effet, accepte comme un postulat établi « sur des bases scientifiques » que l’histoire ait un sens, et qu’elle doive nécessairement, « inéluctablement », conduire à une société sans classe et sans Etat ; que le mouvement historique réside dans l’évolution des forces productrices, provoquant à certaines époques une contradiction avec les rapports de production que seule une mutation révolutionnaire peut résoudre. Mais déjà apparaît la réflexion personnelle lorsqu’il brosse en quelques phrases une esquisse de l’évolution historique générale : « l’histoire d’un groupe humain ou de l’humanité se développe au moins en trois phases :
- « la société communautaire agricole et d’élevage », qui correspond à un bas niveau des forces productives, sans appropriation privée des moyens de production, donc sans classes et sans Etat ;
- « l’élévation du niveau des forces productives », qui conduit à l’appropriation privée des moyens de production, et par là une seconde phase, caractérisée par l’apparition d’une lutte de classes et d’un Etat ; Cabral y englobe « les sociétés agraires féodales et agro-industrielles bourgeoises » ; enfin,
- « un niveau supérieur des forces productives », qui va permettre l’instauration des sociétés socialistes ou communistes où l’Etat disparaît, et « des forces nouvelles et ignorées dans le processus historique de l’ensemble socio-économique se déchaînent alors ».
L’on constate que les cinq stades classiques sont réduits à trois, la société communautaire, la société étatique, la société communiste par élimination de la société esclavagiste et fusion des sociétés féodale et bourgeoise. Il aurait été intéressant d’avoir davantage de précisions sur cette dernière formation économico-sociale, que Cabral a certainement dégagée en rapport avec la situation des sociétés africaines actuelles ; en effet, pour lui, la société guinéenne se caractérise par la coexistence des deux premières phases. Mais il ne s’y arrête pas. En revanche, certains aspects de la conception marxiste de l’histoire l’inquiètent davantage, et l’amènent à s’interroger et à préciser.
C’est d’abord la définition du « moteur de l’histoire », la lutte des classes selon Marx, qui ne le satisfait pas entièrement. Car, reconnaît-il, certains groupes humains ne sont pas divisés en classes, du fait du développement insuffisant des forces productives, c’est le cas par exemple des Balante de Guinée, dont la société est encore largement communautaire. Est-ce à dire, dès lors, que ces peuples n’aient pas d’histoire ? Qu’avant d’être atteints par la colonisation, ils vivaient sans histoire ? Et, d’une façon curieusement naïve, Cabral déclare « refuser de l’admettre » ; et par suite si ces peuples ont vraiment eu une histoire sans connaître la lutte des classes, c’est que le moteur de l’histoire se situe ailleurs. Et Cabral de proposer un correctif au matérialisme historique en suggérant que le véritable facteur de l’évolution historique se situe dans le mode de production et plus exactement dans le niveau et le progrès des forces productives. Ainsi rassuré, il peut conclure sur ce point : « nous constatons que l’existence de l’histoire avant la lutte des classes est garantie, et évitons par là, à quelques groupements humains de nos pays (...) la triste condition de peuples sans histoire ». Marx n’avait jamais dit autre chose...
3. La libération nationale, acte de culture
Et c’est cette culture sauvegardée au niveau des masses populaires préservant leur identité qui va être l’âme du combat de résistance ; c’est à ce niveau, dans les profondeurs, que la culture va jouer un rôle dans la libération nationale, produit de culture, et seuls les peuples et les couches sociales qui ont conservé leur identité pourront avoir ce sursaut. Il est caractéristique en effet que la période de pré-indépendance ait souvent donné lieu à de nombreuses manifestations culturelles, note Cabral (à rapprocher de cette observation de Gramsci : « toute révolution a été précédée d’une intense activité de critique, de pénétration culturelle, d’imprégnation d’idées, s’exerçant sur des agrégats d’hommes au départ réfractaire. (Ecrits politiques, tl, p. 76, ed. Gallimard). Pourtant, Cabral nie l’intérêt du mouvement de « retour aux sources » ou de « renaissance culturelle », besoin de redécouvrir une identité propre aux couches assimilées, tendant « à résoudre leur complexe de frustration », mais étranger au peuple qui a été préservé. Et le mouvement de libération nationale va se fonder sur cette culture, et prendre appui sur les groupes ayant conservé leur culture. Non pas que la culture soit une arme de résistance en elle-même ; elle est davantage car condition de la résistance, et en même temps déterminante de la forme et des méthodes de lutte. Certes, tout n’est pas à prendre en bloc ; « l’appréciation correcte du rôle de la culture dans le mouvement de libération exige que l’on considère globalement, et dans leurs relations internes, les facteurs qui la définissent, que l’on refuse l’acceptation aveugle des valeurs culturelles sans tenir compte de ce qu’elles peuvent avoir de négatif, réactionnaire ou régressif, que l’on évite toute confusion entre ce qui est l’expression d’une réalité historique naturelle, et ce qui semble être une création de l’esprit, détachée de cette réalité, ou bien le résultat d’une nature spécifique, que l’on n’établisse pas une connexion absurde entre les créations artistiques, qu’elles soient valables ou non, et des prétendues caractéristiques psychiques et somatiques d’une « race ». Si donc la culture influence profondément la lutte, celle-ci à son tour est « acte de culture » : par son résultat d’abord, qui est de libérer de la domination étrangère, mais aussi par son déroulement qui amène une modification des modalités et des comportements, qui opère des sélections dans les différents éléments de la culture, éliminant bien des tabous, faisant acquérir une certaine rationalité nouvelle. Par là, elle peut faciliter d’ailleurs une confluence des cultures des différents groupes, permettant de forger progressivement une culture nationale. Et ce qui importe, conclut Cabral, « ce n’est pas de perdre du temps dans des discussions plus ou moins byzantines sur la spécificité ou la non spécificité des valeurs culturelles africaines », mais « de procéder à l’analyse critique des cultures africaines... face à cette nouvelle étape de l’histoire de l’Afrique... et déterminer, dans le cadre général de la lutte pour le progrès, quelle est la contribution qu’elle a donnée et doit donner, et quels sont les apports qu’elle peut ou doit recevoir (dans le cadre de la civilisation universelle) ».
