Nous continuons toujours à revisiter l'histoire des grands hommes africains. Voici le huitième numéro de Grands d'Afrique qui porte sur Léopold Sedar Senghor . Bonne lecture




Sommaire
v  Enfance et Parcours
1.      « royaume d’enfance » et scolarité
2.       Paris, une nouvelle ère
3.       La négritude
v   La seconde guerre mondiale
1.      Senghor prisonnier
2.      Les mutations d’après guerre
v  L’entrée en politique
1.      Le contexte
2.      Senghor en scène
3.      La rupture avec Lamine Guèye
v  La marche vers l’indépendance
1.      L’ascension
2.      La loi cadre de 1956
3.      Le référendum de 1958
4.      La fédération du Mali
v  La crise de Décembre 1962
1.      Genèse de la crise
2.      Le supposé « coup d’Etat » de Dia
3.      Le sort de «  l’ami »
4.      Témoignages de Roland Colin
v  La gouvernance de Senghor
1.      L’économie
2.      Senghor et la contestation
v  La tentative d’assassinat
1.      Le déroulement
2.      Le procès
v  Senghor, tares et contradictions
1.      Cheikh Anta, Léopold Senghor : je t’aime , moi non plus
2.      Senghor et Dia, l’histoire d’une amitié
3.      Les critiques
4.      Senghor, le panafricain
v  Senghor, La révolution des lettres
v La retraite


Bibliographie

v Enfance et parcours
 Né à Joal  à l’Ouest du Sénégal en pays sérère, Léopold Sédar Senghor voit le jour en 1906. La date exacte de son jour de naissance demeure un mystère : sur son acte de baptême, c’est le 9 Aout alors que sur les registres de l’Etat civil de Gorée, on mentionne le 9 Octobre. Donc sa date de naissance officielle est le 9 Octobre 1906.  Son prénom «  Léopold » lui serait donné par son père en souvenir de Léopold Angrand, riche commerçant mulâtre ami et employeur ponctuel de son père. Son deuxième prénom sérère Sédar signifie « qu’on ne peut humilier ». Le petit Senghor vit dans une famille assez élargie. Son père Basile Diogoye Senghor est un négociant assez aisé. Sa mère Gnilane Ndiémé Bakhoum serait la troisième épouse de son père qui compte de nombreux enfants.
1.     « royaume d’enfance » et scolarité
Après sa naissance, le petit Senghor est ramené par sa mère à Djilor, petite bourgade à 23 km de Joal où son père possède une grande propriété. Il décrit cette époque qu’il appelle « royaume d’enfance » et qui tient entre ses 4 et 12 ans : « A chaque fois que je le pouvais je m’échappais de la villa paternelle pour aller avec mon oncle et passer mes après midi avec les petits bergers. Naturellement, nous évoquions des histoires fantastiques. Ce fut un royaume merveilleux ». Les veillées nocturnes, les chants, les luttes, les jeux, tant de choses qui vont marquer Senghor au point où il va en faire mention dans beaucoup de ses poèmes.  A 7 ans, pour « redresser » le turbulent Senghor, Basile, son père, l’envoya à la mission de Joal. Là, Senghor reçoit les premiers éléments de l’éducation par le père Dubois. Une année plus tard en 1914, il part à Ngazobil à 6 kms de Joal chez les pères du Saint-Esprit, un milieu où la discipline est la règle première. Il raconte : «  Nous étions entre 100 et 200 élèves qui se répartissaient en plusieurs classes ». Senghor entre ensuite au collège Libermann de Dakar où il se prépare à la prêtrise. Il est exclu du collège en 1926. Motif : «  il n’a pas la vocation ». Senghor s’inscrit alors dans une école laïque, au lycée Van Vollenhoven  actuel lycée Lamine Guèye , pour préparer le baccalauréat qu’il réussit brillamment. Son professeur de latin et de grec insiste pour que contrairement à ses compatriotes diplômés qui intègrent l’école normale William Ponty, Léopold soit envoyé en France. C’est ainsi qu’il finit par obtenir une demi-bourse de l’administration coloniale pour partir poursuivre ses études supérieures à Paris.
2.     Paris, une nouvelle ère…
Senghor arrive à Paris en octobre 1928. C’est le début de ce qu’il a appelé ses « seize années d’errance ». Senghor s’inscrit à la Sorbonne mais face aux nouvelles réalités, il perd pied. Il dira : «  J’ai été dérouté à la Sorbonne alors pendant un mois j’ai erré ». Un de ses professeurs lui conseille alors de s’inscrire au lycée Louis Le Grand, ce qu’il va faire. Alors que l’année scolaire est entamée il sollicite l’aide du très influent Blaise Diagne qui va lui permettre d’entrer dans ce lycée. C’est dans cet établissement qu’il va faire la connaissance de Georges Pompidou, futur président de la France qui va devenir un ami. Il fait la connaissance aussi d’un certain Aimé Césaire. Rencontre qui après va jeter les bases d’un mouvement qui sera appelé Négritude.
En 1931, il obtient une licence de lettres. L’année d’après, il obtient un diplôme d’études supérieures avec la mention bien. En 1935, il est reçu à l’agrégation de grammaire. Il est le premier Africain lauréat de ce concours qui lui ouvre la carrière dans l’enseignement. Il est professeur de lettres classiques d’abord à Tours, puis dans la région parisienne.
3.     La négritude
En 1934, Senghor fonde avec Césaire et le Guyanais Léon Damas la revue L’Etudiant noir, dans les pages de laquelle il théorise sur le thème de la négritude, définie comme l’ensemble des valeurs du monde noir. À l’époque de son agrégation de grammaire en 1935, il entre en contact avec des étudiants noirs originaires d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Depuis le début du siècle, les panafricanistes afro-américains réclamaient leur émancipation dans diverses revues et à travers des mouvements tels que la Renaissance de Harlem. William E. B. DuBois, Langston Hughes, Claude McKay, Richard Wright, etc., étaient venus en France répandre leurs idées de libération. Bien que le terme « négritude » ait été forgé par Aimé Césaire, c’est Senghor qui s’en est fait le porte-parole, le théoricien et l’élément moteur. Pour Senghor et ses amis, la Négritude est devenue un outil idéologique visant, au-delà de la quête individuelle du moi, la libération de tous les Noirs. Avec la Négritude, le Noir opprimé devient tout d’abord conscient de sa race : « Le nègre ne peut nier qu’il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Ainsi est-il acculé à l’authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de “nègre” qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du blanc, dans la fierté ». Cette citation de Sartre épouse parfaitement le point de vue de Senghor. Il réalise qu’il est humilié, exploité, à cause de la couleur de sa peau, et cela l’amène à penser à un Éden africain précolonial, à l’Afrique des empires et des grandes civilisations. C’est pourquoi la Négritude lui apparaît dans un contexte existentiel de mémoire mythique d’un Âge d’or révolu. C’est peut-être la raison pour laquelle le genre littéraire choisi pour canaliser ces frustrations sera la poésie lyrique.
v La seconde guerre mondiale
1.     Senghor prisonnier
N’étant pas né dans les 4 communes (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint Louis), Senghor fut mobilisé pour combattre durant la seconde guerre mondiale. En 1939, Il est enrôlé comme fantassin de 2e classe dans un régiment d’infanterie coloniale et affecté au 31e régiment d’infanterie coloniale, membre d’un peloton de sous-officiers, régiment composé d’Africains. En Février 1940, il rejoint la 59ème division d’infanterie coloniale. Le 20 juin 1940, il manque de justesse de se faire fusiller avec les autres Africains faits prisonniers à La Charité-sur-Loire. Après plusieurs dépôts militaires, il est interné successivement aux Frontstalag 230 puis 221 près de Bordeaux. Durant sa captivité, Senghor lit beaucoup et s’intéresse à l’antiquité grecque. Il relate aussi tous ses sentiments à travers ses écrits dont beaucoup restent méconnus. En 1942, il est libéré pour raison de santé.
