Voici le quatrième numéro de notre magazine portant sur le parcours des grands hommes africains . Ce numéro porte sur Cheikh Anta Diop .

Sommaire




-          Enfance et Parcours
-          Nations nègres et culture ou la naissance d’un savant
-          Retour au Sénégal
-          Cheikh Anta et la recherche scientifique
·         Le colloque du Caire
·         L’après colloque
-          Cheikh Anta et la politique
·         L’opposition face à Senghor
·         Carrière politique après Senghor
-          Cheikh Anta , Léopold Senghor : je t’aime , moi non plus

Bibliographie

Enfance et Parcours…

Cheikh Anta Diop est né le 29 Décembre 1923 à Ceytou dans la région de Diourbel au centre du Sénégal  . Il est le fils unique de Massamba Sassoum Diop , un homme qui pourrait prétendre au titre de Damel du Cayor  et de Maguette Diop . Avant d’entamer ses études à l’école française, il va d’abord faire ses humanités à l’école coranique à Coki et à « keur gu maak » à Diourbel. Il va entrer à l’école régionale de Diourbel où il sort en 1937 avec son certificat de fin d’études primaires . Son diplôme en poche, il quitte sa terre natale pour Dakar et fera ses études secondaires au lycée Van Vollenhoven  actuel lycée Lamine Guèye . Déjà  , il se heurte son professeur de français qui selon lui est raciste . Il finit par gagner Saint Louis où il obtint son baccalauréat, première partie.  En 1945 , il obtient son brevet de capacité colonial qui correspond au baccalauréat . En Avril 1946, il embarque pour Paris avec l’idée de suivre des études dans l’aéronautique. A Paris, c’est le bouillonnement des idées : après la seconde guerre mondiale , les noirs prétendent à plus d’autonomie ; les étudiants en discutent et Cheikh Anta Diop sera concerné et sera très actif .  Il sera par exemple le secrétaire général des étudiants du Rassemblement Démocratique Africain ( R.D.A.) de 1951 à 1953. En France, en automne 1946, il s’inscrit en classe de Mathématiques supérieures au Lycée Henri IV. En même temps , il s’inscrit à la Sorbonne où il va avoir une licence en philosophie en Juin 1948 . Il collectionne les diplômes en alliant sciences humaines et exactes : en 1950 , il obtient à la faculté de sciences de Paris deux certificats de Chimie et deviendra Docteur ès lettres avec la mention honorable.

Nations nègres et culture ou la naissance d’un savant
En 1953 , c’est le déclic avec la parution de son livre « Nations Nègres et culture ». Ce livre est en fait le texte des thèses principale et secondaire destinées à être soutenues en Sorbonne en vue de l'obtention du doctorat d'État ès Lettres ; mais aucun jury ne put être formé.  Ce livre apparait comme une rupture dans le champs historique où le nègre n’avait pas sa place . Aimé Césaire dans Discours sur le Colonialisme (  Paris, Présence Africaine, 1955) dira « Nations nègres et Culture — [livre] le plus audacieux qu'un Nègre ait jusqu'ici écrit et qui comptera à n'en pas douter dans le réveil de l'Afrique » . Ce livre marque un tournant décisif dans la vie de Diop .
A partir de 1956 il enseigne la physique et la chimie aux lycées Voltaire et Claude Bernard, à Paris en tant que maître-auxiliaire. La même année , c’est la parution dans la revue "Présence Africaine" de l'article Alerte sous les Tropiques, texte qui préfigure son futur livre-programme : Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire (1960).  1960, une date charnière pour beaucoup de colonies africaines mais aussi pour Cheikh Anta Diop . Le 9 janvier 1960, il soutient, à la Sorbonne, sa thèse de doctorat d'État en lettres. Elle est publiée aux Éditions Présence Africaine sous les titres : L'Afrique noire précoloniale et L'Unité culturelle de l'Afrique noire. Le préhistorien André Leroi-Gourhan était son directeur de thèse, et son jury était présidé par le professeur André Aymard, alors doyen de la faculté des Lettres. La mention honorable lui a été attribuée. La même année, sort la première édition du livre Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire.
Retour au Sénégal…
Il dira dans un interview accordé à  "La Vie Africaine" (n°6, mars-avril 1960, p. 11 ) : « je rentre sous peu en Afrique où une lourde tâche nous attend tous. Dans les limites de mes possibilités et de mes moyens, j'espère contribuer efficacement à l'impulsion de la recherche scientifique dans le domaine des sciences humaines et celui des sciences exactes. Quand à l'Afrique noire, elle doit se nourrir des fruits de mes recherches à l'échelle continentale. Il ne s'agit pas de se créer, de toutes pièces, une histoire plus belle que celle des autres, de manière à doper moralement le peuple pendant la période de lutte pour l'indépendance, mais de partir de cette idée évidente que chaque peuple a une histoire ». Sa venue à Dakar ne se fera pas dans le calme. Le président de la jeune république sénégalaise, Léopold Sédar Senghor le surveille de près . Il n’enseignera pas à l’université de Dakar en tant que professeur d’histoir
est nommé assistant à l'Université de Dakar pour travailler à l'Institut Français d'Afrique Noire (IFAN). Il ne lui est confié aucun enseignement en sciences humaines.
Cheikh Anta et la recherche scientifique…
En 1961, Cheikh Anta Diop entreprend de créer un laboratoire de datation par le Carbone 14 (radiocarbone) au sein de l'IFAN de Dakar alors dirigé par le professeur Théodore Monod. De nombreux domaines peuvent bénéficier de l'existence d'un tel laboratoire. En 1963, c’est l’achèvement de la construction du laboratoire et début de l'équipement des différentes salles du laboratoire. Par une note de service en date du 17 avril 1963, Théodore Monod officialise, au sein du Département d'Archéologie et de Préhistoire de l'IFAN, l'existence du "Laboratoire de Datation par le Radiocarbone" dont le responsable est Cheikh Anta Diop. En 1966, Il reçoit avec feu le professeur W.E.B. Du Bois, le prix du 1er Festival des Arts Nègres, récompensant l'écrivain qui a exercé la plus grande influence sur la pensée nègre du XXe siècle. L’année suivante, c’est la parution de Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? (Présence Africaine). Cheikh Anta Diop répond à l'ensemble des critiques qui lui ont été faites depuis la parution de Nations nègres et Culture, en particulier celles exprimées par les africanistes Raymond Mauny, Jean Suret-Canale, etc. En 1970 , 1970 : Cheikh Anta Diop est sollicité officiellement par René Maheu, directeur général de l'UNESCO, pour devenir membre du Comité scientifique international pour la rédaction de l'Histoire générale de l'Afrique. Le secrétaire général de ce comité est le Béninois Maurice Glélé.
  • ·         Le colloque du Caire