Au total, par ses bases d’analyse comme par les résultats de celle-ci, Amilcar Cabral se rattache sans conteste au courant marxiste ; mais il fait partie de cette race de marxistes tel Lénine ou Mao-Tsé-Tung pour qui l’important n’est pas la pureté dogmatique, mais l’adéquation des analyses à la situation afin de disposer d’une théorie qui soit une arme, car l’essentiel est la transformation de la réalité par l’action révolutionnaire.
L’après Cabral
1. La révolution des œilletsLes conflits coloniaux en Afrique et la volonté de démocratisation du régime sont au cœur de la contestation qui secoue le Portugal au cours des années 70. Le 25 avril 1974, des militaires réformistes, le Mouvement des forces armées (MFA), élaborent un coup d'État qui entraîne le renversement du gouvernement dirigé par le premier ministre Marcello Caetano. Cette révolution « des œillets », qui se fait sans effusion de sang, permet à Antonio de Spinola, un général limogé quelques mois auparavant, de prendre le pouvoir. Le général Costa Gomes lui succédera quelques mois plus tard et un Conseil de la révolution sera formé. Au cours de ces années, le Portugal est témoin de plusieurs réformes -liberté d'association, abolition de la censure, nationalisations, etc., dont la tenue d'élections, les premières depuis un demi-siècle, qui ont lieu le 25 avril 1975. Des négociations mèneront également à l'indépendance des colonies africaines portugaises
2. La guinée et le cap vert
Suite à la révolution des œillets, les colonies portugaises d’Afrique obtinrent leur indépendance. Le Cap Vert accède à l’indépendance le 5 Juillet 1975 sous la présidence d’Aristide Pereira.
(Aristides Pereira © VDP-OL)
La Guinée Bissau elle, proclame son indépendance le 10 Septembre 1974 sous la présidence de Luis Cabral, frère d’Amilcar. ( Luis Cabral © inconnu)
En 1980, le Premier ministre, le commandant Joao Bernardo Viera renversa le régime de Cabral. Avec ce putsch, le projet d’union entre le Cap vert et la Guinée Bissau fut abrogé.
Ce qu’on peut retenir c’est que Cabral malheureusement ne vit pas la chose pour laquelle il a donné sa vie : l’indépendance de son peuple. Une indépendance qui peu de moments après plonge ces peuples notamment les bissau-guinéens dans un cycle infernal. Mais cela est une autre histoire. C’est sur ce triste constat que nous refermons ce neuvième numéro de Grands d’Afrique.
« LES COLONIALISTES ONT L’HABITUDE DE DIRE QUE EUX, ILS NOUS ONT FAIT RENTRER DANS L’HISTOIRE. NOUS DÉMONTRERONS AUJOURD’HUI QUE NON : ILS NOUS ONT FAIT SORTIR DE L’HISTOIRE, DE NOTRE PROPRE HISTOIRE, POUR LES SUIVRE DANS LEUR TRAIN, À LA DERNIÈRE PLACE, DANS LE TRAIN DE LEUR HISTOIRE »
Amilcar Cabral
Extrait de son discours à la Conférence de Dar es Salam (Tanzanie) en 1965
Bibliographie / Webographie
· Bockel Alain, AMILCAR CABRAL, MARXISTE AFRICAIN, Ethiopiques n°5 , janvier 1976
· Chanda Tirthankar , Témoignages sur le déclin et la chute de l’empire colonial portugais en Afrique, Rfi, 2018
· De Andrade Mario, Amilcar Cabral : profil d'un révolutionnaire africain, Présence Africaine 2012/1-2 (N° 185-186), pages 81 à 94
· Foka Alain, Archives d’afrique- Amilcar Cabral, rfi , 2010
· M'Bokolo Elikia, Guinée-Bissau : il y a quarante-cinq ans, l’assassinat d’Amílcar Cabral, Jeune Afrique, 2018
· www.panafricanistes.com/AmilcarCabral
Felicitations pour ces editions et cette initiative. je vous recommendation d inclure dans la liste des Africains célébres des dames. l' Afrique en a eu d'illustres et je dirai meme plus qu'aucun autre continent.
RépondreSupprimerbonne continuation
Youssoupha