 (Senghor en bas à gauche)
1.     Les mutations d’après guerre
Alors même que la Seconde Guerre mondiale n'est pas encore terminée, il apparaît de plus en plus clairement aux dirigeants de la France Libre que les populations et les territoires de l'empire colonial, qui ont joué un rôle important dans le conflit, aspirent à des changements dans les relations qui les unissent à la métropole. Le ralliement de l'AEF au camp gaulliste dès 1940, le basculement de l'AOF en 1942, l'installation des principaux représentants de la France Libre à Alger, etc.,  tout concourt à ce que la donne soit modifiée.
Si les « promesses » de la Conférence de Brazzaville n'offrent au départ que des perspectives bien vagues, le nouveau cadre posé en 1946, par la Constitution de la IVe République, alors même que de Gaulle n'est plus au pouvoir, marque des évolutions politiques marquantes pour ce que l'on appelle désormais la France d'outre-mer.
v L’entrée en politique
1.     Le contexte
L’année 1946 marque une étape importante dans l’évolution de l’empire colonial français. On note la création d’une Union française qui regroupait dans un même ensemble juridique inscrit dans la Constitution la France et ce que l’on nommait alors les territoires d’outre-mer, colonies acquises principalement au cours du xix e siècle en Afrique, en Asie ou Océanie. Cette Union comprenait des institutions et une citoyenneté commune de nature hybride. La Constitution prévoyait également une citoyenneté de l’Union française commune à l’ensemble des ressortissants de l’Union se superposant à la citoyenneté française proprement dite, mais dont le contenu restait flou. Elle conférait également aux anciens sujets de l’empire la citoyenneté française, leur permettant d’envoyer des représentants à l’Assemblée nationale à Paris, mais créait parallèlement deux sortes de citoyens : les citoyens de statut civil français et les citoyens de statut local (anciens sujets de l’empire).
2.     Senghor en scène
La carrière politique du futur chef de l’État sénégalais commence en 1945 lorsque, la guerre terminée, il est invité par le général de Gaulle à participer aux travaux de la commission Monnerville chargée d’étudier la représentation des colonies dans la future Assemblée constituante.
Deux ordonnances du Gouvernement  Provisoire de la république française, datées du 21 Aout et 13 Septembre 1945 établirent au Sénégal et dans les colonies françaises deux collèges électoraux qui enverront à l’Assemblée Constituante 63 représentants élus le 21 Octobre 1945. Au Sénégal, ce double collège doit être composé de deux représentants : l’un venant des 4communes (citoyens français), l’autre venant des communes mixtes (sujets français). Au cours de l’un de ses voyages au Sénégal, Senghor est approché par le chef de file local des socialistes, Lamine Gueye, qui lui propose d’être candidat à la députation comme représentant des communes mixtes. Senghor accepte et il est élu député de la circonscription Sénégal-Mauritanie à l’Assemblée nationale française Lamine Gueye devient aussi le maire de Dakar.
En 1946, Léopold Sédar Senghor épousa en premières noces Ginette, fille du gouverneur général de l’AEF Félix Eboué, originaire des Antilles.

(Senghor et Ginette. Source : getty images)

1.     La rupture avec Lamine Guèye
La démission de Senghor de la SFIO est le fruit d’un malaise latent qui existait depuis 1947 dans le parti. A Dakar, Senghor et Lamine Guèye se livrèrent à une active propagande contradictoire, tant par la voie de presse que par l’organisation de réunion d’information. Senghor fut surtout suivi par la jeunesse tandis que dans les milieux laministes les vieux militants étaient d’avis que la forte personnalité de Lamine Gueye lui permettait de demeurer le leader incontesté de la politique sénégalaise. Déjà l’année 1947, avait été caractérisé par cette crise provenant du divorce progressif qui s’instaurait entre les conceptions et les méthodes laministes et celles de son colistier Senghor qui rêvait toujours d’un rassemblement africain autonome. Ce qui ne fut pas le cas pour Lamine Gueye qui dépendait de SFIO. Il faut aussi noter que c’est sous l’influence de ce parti métropolitain que les deux hommes ne s’étaient pas rendus au Congrès de Bamako qui allait jeter les bases du rassemblement démocratique africain (R.D.A.).
En Février 1948, Senghor fonde le journal « La condition humaine » qui développait ses thèses sur l’indispensable autonomie du mouvement africain. Le processus conflictuel s’était engagé sur fond de drame social avec la grève du Dakar-Niger. Les partisans de Senghor se solidarisaient avec les syndicats contre l’administration coloniale dirigée par un haut commissaire du SFIO, Paul Bêchard et poussèrent leur chef de file à la rupture. 
(Le jeune Senghor ; getty images)
La marche vers l’indépendance
1.     L’ascension
Fort de son succès, Senghor quitte la section africaine de la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière) et fonde avec Mamadou Dia, le Bloc démocratique sénégalais (B.D.S.). Lors des élections législatives de 1951, Senghor, appuyé par les autorités coloniales françaises, se présente avec Abbas Gueye. Ils battent Lamine Gueye. Avec cette victoire, on peut dire que Senghor devient la première figure politique du Sénégal. Il est donc réélu député en 1951 comme indépendant d'Outre-mer. Sous le gouvernement d’Edgar Faure (1er mars 1955 – 1er février 1956), Léopold Sédar Senghor est nommé secrétaire d’État à la présidence du Conseil et chargé de réécrire l’article de la Constitution de la IVe République relatif à la formation de l’Union française. Il aussi devient maire de Thiès au Sénégal en novembre 1956.
2.     La loi cadre de 1956
Ce texte législatif (n° 56-619) adopté par le Parlement le 23 juin 1956 constitue une étape importante dans le processus d'émancipation des territoires coloniaux en Afrique française. Élaborée par Gaston Defferre, ministre de la France d'Outre-mer du gouvernement Guy Mollet  avec l'appui de Félix Houphouët-Boigny, elle transforme en profondeur la façon de gouverner les colonies françaises d'Afrique. Avec cette loi-cadre, sont établis de nouveaux statuts pour les territoires de la France d'outre-mer. Le nouveau texte met en place une décentralisation des pouvoirs de la métropole vers les territoires, ainsi que des mesures de déconcentration administrative accompagnant l'extension des compétences des assemblées territoriales. Cependant, cette loi cadre ne fait pas l’unanimité. En filigrane, on peut voir le fait de vouloir diviser les ensembles avant de leur octroyer l’indépendance afin de pouvoir mieux les contrôler après. Senghor et certains de ses partisans ne sont pas d’accord sur le bien-fondé de cette loi cadre.
Au journal L'Unité, l'équipe de Senghor commente largement la Loi-cadre avant et après son approbation. Doudou Thiam ( premier ministre des affaires étrangères du Sénégal indépendant)  écrit, le 30 octobre 1956, que les réformes prévues pour l'Union française ne répondent pas aux propositions réitérées par le BDS pour asseoir les rapports franco-africains sur une nouvelle base constitutionnelle, c'est-à-dire la révision pure et simple du titre VIII de la Constitution : « Au lieu de toucher au titre VIII de la Constitution dont on demande la révision, la Loi-cadre s'est bornée à modifier notre système administratif». Il réclame ensuite une large autonomie pour les territoires d'Afrique par « l'instauration de parlements et de gouvernements locaux». C'est là la base de la thèse confédérale que développera Senghor dans les meetings populaires au Sénégal, dans les colonnes du journal du parti et même dans la presse métropolitaine. Lorsque les décrets d'application de la Loi-cadre sont approuvés au parlement français, L'Unité publie un article de L.S. Senghor englobant tous les aspects de la Loi-cadre. Le leader du BDS y dénonce le caractère "balkanisateur" de cette loi, car les mesures de décentralisation et de déconcentration ne peuvent qu'accélérer la désagrégation des solidarités fédérales et enrayer le développement économique de l'Afrique. Il met en garde les députés africains, notamment ceux regroupés derrière Houphouët-Boigny, contre ce danger de désagrégation de l'Afrique, car "avant de réaliser la "communauté française", il faut réaliser la communauté africaine».