Le Colloque d'égyptologie scientifique dit « Colloque du Caire », s'est déroulé du 28 janvier au 03 février 1974 sous l'égide de l'UNESCO, comme son nom l'indique, au Caire, en Egypte. Son objectif était d'une part, de terminer la rédaction du premier ouvrage encyclopédique consacré à l'histoire de l'Afrique. D'autre part, il visait à statuer sur l'origine du peuplement de l'Egypte ancienne sans oublier de faire le point sur le déchiffrement de l'écriture Méroïtique. Menée par  Cheikh Anta Diop, la délégation africaine ne se composait que du professeur Théophile Obenga . Leur mission était de défendre scientifiquement l'origine négro-africaine du peuplement de l'Egypte. Face à eux, plus de 22 savants venus des quatre coins du monde.
( Cheikh Anta Diop à gauche , Théophile Obenga à droite )

Lors de ce colloque, deux thèses se sont clairement affrontées : La première défend une progression première du nord vers le sud et un peuplement indo-européen de l'Egypte antique. La deuxième thèse vise à démontrer l'origine négro-africaine de la civilisation égyptienne et est soutenue par les professeurs Diop et Obenga . Voici un aperçu de la thèse de Cheikh Anta Diop : Le professeur Cheikh Anta DIOP, rappelle que les découvertes du professeur LEAKEY démontrent l'origine africaine de l'humanité. Cette humanité a pris naissance en Afrique, dans la zone des grands Lacs, induisant un premier peuplement humain de la Terre ethniquement homogène et forcément « nègre » ; en raison de la loi du professeur Gloger. Cela inscrit le peuplement de la vallée du Nil dans un mouvement progressif allant du sud vers le nord et qui s'est échelonné du Paléolithique supérieur à la Protohistoire. Ainsi, le fond de la population égyptienne prédynastique était nègre.  Toujours sur sa lancée , Il présente alors les arguments prouvant l'origine nègre des anciens Égyptiens comme l'examen des peaux de momies , les mensurations ostéologiques et les groupes sanguins , l'iconographie , les témoignages des auteurs grecs et latins , es traditions biblique et coranique etc. A l’issu du colloque du Caire , Cheikh Anta Diop appelle de ses vœux , une réorientation des études égyptologiques qui doit s’accompagner d’un dialogue avec les chercheurs africains . Depuis 1974 , les découvertes archéologiques , les études linguistiques  , les études génétiques etc. ne font que confirmer la thèse de Diop .
·         L’après Colloque
En 1981 , soit une année après le départ de Senghor , Il est nommé professeur d'histoire associé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Dakar. Vingt-sept ans après la parution de Nations nègres et Culture, vingt et un ans après son doctorat d'État, l'Université de Dakar s'ouvre enfin à son enseignement de l'histoire. Il y enseignera en maîtrise, en DEA et dirigera des thèses jusqu'à sa disparition en 1986.
Cheikh Anta et la politique…
  • ·         L’opposition face à Senghor