3.     Le référendum de 1958
De Gaulle, pour parer à une nouvelle crise élabore un plan pour donner plus d’autonomie aux colonies tout en les conservant dans son giron. IL propose « la communauté ». Lors d’un référendum, les pays africains souhaitant avoir une autonomie interne et la communauté avec la France diront oui, ceux qui veulent avoir une indépendance totale et immédiate diront NON. Revenu aux affaires à la fin du mois de mai 1958, comme président du Conseil, Charles de Gaulle entame le 20 août un périple africain de 20. 000 km qui l’amène en une dizaine de jours de Fort-Lamy (devenu N’Djamena) à Alger, en passant par Tananarive, Brazzaville, Abidjan, Conakry et Dakar. Le général de Gaulle prévient que chaque territoire pourra prendre son indépendance en votant non au référendum du 28 septembre 1958 sur la Constitution : « L’indépendance, quiconque la voudra, pourra la prendre aussitôt. La métropole ne s’y opposera pas" ». Le 28 septembre 1958, les électeurs de métropole et des territoires d’outre-mer se prononcent massivement en faveur de la nouvelle Constitution. Seule la Guinée de Sékou Touré se prononce contre, optant pour son indépendance le 2 octobre. Au Sénégal, cet événement a eu lieu dans des circonstances particulières : Pour Mamadou Dia, le choix est déjà fait. Selon lui, le Sénégal peut marcher sur ses deux jambes alors qu’au même moment Senghor pensait le contraire et avait promis le « Oui » aux français sans concertation avec Mamadou Dia. La conséquence de cette mésentente se manifestera lors de la visite-campagne de De Gaulle à Dakar : il y avait ni Senghor, ni Dia sur place. Valdiodio Ndiaye, laissé à lui même et face aux porteurs de pancartes prend part pour le « Non ». Mamadou Dia dira que « c’est la première fois que je me suis senti trahi ». Ainsi donc, le Sénégal finit par voter « oui » et le tandem Senghor-Dia conduit le pays a l’indépendance.
4.     La fédération du Mali
Fin Décembre 1958, Les représentants du Sénégal, du Soudan français, du Dahomey et de la Haute Volta mettent en place un plan en vue de la création de la Fédération. Ils conviennent de lancer les procédures parlementaires pour la réunion d’une constituante fédérale le mois suivant. Le 14 janvier 1959
L’Assemblée constituante de la nouvelle fédération s’ouvre au palais du Grand Conseil de l’AOF. 44 délégués représentent les 4 États qui ont décidé de mettre en place cette Fédération (Sénégal, Soudan français, Dahomey, Haute-Volta). Le 17 janvier, la constitution est adoptée par acclamation. La Fédération du Mali est née, même si elle reste encore dépendante du pouvoir colonial. Cette constitution doit être ratifiée par les assemblées législatives des États membres pour entrer en vigueur. Une semaine plus tard, la constitution de la Fédération du Mali est ratifiée par le Soudan français et le Sénégal. La Haute-Volta et le Dahomey font défection. Cette défection aurait eu lieu sous l’influence de Félix Houphouët-Boigny qui au même moment proposait «  le conseil de l’entente ». L’attelage de la fédération ne laissait pas espérer grand chose. Avec les divergences de visions sur le socialisme et le tiraillement au sein de la gouvernance fédérale, on note que l’entité ne pouvait que voler en éclats. A noter que Mamadou Dia avait refusé la présidence de la fédération en soutien à Senghor car les soudanais ne se faisaient à l’idée d’être dirigé par un pro français et catholique. Ainsi donc, l’organisation de cette fédération s’est faite de la manière suivante : Léopold Sédar Senghor est désigné président de l’assemblée. Modibo Keita est élu président du gouvernement. Mamadou Dia est choisi comme vice-président et ministre de la défense. Le 18 août 1960, traversée par de multiples désaccords sur la désignation de ses responsables, la Fédération du Mali semble vouée à l’éclatement. Une nouvelle crise accélère le processus : Modibo Keïta donne des instructions au chef des forces armées, le colonel Soumaré, pour la mise en place de mesures de sécurité lors de la prochaine élection présidentielle. Il le fait sans prévenir son ministre de la défense, Mamadou Dia. Le 18 août, le colonel Soumaré demande aux unités de l’armée malienne qui sont à Podor et Bignona d’envoyer chacun une compagnie «en tenue de combat». Mamadou Dia tente de contrecarrer la décision, Modibo Keïta la reconfirme. Les Sénégalais ont la certitude que les Soudanais vont faire usage de la force et se préparent en conséquence. Les Soudanais sont persuadés que les Sénégalais préparent leur sécession. Le 19 août 1960 Modibo Keïta convoque un conseil des ministres extraordinaire dans la soirée pour empêcher la sécession du Sénégal. Un seul ministre sénégalais est présent. Mamadou Dia est déchargé de la défense. L’état d’urgence est proclamé. Le lendemain, La réponse des Sénégalais ne tarde pas à arriver. Le commandant de la Garde républicaine arrête le colonel Soumaré. Les hommes de la gendarmerie, qui sont Sénégalais, se rangent aux côtés de Senghor et de Dia. L’assemblée est convoquée. Elle vote en pleine nuit l’indépendance du Sénégal et décide elle aussi d’un état d’urgence. Le 21 août, Modibo Keïta et les représentants maliens présents à Dakar sont raccompagnés à la gare et quittent le pays. Ainsi donc c’est la fin de la fédération du Mali qui aura vécu très peu de temps. Le 5 Septembre 1960, Léopold Sedar Senghor prête serment comme president de la république dans un régime parlementaire où Mamadou Dia, président du conseil détient les réels pouvoirs.
La crise de Décembre 1962
1.     Genèse de la crise
Mamadou Dia avec sa politique de socialisme à la sénégalaise va s'attire toute une coalition opposante à sa démarche. Dia s’évertuait à éliminer certains privilèges que détenait un petit noyau de personnes. Ce qui rend l'atmosphère plus tendue, c'est le fait que les députés profitent de l'absence de Dia (hors du pays) pour voter l'augmentation de leurs indemnités. Les marabouts aussi s'étaient ligués contre Dia. Ce dernier avait limité leurs privilèges et s'était attaqué à leur intérêt en créant des coopératives agricoles. Suivant toujours son projet de développement, Dia veut inclure l'arabe dans l'enseignement primaire et secondaire à titre facultatif. Selon lui, le Sénégal, pays musulmans doit s'imprégner de savoir islamique afin de parer au fanatisme religieux. Il a aussi l'idée d'offrir des bourses d'études dans des pays musulmans comme l'Égypte. Les opposants de Dia utilisent cet argument pour l'opposer contre Senghor. Ils prétendent que Dia veut faire du Sénégal une République islamique. Dia qui commence de se faire une grande image auprès des sénégalais n'arrangeait pas Senghor pour sa popularité. La France a peur du basculement du Sénégal dans le bloc de l'Est vu que Dia effectue des voyages vers ces pays. C'est ainsi donc qu'avec tous ces éléments conjugués, Dia ne pourrait que tomber.
2.     Le supposé « coup d’Etat » de Dia
Il faut noter qu’au moment où la distance commençait à se faire sentir avec Senghor, Dia le retrouve à Paris pour en parler. Senghor lui dit qu’il n’a pas de problème avec lui mais avec certains de ses ministres comme Obèye Diop ou Valdiodio Ndiaye. De retour à Dakar, Dia procède au remaniement mais cela ne règle pas le problème. C'est ainsi donc que les députés se sont proposés de voter une motion de censure contre Dia dont apparemment beaucoup voulaient sa tête ». Cette motion devait passer dans parti avant d'aller à l’assemblée. Seulement les opposants de Dia savent que s'ils empruntent le processus normal, ils vont perdre dans le bureau du parti. C'est ainsi donc ils ont eu l'idée de brûler les étapes et d'aller directement à l’assemblée. Ce que Dia juge anormal et il prévoit de mobiliser la gendarmerie le jour où l'assemblée va voter cette motion. A noter pendant ce temps, Senghor était au courant de l'affaire mais n'a pas juger nécessaire de soutenir son ami. Pire, l'armée française était déjà prête à intervenir au cas où les choses tourneraient en faveur de Dia. Ce dernier n'avait point l'idée de faire un coup d'État mais de valoir ce qui est de droit. Et ce qui devait arriver arriva. Le 14 décembre 1962, le député Théophile JAMES dépose une motion de censure. A travers cette motion, les 39 députés signataires retiraient leur soutien au gouvernement qui d'après eux, ne respectaient pas les prérogatives de l’Assemblée. Dia, le 17 Décembre 1962, mobilise la gendarmerie qui va entourer l'assemblée nationale pour que les députés ne puissent pas entrer pour voter la motion. Cela passe pour un putsch aux yeux de tout le monde. Les députés se retirent chez Lamine Gueye pour voter la motion, Dia n'est pas compris et c'est la descente aux enfers.
3.     Le sort de «  l’ami »
Mamadou Dia est arrêté avec quatre autres ministres, Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall. Ils sont traduits devant la Haute Cour de justice du Sénégal du 9 au 13 mai 1963. La sanction est sans appel ! La prison à perpétuité pour Dia, la prison de Kedougou avec des chaleurs extrêmes. Il faut noter qu’entre-temps, en 1963, Senghor procède remplacement du régime parlementaire bicéphale (de type quatrième République) par un régime présidentiel classique.
Pendant son incarcération, beaucoup d'intellectuels vont s'activer pour la libération de Dia notamment Jean Paul Sartre. Son ex directeur de Cabinet Roland Colin revient voir Senghor dans le but d'un dialogue. Senghor lui demande d'aller dire à Dia qu'il peut le libérer si seulement Dia jure d'arrêter la politique à sa sortie. Dia refuse et dit je préfère être libre en prison plutôt qu'enfermé à l'extérieur . Avec cette réponse, Senghor se résolu donc à laisser son ami, malade des yeux, là où il est.  Seulement au moment où Colin est allé voir Dia, ce dernier avait écrit à Houphouët-Boigny. Ce dernier qui estimait Dia va faire effet de levier.
On note que depuis un certain temps le Sénégal et la Côte d'ivoire étaient en brouille, en 1974, c'est le rapprochement. Houphouët-Boigny devait venir à Dakar. C'est ainsi donc qu'il fera un chantage politiqueà Senghor. Il va accepter de venir à Dakar si seulement Senghor libère Dia. Léopold pour ne pas décevoir fut obligé de gracier Dia en Mars 1974.
Le procureur général de l'époque, Ousmane Camara , revient sur le déroulement du procès dans une autobiographie publiée en 2010 : « Je sais que cette haute cour de justice, par essence et par sa composition, (on y retrouve des députés ayant voté la motion de censure), a déjà prononcé sa sentence, avant même l’ouverture du procès (...) La participation de magistrats que sont le Président , le juge d’instruction (Abdoulaye Diop) et le procureur général ne sert qu’à couvrir du manteau de la légalité une exécution sommaire déjà programmée » le Général Jean Alfred Diallo , nommé Chef d'État major par Senghor au moment des événements en remplacement du général Amadou Fall et homme clé de ces événements, déclara : « Mamadou Dia n’a jamais fait un coup d’état contre Senghor … l’histoire du coup d’Etat, c’est de la pure fabulation » .
4.     Témoignages de Roland Colin
Roland Colin fut directeur de Cabinet de Mamadou Dia et son conseiller personnel aussi. Il nous livrait ceci dans une interview : « Lorsqu’il y a eu les événements de 1962, c’est le second épisode shakespearien,  à ce moment-là, Dia avait affronté le Léviathan de l’économie de traite, si vous voulez, et tous les intérêts économiques et politiques qu’il y avait derrière. Il était en toute première ligne et il y eut un déchaînement contre lui. Il y avait trois composantes dans le complot contre Dia : 1) les intérêts économiques, la chambre de commerce de Dakar, qui avait en arrière plan Unilever et les « huiliers , avec son président Charles Gallenca qui a mis de l’argent en jeu dans l’affaire, 2) les marabouts, seigneurs de l’arachide, et les traitants (les talibé-traitants étaient les complices des premiers), 3) et puis le personnel des politiciens, style IIIe République, qui étaient clients des deux autres. Se nouait ainsi une triple coalition qui mesurait très bien que, pour ses membres, si le projet de Mamadou Dia passait, c’était la fin d’un monde. La fin de leur monde en tout cas ! Senghor encore une fois a basculé, navigué à travers ces contradictions, et finalement la part la plus sombre de son personnage a pris le dessus. Il n’a pas soutenu Dia alors qu’il aurait pu le faire. S’il l’avait soutenu, à tous les deux, ils passaient le cap. Et probablement que les répercussions auraient été bien au-delà du Sénégal. Mamadou Dia s’est retrouvé en prison, sans avoir du tout préparé ce qu’on a qualifié de « coup d’État ». Parce que s’il avait fait un coup d’État, il aurait constitué les moyens de le gagner. Il n’a pas du tout voulu qu’il y ait de sang versé. Ses adversaires avaient ourdi un piège imparable en déposant une motion de censure à l’Assemblée pour le destituer, sans avoir réuni, comme le demandait Dia, le comité national du parti qui les avait investis les uns et les autres. Revenir à l’arbitrage politique supérieur était, pour le chef du gouvernement, un point d’éthique fondamental. Les députés hostiles décidèrent de voter sans attendre, ce à quoi Dia mit obstacle. On lui reprocha alors d’avoir transgressé la lettre du droit constitutionnel, et Senghor, sans dialogue avec Dia, donna raison aux parlementaires refusant de s’en remettre à la décision du parti, et le fit arrêter par un commando militaire. Voilà ce que l’on désigné comme le « coup d’État » de Mamadou Dia (1962), déféré ensuite devant une cour de justice d’exception composée de députés auteurs de la motion de censure, et le condamnant à la prison à vie (1963). Il y a eu ensuite cette désinformation qui a parfaitement fonctionné. Senghor avait vraiment mauvaise conscience et a joué à fond dans cette entreprise confortée par les médias extérieurs.
J’ai encore un numéro de Paris Match de la « semaine du destin » où l’on voit très bien le « félon » emprisonné par la légalité triomphante. La mise en scène est parfaite ! Il y a eu bien sûr quelques voix discordantes, notamment deux bons dossiers de la revue Esprit, dirigée alors par Jean-Marie Domenach, qui était une grande conscience. Lui a essayé de rétablir la vérité. Et puis Dia s’est retrouvé empaqueté à Kédougou, étouffé dans une prison au régime rigoureux. Senghor, probablement pour exorciser sa mauvaise conscience, a fermé les yeux et n’a pas voulu voir le réel, s’agissant de la condition cruelle qui était faite à Dia et aux ministres fidèles, ses compagnons de captivité.