Etant un homme engagé, dès son retour au bercail, Diop entre dans la politique comme opposant à Senghor. Dès 1961 , Cheikh Anta Diop crée un parti politique (le Bloc des Masses Sénégalaises, BMS) d'opposition au régime en place dirigé par le Président Léopold Sédar Senghor et le Premier ministre Mamadou Dia. Il en est le Secrétaire général. En raison de son activité politique il est emprisonné de mi-juillet à mi-août 1962 à la prison de la ville de Diourbel. Un non-lieu sera finalement prononcé. En 1963, pour museler Cheikh Anta Diop , Senghor a une stratégie : malheureusement pour lui , Cheikh Anta Diop refuse les postes ministériels qui sont proposés par Léopold Sédar Senghor au BMS. Une telle acceptation aurait signifié un renoncement au programme du BMS. La réaction du président-poète ne se fera attendre. C’est la dissolution du BMS, en octobre 1963, par le gouvernement sénégalais. Cheikh Anta Diop crée aussitôt un autre parti qui sera à son tour dissous l'année suivante. A chaque fois, Senghor déploie des stratégies pour lui barrer la route . Avec cette nouvelle dissolution , Diop met sa carrière politique en stand by sans pour autant se départir de tout ce qui touche à elle . Par exemple, Le 22 novembre 1975, il se rend en Guinée, sur invitation de Sékou Touré, pour assister, à côté des délégations des pays progressistes, à la commémoration de la victoire du peuple de Guinée sur les forces portugaises qui avaient agressé ce pays.
L’année suivante, il fait son retour dans l’arène politique. Il crée, le 3 février 1976, un nouveau parti politique, le RND (Rassemblement National Démocratique) dont l'organe de presse est Siggi puis Taxaw et dans lequel Cheikh Anta Diop publiera plusieurs articles concernant la politique intérieure sénégalaise, mais aussi la politique internationale, la question de l'énergie à l'échelle du continent africain, celle des déchets toxiques, etc. Mais là encore une fois Léopold Senghor par une retouche de la constitution barre la route à Cheikh Anta Diop : La loi dite "loi des trois courants" — socialiste, libéral et marxiste-léniniste — est promulguée le 19 mars 1976 et appliquée de manière rétroactive dans le but de rendre illégal le RND. Cette loi impose à l'opposition de se référer explicitement aux trois courants précités qui devaient désormais réglementer la vie politique au Sénégal. Le parti au pouvoir s'attribue l'étiquette socialiste, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) prend l'étiquette de parti libéral et le Parti africain de l’indépendance ( P.A.I) prend l’option marxiste-léniniste . Le RND de Cheikh Anta Diop refuse de se plier à cette exigence et s'engage alors un bras de fer politico-judiciaire entre le gouvernement de Senghor et le RND, qui n'aura de cesse de lutter pour sa reconnaissance, pour la défense des acquis démocratiques et le progrès de la démocratie au Sénégal.
  • ·         Carrière politique après Senghor…