François Perroux, le grand économiste, qui était un ami de Dia, a écrit à Senghor à ce moment-là en lui disant en gros que les conditions de détention étaient vraiment très dures. Et Senghor de lui répondre : Mais non ! Ils sont dans des petits pavillons climatisés.  Jusqu’où le croyait-il lui-même réellement ? »
La gouvernance de Senghor
1.     L’économie
Après les indépendances, l'Etat du Sénégal a conçu deux plans quadriennaux pour promouvoir le développement socio-économique du pays. Ces deux plans, conçus pour les périodes 1961-1965 et 1965-1969, visaient essentiellement la réforme du secteur agricole, socle de l'économie sénégalaise, mais fortement dominée par la monoculture arachidière. Le premier plan a permis la mise sur pied d'un système d'encadrement des ruraux à travers la création des Centres d'Expansion Ruraux (CER) et des Centres Régionaux d'Assistance au Développement (CRAD). L'objectif était d'encourager le développement de nouvelles cultures, comme la tomate et le coton, afin de réduire la dépendance de la paysannerie sénégalaise à la monoculture arachidière. A l'instar du premier plan, le second visait la consolidation de l'option de diversification de l'agriculture tout en renforçant la culture arachidière. Cependant, les années 1970 ont constitué un tournant décisif pour l'économie sénégalaise en raison des crises pétrolières de 1973 et de 1979, de la baisse des cours des principaux produits d'exportation (phosphate et arachide), et des sécheresses qui ont produit des changements d'orientation notoires. La politique interventionniste de l'Etat a buté sur un déséquilibre structurel qui a nécessité l'adoption d'une nouvelle approche en matière de politique de développement, sous l'instigation des institutions financières internationales (BM et FMI). Le déséquilibre était perceptible à plusieurs niveaux: croissance moyenne du PIB inférieure au croît démographique, faible taux d'investissement, déficit budgétaire structurel, etc.
2.     Senghor et la contestation
La décennie 60 débute dans un contexte de parti unique puisqu’à l’instar du PAI, le Bloc des masses sénégalaises et le Front national sénégalais, tous deux créés par l’historien Cheikh Anta Diop en 1961 et 1963 sont purement et simplement interdits. Senghor avance l’argument que l’unité est le meilleur salut actuel pour son pays et que par conséquent, le multipartisme ne doit pas être permis.
En mai 1968, les étudiants sénégalais répondent au mouvement qui touche alors la France en bloquant les activités universitaires et déclenchant une grève illimitée pour protester contre la corruption et la répression du pouvoir. Après un mois compliqué, un appel d’air apparaît le 30 mai et un appel à la grève illimitée est également lancé par l’Union nationale des travailleurs sénégalais (UNTS). Face à cette contestation d’une rare intensité, Senghor fait déclarer l’état d’urgence et procéder à des arrestations de leaders syndicaux ainsi qu’à la fermeture d’universités. Finalement, un accord est trouvé le 12 juin et l’UNTS accepte de participer à la vie du pays. Celle-ci prend plus de poids grâce à un comité de coordination UPS-UNTS qui entend donner la parole au syndicat. Mais ce comité s’avère être un cheval de Troie du président qui, via des syndicalistes proches de l’UPS, sabote de l’intérieur l’UNTS qui finit par être remplacée par la Centrale nationale des travailleurs sénégalais qui lui est beaucoup plus favorable et donc beaucoup plus simple à contrôler. Avec une opposition clandestine qui le défie régulièrement, le régime doit utiliser la force pour affirmer son autorité. Par conséquent, la brutale répression des grèves de mai 1968 affaiblit l’image de stabilité et d’autorité du régime. L’une des illustrations de cette image écornée est l’affaire Blondin Diop, le premier normalien de l’histoire du pays mourant en effet dans des circonstances suspectes. Officiellement retrouvé pendu dans sa cellule, ces explications ne convainquent pas et provoquent même de nouvelles protestations étudiantes et lycéennes.
(Prestation de serment de Senghor ; Getty images)
Léopold Sédar Senghor commence les années 1970 par alléger son emprise. Pour ne plus être l’unique cible de l’opposition, il fait réviser la Constitution par référendum en février 1970 et Abdou Diouf arrive au poste de Premier ministre nouvellement créé. Après une nouvelle victoire -remportée avec un score de 100%- aux élections présidentielles de 1973, Senghor ouvre même légèrement le champ politique à l’opposition l’année suivante en autorisant la création du Parti démocratique sénégalais (PDS) du juriste Abdoulaye Wade. En réalité, ce n’est qu’un parti de contribution qui est contrôlé, ne s’oppose pas et n’existe donc que pour donner une impression de pluralisme. Deux années plus tard, en mars 1976, une ébauche plus sérieuse du pluralisme se dessine avec la réforme du multipartisme grâce à laquelle la Constitution reconnaît trois courants de pensée dans lesquels un parti politique doit s’inscrire s’il veut être légal. Ainsi, le courant socialiste est incarné par l’UPS qui s’est proclamé en tant que tel quelques mois auparavant. Le PDS de Wade s’inscrit dans le courant libéral et le PAI peut enfin sortir de la clandestinité en revenant sous le nom de PAI-Rénovation et en rejoignant le courant marxiste. Néanmoins le PAI, à l’image du « socialisme scientifique » qu’il revendique toujours malgré le caractère vague du terme, reste toujours déconnecté des masses visées. Enfin, Cheikh Anta Diop refuse que son nouveau parti du Rassemblement national démocratique soit étiqueté marxiste-léniniste car l’athéisme qui y est associé aurait fortement affecté son audience dans un pays très islamisé. Des acteurs électoraux importants tels que les jeunes urbains et les marabouts de la puissante confrérie mouride étaient enclins à l’écoute. Le parti aurait ainsi pu être une place de choix pour le ralliement de l’opposition de gauche et par conséquent, le RND décide tout de même de s’organiser dans l’illégalité. Finalement, les forces de l’opposition sont fragilisées car le jeu politique apparaît en leur défaveur avec un système bâti pour l’UPS. Mamadou Dia, qui a été libéré sans toutefois revenir en politique, critique fortement la réforme constitutionnelle dans laquelle il voit une régression de la vie politique. Pourtant, l’UPS reste difficile à attaquer car ayant rejoint l’Internationale socialiste à l’automne 1976, sa légitimité à l’international était largement renforcée. En février 1978, Senghor est réélu une nouvelle fois avec un score fleuve 82% qui fait crier à la fraude parmi l’opposition malgré le fait que les conditions aient été plus démocratiques, notamment avec une liberté de la presse accrue.
La tentative d’assassinat
1.     Le déroulement
Ce jour là, 22 Mars 1967, les sénégalais célèbrent la Tabaski. Entre 9h et 10h, le président de la République, Léopold Senghor assiste du haut de la tribune d’honneur à la prière. Lui le chrétien. A quelques mètres de lui, le corps enserré dans un grand boubou jaune maïs, Moustapha Lo profite des salamalecs d’après prière et pointe son arme 9mm sur le président Senghor. Il est vite maitrisé et mis à terre par la garde rapprochée du président. Le sergent Seydou Sow raconte : «  A la fin de la prière, le président est allé saluer l’Imam ratib, Amadou Lamine Diène, avant de s’engouffrer dans sa voiture. Abdou Diouf qui était à l’époque le secrétaire général de la présidence de la République (1964-1968) est passé devant moi. C'est-à-dire entre moi et véhicule. J’ai reculé un peu  pour lui permettre de monter. Moustapha Lo a sauté sur l’occasion et a pointé son arme sur le président qui était déjà à bord du véhicule. Ayant senti son mouvement, je l’ai intercepté à temps avant de l’envoyer à terre. Après, j’ai mis mes genoux sur sa poitrine ». Abdou Diouf dira : « Il (Moustapha lo) a oublié d’armer. Il a tiré mais il avait oublié d’armer. On a entendu le déclic, la balle n’est pas partie. L’aide de camp a dit que la voiture parte ! Et dans la voiture il (Senghor) a dit : Abdou tu comprends, ce sont les risques du métier. C’est son seul commentaire. »

(Moustapha Lo)
1.     Le procès
Avant de développer cette partie, il est nécessaire de revenir sommairement sur le profil de Moustapha Lo. Ce dernier était le secrétaire particulier du guide religieux Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum. Du temps où le guide religieux était l’ambassadeur du Caire (capitale de l’Egypte) au Sénégal. Unique fils de ses parents, Moustapha Lo est doublement lié à la famille d’El hadji Malick Sy. « Sa mère appartient à la lignée de la famille religieuse des Kane de Léona de Kaolack. Ce qui fait qu’il est le cousin germain d’Al Makhtoom . En outre, El hadji Malick Sy est son oncle du coté de son père ». Indique Fatou Sarr, la femme de Moustapha Lo.
Le 18 Juin 1967, c’est le procès de Moustapha Lo au palais de justice du Cap Manuel. Tignasse mal peignée et barbe hirsute, d’une voix monocorde, Moustapha Lo dodeline de la tête. Après l’interrogatoire préliminaire sur l’identité des accusés, les débats reprirent « suivis par un public visiblement pressé de voir Moustapha Lo à la barre » indique le journaliste Edou Correa dans l’édition du 19 juin 1967 du journal Dakar-Matin.
Pressé de s’expliquer sur les mobiles des faits qui lui sont reprochés, Moustapha Lo se livre d’une voix calme. «  Je n’avais pas l’intention de le tuer. Je voulais simplement lui donner un avertissement pour le faire changer de politique», indique t-il face aux questions du commissaire monsieur Thierno Diop qui représentait les intérêts du gouvernement et du président Souley Diagne. A propos de l’arme, Lo avait indiqué qu’il l’avait emprunté parce qu’il voulait apprendre à tirer. L’issue de ce procès sera tout sauf réconfortant pour Moustapha Lo. La sentence est lourde, Moustapha Lo est condamné à la peine de mort puis exécuté le 27 Juin 1967 à  aux Champs de tirs. Ainsi donc pour la première fois, la peine de mort a été appliquée au Sénégal.
(Tombe de Moustapha Lo. Source : Weekend Magazine)

Senghor, tares et contradictions
1.     Cheikh Anta, Leopold Senghor : je t’aime , moi non plus
Dans ce chapitre, à travers un plan binaire, nous allons débuter par revenir sur la relation politique entre Diop et Senghor avant d’évoquer à travers une chronique de Boubacar Boris Diop qui revient les moteurs de La césure entre les deux hommes.
Dès 1961, Cheikh Anta Diop crée un parti politique (le Bloc des Masses Sénégalaises, BMS) d'opposition. Il en est le Secrétaire général. En raison de son activité politique il est emprisonné de mi-juillet à mi-août 1962 à la prison de la ville de Diourbel. Un non-lieu sera finalement prononcé. En 1963, pour museler Cheikh Anta Diop , Senghor a une stratégie : malheureusement pour lui , Cheikh Anta Diop refuse les postes ministériels qui sont proposés par Léopold Sédar Senghor au BMS. Une telle acceptation aurait signifié un renoncement au programme du BMS. La réaction du président-poète ne se fera attendre. C’est la dissolution du BMS, en octobre 1963, par le gouvernement sénégalais. Cheikh Anta Diop crée aussitôt un autre parti qui sera à son tour dissous l'année suivante. A chaque fois, Senghor déploie des stratégies pour lui barrer la route. Le 3 février 1976, Cheikh Anta crée encore un nouveau parti politique, le RND (Rassemblement National Démocratique) dont l'organe de presse est Siggi puis Taxaw. Mais là encore une fois Léopold Senghor par une retouche de la constitution barre la route à Cheikh Anta Diop : La loi dite "loi des trois courants" — socialiste, libéral et marxiste-léniniste — est promulguée le 19 mars 1976 et appliquée de manière rétroactive dans le but de rendre illégal le RND. Cette loi impose à l'opposition de se référer explicitement aux trois courants précités qui devaient désormais réglementer la vie politique au Sénégal. Le parti au pouvoir s'attribue l'étiquette socialiste, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) prend l'étiquette de parti libéral et le Parti africain de l’indépendance (P.A.I) prend l’option marxiste-léniniste. Le RND de Cheikh Anta Diop refuse de se plier à cette exigence et s'engage alors un bras de fer politico-judiciaire entre le gouvernement de Senghor et le RND, qui n'aura de cesse de lutter pour sa reconnaissance, pour la défense des acquis démocratiques et le progrès de la démocratie au Sénégal.
« Le destin semble avoir pris, dès l´origine, un malin plaisir à opposer les deux hommes. », cette phrase de Boubacar Boris Diop épouse bien la situation. A noter que dans ce chapitre, nous allons principalement nous baser sur l’excellent rapport de Boris Diop intitulé « LE SENEGAL ENTRE CHEIKH ANTA DIOP ET SENGHOR ».
Les origines même opposaient les deux hommes. Si Senghor est catholique et séeréer, Cheikh Anta Diop est mouride et wolof. L´auteur de Nations nègres et cultures a connu les rigueurs d´un mois de détention préventive à la prison de Diourbel durant l´hivernage 1962 et le système Senghor a essayé de contrer autant que possible, parfois par des manœuvres mesquines, la diffusion de sa pensée. Boris Diop revient sur une réalité qui existe dans le parcours des deux hommes : « Même s´il a suivi à la Sorbonne une filière de sciences humaines, Cheikh Anta Diop est surtout un scientifique formé à Henri IV, puis plus tard auprès de Frédéric-Joliot Curie, en physique et en chimie Nucléaires.
 Il reste d´ailleurs dans l´imagerie populaire africaine la figure même du savant, austère, désintéressé et sage. Quand il se demande dans un texte de 1975 ´Comment enraciner la science en Afrique noire´, Senghor s´était déjà rendu célèbre par une de ses formules les plus connues et les plus controversées : ´L´émotion est nègre comme la raison hellène´. Ancien de Louis-Le-Grand, agrégé de grammaire en 1935, Senghor se veut un humaniste plutôt hybride, du genre négro-latin. Prisonnier de guerre pendant deux ans, il stupéfie le gardien de son stalag qui le surprend en train de lire dans le texte les auteurs grecs et latins. La légende veut d´ailleurs que le soldat allemand se soit pris d´amitié pour Senghor à partir de ce moment et l´ait pris sous sa protection ». Boris Diop continue toujours : « Les deux intellectuels sont également séparés par le fossé psychologique que l´on peut aisément pressentir entre l´homme de pouvoir et l´opposant. Senghor a conduit le Sénégal à l´indépendance en avril 1960 et en a été le premier chef d´Etat jusqu´en décembre 1981, date de son retrait volontaire du pouvoir. Il avait été auparavant, pendant plusieurs décennies, une des plus importantes personnalités politiques sénégalaises. Fondateur du Bloc Démocratique sénégalais dans les années cinquante, député au Palais-Bourbon et secrétaire d´Etat dans un gouvernement français dirigé par Edgar Faure, il avait su mener de pair, avec constance, son combat politique et de rudes batailles philosophiques. Cheikh Anta Diop a, quant à lui, créé plusieurs partis politiques et le plus important d´entre eux a sans doute été, le 3 février 1976, le Rassemblement national démocratique. » On peut clore ce chapitre avec toujours ces mots de Boris Diop « On a parfois envie de penser à une réconciliation dans l´au-delà entre Cheikh Anta Diop et Senghor. Cette idée est agitée de temps à autre par les héritiers partisans d´un cessez-le-feu posthume. Elle est non seulement noble et séduisante mais elle n´est pas absurde a priori. D´une certaine façon, les deux hommes de culture étaient au service du monde négro-africain, en utilisant chacun ses armes propres. Et de fait, les Sénégalais ont très souvent une égale admiration pour eux. »
2.     Senghor et Dia, l’histoire d’une amité
Il faut déjà noter que la rencontre de Senghor avec Dia s’était faite dans des circonstances bien particulières. En 1943, Senghor qui présentait sa candidature pour la députation rencontre Dia à Fatick. Dia qui était directeur d’école alors l’interpelle. Suivant ses préjugés sur la politique, Dia disait à ce Senghor qu’il ne comprenait pas son entrée en politique lui qui fut agrégé de grammaire. A la fin de la discussion, Senghor finit par le convaincre. En 1948, sous l’influence de Senghor, Dia entre dans la politique sous la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière). En 1949, moment où Senghor avait déjà rompu avec Lamine Gueye, Dia fonde avec Senghor le Bloc Démocratique Sénégalais (B.D.S). Mamadou Dia sera élu sénateur du Sénégal puis député avec Senghor à l’assemblée Française en 1956. Les deux vont conduire le pays à l’indépendance, et gouvernent le pays dans un régime parlementaire jusqu’en…1962.