Après le départ de Senghor du pouvoir , la situation va se décanter pour Cheikh Anta Diop . Abdou Diouf , son successeur  fait voter par l'Assemblée nationale une loi supprimant la limitation du multipartisme. Le 7 avril 1981, le Tribunal correctionnel de Dakar met un terme aux poursuites judiciaires engagées par le gouvernement sénégalais contre Cheikh Anta Diop. Le 18 juin 1981, le RND de Cheikh Anta Diop est enfin reconnu après cinq années d'une lutte sans relâche. En 1983 , c’est les élections législatives marquées par de nombreuses anomalies             . Cheikh Anta Diop refuse de siéger à l'Assemblée nationale en raison de l'ampleur des fraudes constatées.
Cheikh Anta , Leopold Senghor : je t’aime , moi non plus
« Le destin semble avoir pris, dès l´origine, un malin plaisir à opposer les deux hommes. » , cette phrase de Boubacar Boris Diop épouse bien la situation . A noter que dans ce chapitre , nous allons principalement nous baser sur l’excellent rapport de Boris Diop intitulé « LE SENEGAL ENTRE CHEIKH ANTA DIOP ET SENGHOR ».
Comme précédemment écrit, les origines même opposaient les deux hommes .  Si Senghor est catholique et séeréer, Cheikh Anta Diop est mouride et wolof. L´auteur de Nations nègres et cultures a connu les rigueurs d´un mois de détention préventive à la prison de Diourbel durant l´hivernage 1962 et le système Senghor a essayé de contrer autant que possible, parfois par des manœuvres mesquines, la diffusion de sa pensée.  Boris Diop revient sur une réalité qui existe dans le parcours des deux hommes : « Même s´il a suivi à la Sorbonne une filière de sciences humaines, Cheikh Anta Diop est surtout un scientifique formé à Henri IV, puis plus tard auprès de Frédéric-Joliot Curie, en physique et en chimie nucléaires. Il reste d´ailleurs dans l´imagerie populaire africaine la figure même du savant, austère, désintéressé et sage. Quand il se demande dans un texte de 1975 ´Comment enraciner la science en Afrique noire´, Senghor s´était déjà rendu célèbre par une de ses formules les plus connues et les plus controversées : ´L´émotion est nègre comme la raison hellène´. Ancien de Louis-Le-Grand, agrégé de grammaire en 1935, Senghor se veut un humaniste plutôt hybride, du genre négro-latin. Prisonnier de guerre pendant deux ans, il stupéfie le gardien de son stalag qui le surprend en train de lire dans le texte les auteurs grecs et latins. La légende veut d´ailleurs que le soldat allemand se soit pris d´amitié pour Senghor à partir de ce moment et l´ait pris sous sa protection » . Boris Diop continue toujours : « Les deux intellectuels sont également séparés par le fossé psychologique que l´on peut aisément pressentir entre l´homme de pouvoir et l´opposant. Senghor a conduit le Sénégal à l´indépendance en avril 1960 et en a été le premier chef d´Etat jusqu´en décembre 1981, date de son retrait volontaire du pouvoir. Il avait été auparavant, pendant plusieurs décennies, une des plus importantes personnalités politiques sénégalaises. Fondateur du Bloc Démocratique sénégalais dans les années cinquante, député au Palais-Bourbon et secrétaire d´Etat dans un gouvernement français dirigé par Edgar Faure, il avait su mener de pair, avec constance, son combat politique et de rudes batailles philosophiques. Cheikh Anta Diop a, quant à lui, créé plusieurs partis politiques et le plus important d´entre eux a sans doute été, le 3 février 1976, le Rassemblement national démocratique. » on peut clore ce chapitre avec toujours ces mots de Boris Diop « On a parfois envie de penser à une réconciliation dans l´au-delà entre Cheikh Anta Diop et Senghor. Cette idée est agitée de temps à autre par les héritiers partisans d´un cessez-le-feu posthume. Elle est non seulement noble et séduisante mais elle n´est pas absurde a priori. D´une certaine façon, les deux hommes de culture étaient au service du monde négro-africain, en utilisant chacun ses armes propres. Et de fait, les Sénégalais ont très souvent une égale admiration pour eux.
Quelques temps avant sa mort , le savant subissait plusieurs malaises , sans doute , une situation qui n’augurait pas du bon . Et ce qui devait arriver arriva , le 7 février 1986 Cheikh Anta DIOP décède, à son domicile de Fann, quartier situé non loin de l'Université de Dakar qui aujourd'hui porte son nom.
 ( Mausolée Cheikh Anta Diop à Thieytou )

Il laisse inachevé un travail, publié aux Éditions Présence Africaine sous le titre Nouvelles recherches sur l'égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes. Senghor son adversaire de toujours dira : «  Comme je l’ai souvent affirmé , le professeur Cheikh Anta Diop avait raison plus sans doute qu’il ne le croyait… »
C’est sur cette note que nous refermons ce numéro de Grands d’Afrique spécial Cheikh Anta Diop , un héros dont le Sénégal n’a pas su appécier à sa juste valeur .
" La facilité avec laquelle nous renonçons, souvent, à notre culture ne s'explique que par notre ignorance de celle-ci, et non par une attitude progressiste adoptée en connaissance de cause."  Cheikh Anta Diop


Bibliographie
Diop Boubacar Boris , le Sénégal entre Cheikh Anta Diop et Senghor , 2006
Ankh n°3 , les 20 ans du colloque , Juin 1994
Webographie
Ankhonline /Biographie Cheikh Anta Diop
Cheikhantadiop .net
Foka Alain , Archives d’Afrique – Cheikh Anta Diop , 2013
Filmographie
Mbaye Ousmane William , Kemtiyu, Cheikh Anta , 2016 , 1h34 minutes





Commentaires

  1. Très bien fait mon prof. Fier de vous et merci d'avoir écrit sur l'homme qu'est Cheikh Anta Diop un inspirateur un panafricain. Notre fierté.
    Bonne continuation

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