A la question : « Pourquoi alors Dia s’est-il trouvé un peu occulté par rapport à Senghor ? », Rolland Colin qui fut Colin fut directeur de Cabinet de Mamadou Dia et son conseiller personnel répondait : « Dans un premier temps, Mamadou Dia s’est positionné comme disciple de Senghor, et il se sentait pleinement à sa place comme le lieutenant par excellence. Il n’était pas le numéro trois, mais le numéro deux. D’ailleurs, tout le temps où il a été aux affaires, chaque fois qu’il était question de désigner un leader de premier rang, Dia, inconditionnellement, réclamait que Senghor s’y mette. Dia a accepté avec réticence de prendre la tête de la première équipe gouvernementale sénégalaise parce qu’il pensait que c’était Senghor qui devait le faire. Tout au long de son parcours, il en a été ainsi. Quand le Sénégal a été reconnu comme un État à part entière dans la Communauté, à nouveau Mamadou Dia est revenu à la charge en disant à Senghor qu’il devait être le président de ce premier État. Et Senghor n’a pas voulu, parce qu’il vivait encore à l’époque sous la tension de ses contradictions internes et ne se sentait pas en mesure d’arbitrer entre sa vocation poétique et sa vocation politique. Effectivement, le champ poétique était le seul pratiquement où il arrivait plus librement à concilier les contraires. Là, il était en pleine maîtrise des composantes de sa personnalité. Et puis, à son corps défendant, il est entré de plus en plus dans la politique et il s’est enfoncé dans ses contradictions. Mais quand Dia était au pouvoir au Sénégal, en première ligne, aux responsabilités, j’aime autant vous dire que dans la vie politique sénégalaise l’image et la position de Dia étaient extrêmement fortes. Tout à fait aussi fortes que celles de Senghor ! Dia avait une grande présence vis-à-vis des paysans. Il était doué d’une éloquence très remarquable et remarquée lorsqu’il s’adressait aux foules, notamment en wolof. C’était un excellent orateur. Alors que Senghor ne se risquait que rarement à employer les langues africaines, dont il avait une connaissance, disons, plus théorique.» Après être revenu sur le processus qui a abouti à la libération que Dia, Collin rajoute « Sur le plan spirituel, comme musulman soufi et non pas intégriste, Dia avait tout à fait réussi à procéder à une démarche intérieure de pardon et d’apaisement vis-à-vis de Senghor.
 Il a d’ailleurs cherché la réconciliation : deux jours après sa sortie de prison, il a demandé à rencontrer Senghor qui était très pris au dépourvu par cette démarche. Senghor l’a reçu au palais, c’était le soir. Dia s’est avancé vers Senghor qui était là, planté. Dia lui a dit : « Alors, tu ne m’embrasses plus Léopold ? » C’est vraiment une phrase historique, c’est vraiment quelque peu comme Stanley et Livingstone, « I suppose ». Et Senghor, à nouveau, s’est mis à avoir peur de Dia. ».
3.     Les critiques
Sur le plan politique, avant les indépendances, on peut bien se poser des questions sur certaines prises de positions de Senghor. Par exemple au moment où au Cameroun Ruben Um Nyobe s’évertuait à faire accéder son pays à l’indépendance à l’Onu en 1952, Senghor témoigne dans les mêmes lieux sur « l’absence de discriminations raciales dans le territoire du Cameroun et notamment au sein des instances judiciaires où autochtones et français sont équitablement représentés». Ce qui n’épouse pas la réalité d’alors. Léopold Sédar Senghor est souvent défini comme un « métis culturel » qui a tenté de concilier thématique de la négritude et civilisation de l’universel. Cette attitude n’a pas manqué de susciter assez tôt des oppositions plutôt violentes. On connaît à cet égard le passage célèbre de Nations nègres et culture dans lequel Cheikh Anta Diop dénonce ce qu’il appelle une « littérature nègre de complémentarité », se voulant enfantine, puérile, bon enfant, passive, résignée, pleurnicharde ». Senghor lui-même semble s’être complu dans la position qui lui est reprochée. On le voit par exemple dans les considérations qu’il développe dans la postface d’Éthiopiques, « Comme les lamantins vont boire à la source », lorsqu’il justifie, non sans une certaine dérision sur lui-même, le choix du français comme langue de poésie : « Mais on me posera la question : “Pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français ?” Parce que nous sommes des métis culturels, parce que, si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle, que notre message s’adresse aussi aux Français de France et aux autres hommes, parce que le français est une langue de “gentillesse et d’honnêteté”. Qui a dit que c’était une langue grise et atone d’ingénieurs et de diplomates ? Bien sûr, moi aussi, je l’ai dit un jour, pour les besoins de ma thèse. On me le pardonnera. Car je sais ses ressources pour l’avoir goûté, mâché, enseigné et qu’il est la langue des dieux ».
Sur le plan politique, tout d’abord, on doit noter que l’affirmation de la négritude comme thème littéraire ne s’est jamais accompagnée de la moindre tentative à en faire le cadre de la politique sénégalaise. Senghor s’est passionné pour la recherche d’une essence de l’africanité au point d’écrire des propos quelques peu hasardeux, concernant Tchicaya U Tam’Si. Ce dernier est un écrivain congolais (République du Congo). Il est le fils de Jean-Félix Tchicaya qui représenta l'Afrique équatoriale au parlement français de 1944 à 1958. Il est considéré comme l'un des grands poètes du continent africain. Ce que disait Senghor à son propos :
 « J’avais découvert un poème bantou. Car comment être poète, comment être le porteur d’un message si l’on n’est pas d’abord soi ? Tchicaya est un Bantou du Congo : petit mais solide, timide et têtu, sauvage dans la brousse de sa moustache, mais tendre, pour tout dire, homme de rêve et de passion. Je dis : un Bantou. C’est ce caractère qui définit, d’abord, Tchicaya et sa poésie. La poésie des Bantous est une des plus authentiquement négro-africaines. Elle est pure, du moins au Congo, de toute influence araboberbère. Et si elle ne l’est pas tout à fait de l’influence pygmée ou khoisan, c’est tant mieux, car les nègres marginaux de l’Afrique centrale et australe sont les plus près des sources. »
4.     Senghor, le panafricain
On note déjà de prime abord que Senghor est l’un des rares chefs d’Etat africain à avoir concrètement réalisé un idéal panafricain : la création d’ensemble. En effet même si cela n’a eu qu’une existence éphémère, La fédération du Mali a été effective. En Afrique de l’ouest francophone, tous les chefs d’Etats, pères de l’indépendance sauf Amadou Ahidjo, Félix Houphouët-Boigny et Sékou Touré ont été chassé du pouvoir. Et il faut noter que la gouvernance de ces trois cités a eu des répercussions négatives après leur départ. Senghor lui a pu gouverner pendant 20 ans sans guerre ni coup d’Etat. L’Afrique compte actuellement 54 pays et seulement 7 n’en ont pas connu de coup d’Etat et le Sénégal en fait parti. Cette donne Senghor y a joué un rôle. Dans les deux décennies qui suivent les indépendances beaucoup chefs d’Etats ont été chassés ou assassinés : François Tombalbaye, Maurice Yaméogo, Hubert Maga, Hamani Diori, Sylvanus Olympio etc.
Il n’y a eu chez lui aucun attrait pour l’« authenticité » telle que l’ont mise en valeur Mobutu ou Eyadema, et encore moins pour quelque chose qui aurait été, comme on l’a vu avec Buthelezi, un nouvel avatar de l’apartheid. La négritude fut l’affirmation d’une différence et, dans certains cas même, d’une volonté de séparation d’avec le monde occidental tout en empruntant à celui-ci certains thèmes qui faisaient partie de sa tradition intellectuelle et philosophique, comme, par exemple, la problématique du primitivisme et du bon sauvage, telle que l’avait développée Montaigne dans sa critique de la colonisation de l’Amérique ou Diderot dénonçant l’arrivée des Européens en Océanie, dans le Supplément au voyage de Bougainville. De plus, la lutte menée par Senghor contre le colonialisme et l’effort qu’il a déployé pour l’accession des territoires africains à l’indépendance se sont situés pendant longtemps dans le cadre des principes républicains français hérités de 1789 et 1848. Pour ne prendre qu’un exemple, on pourra citer un des discours les
plus violents prononcés par Senghor. Intervenant dans la séance du 21 mars
1946 à l’Assemblée constituante sur la situation de l’enseignement primaire
dans les territoires d’outre-mer, Senghor rappelle qu’on « ne peut accorder
que 14 millions à l’enseignement primaire du Sénégal, puisqu’on accorde
17 millions à la seule police municipale de Dakar » et ajoute ce commentaire
: « Cela m’amène à vous poser la question suivante : la France est-elle venue en Afrique noire pour féconder nos civilisations au contact de la sienne ou pour nourrir le chancre de la police sur le dos de peuples dont l’originalité était précisément d’avoir des civilisations collectivistes sans police ? (Applaudissements à gauche.) » Évoquant la « résistance » que les milieux coloniaux, l’administration et le gouvernement opposent à toute évolution du système d’enseignement, Senghor conclut avec un véritable réquisitoire :
« De hauts fonctionnaires se targueront de leurs titres de résistants pour résister à l’émancipation des peuples d’outre-mer. (Applaudissements à gauche.) Je vous le demande, mesdames, messieurs : les troupes noires qui, au dire même de M. Schumann, ont constitué, pendant deux ans, le gros des Forces françaises libres, plus particulièrement ceux qui sont tombés au
Fezzan, en Érythrée, en Syrie, à Bir Hakeim et ailleurs, ceux-là n’étaient-ils pas, eux aussi, des résistants, et d’une résistance autrement efficace que celle de nos résistants d’eau douce ? (Applaudissements.) Pour nous, il n’y a qu’une seule résistance qui vaille, c’est la résistance à l’esprit nazi, je veux dire au capitalisme camouflé en racisme. (Applaudissements à gauche et à l’extrême gauche.)  »


Senghor, La révolution des lettres
Les grands caractères de la poésie africaine ont été affirmés dès la parution de l’Anthologie de Léopold Sédar Senghor en 1948. C’est une poésie révoltée et douloureuse s’il en est, et fortement engagée dans le processus de la communication politique de l’époque et de la lutte contre le colonialisme et le racisme. Avec la publication de « Chants d’ombre » en 1945, Senghor allait libérer l’écriture littéraire des contraintes linguistiques. La question de la langue s’est toujours posée aux écrivains africains obligés d’utiliser le français qui est étranger à leur culture. C’est Senghor qui a publié en 1948, dans son Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, ces vers du poète haïtien Léon Laleau : « Sentez- vous cette souffrance et ce désespoir à nul autre égal, d’apprivoiser avec des mots de France ce cœur
qui m’est venu de Sénégal ? ». Et Senghor lui-même de s’écrier dans Liberté I : « On ne pourra plus faire parler les Nègres comme des Blancs… Il ne s’agira plus de leur faire parler « petit nègre » mais wolof, malinké, éwondo en
français ». Il y a donc chez Senghor une nette volonté de «réafricaniser» la littérature à travers sa langue d’expression : « Nous sommes pour une langue
française mais avec des variantes, plus exactement des enrichissements régionaux » (préface au lexique du français du Sénégal).  Ne dit-il pas dans La lettre à trois poètes de l’Hexagone : « je voudrai parler non seulement en Nègre mais encore en francophone » ? Aussi, le français de France se trouve –t-il africanisé par le poète qui ne répugne pas à insérer des mots tirés du lexique africain wolof ou Sérère dans son vocabulaire. Parfois Senghor forge des
Néologismes à partir des racines africaines (lamarque : de lamane, propriétaire terrien et du suffixe grec « arque », qui commande donc maître de terre). Remarquable est ce refus obstiné de se plier aux normes de la langue et de la poésie du colonisateur que Senghor désagrège et disloque à sa volonté. Plus de rimes ni d’alexandrins ou de sonnets. Le philosophe français Jean-Paul Sartre avait déjà perçu ce phénomène de la défrancisation du français qu’il salua dans sa préface intitulée « Orphée noir ». Senghor lui-même en a donné le ton dans Nocturnes : Que meure le poème, se désagrège la syntaxe, que s’abîment tous les mots qui ne sont pas essentiels dit-il dans « Élégie des circoncis ». L’académicien agrégé de grammaire française ne recule même pas devant les violations de la langue. Le présent du subjonctif du verbe prévaloir (que je prévale) devient dans « l’Elégie pour George Pompidou » (que je prévaille). Le verbe pronominal « se lamenter » est conjugué à la voix active avec un complément d’objet direct dans « l’Élégie des eaux » de Nocturnes : je vous lamente. Même l’orthographe n’est pas épargnée : « balafon » est toujours écrit avec un « g » (balafong) par le Maître de la langue. Par l’usage constant de ses écarts, Senghor aura accompli une révolution dans la langue de la littérature africaine.
La retraite
Après sa retraite du pouvoir, Senghor se retire en Normandie pour vivre sa passion. Senghor, Chantre de la négritude est élu à l'Académie Française le 2 juin 1983.
( Senghor avec le costume de l’Académie française)
(Senghor, le jour de son anniversaire, le 21 Octobre 1996 à Verson ; getty images)
A 95 ans, Léopold Sédar Senghor était au plus mal. À la mi-décembre 2001, il avait été hospitalisé à Caen, capitale de cette région de l’ouest de la France où il vivait.
 Le 20 décembre, Léopold Sedar Senghor s’éteignait à Verson, non loin de Caen, où il coulait des jours tranquilles dans la propriété familiale de son épouse Colette, qui, depuis que sa santé avait grandement décliné, l’entourait de son affection.
Une semaine après sa mort, le 29 décembre, les Sénégalais se pressaient sur le parcours du cortège funèbre qui conduisait l’ancien président à sa dernière demeure, le cimetière de Bel-Air de Dakar, où il allait reposer auprès de son fils Philippe-Maguilen, décédé accidentellement en 1981 à l’âge de 22 ans. Dans la cathédrale du Souvenir africain où était bénie la dépouille de ce fervent catholique, toute la classe politique sénégalaise était rassemblée pour rendre un dernier hommage à celui qui avait inscrit durablement la démocratie dans le jeu politique national.




Bibliographie


·        Benga Ndiouga, l’évolution politique de la ville de Dakar de 1924 à 1960, mémoire de maitrise, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, 1989, 228 pages
·        Chanda Tirthankar, Il y a quinze ans disparaissait le poète-président Léopold Sédar Senghor, rfi , 2016
·        Diop Boubacar Boris, le Sénégal entre Cheikh Anta Diop et Senghor , 2006
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Filmographie
·        Archives INA






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