Ce qui est arrivé le 15 Octobre 1987 au soir est l'aboutissement conséquent d'un plan minutieusement élaboré et conduit de main de maître. On peut résumer le plan de la conspiration comme suit:
1°) S'assurer le contrôle des Organisations politiques membres du C.N.R., en s'attachant leurs principaux dirigeants par la corruption.
2°) Par l'entremise des Organisations politiques ainsi acquises, exercer un contrôle sur les diverses structures populaires (Comités de Défense de la
Révolution, Pouvoirs Révolutionnaires Provinciaux, Union des Femmes Burkinabé, syndicats, etc.) en vue de susciter un mouvement de mécontentement
contre la politique du C.N.R. et surtout contre son Président.
3°) S'attacher par la corruption, les principaux chefs militaires (à cet effet, beaucoup de millions de francs CFA ont été distribués dans les casernes).
4°) Susciter des alliances en dehors du C.N.R., avec des organisations politiques telles que le P.A.I. (Parti Africain pour l'Indépendance) et le P.C.R.V.
(Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque). Des tentatives d'approche ont été effectuées en direction de ces deux organisations.
5°) Réveiller les sentiments du groupe de pression tribale des Mossi de Ouagadougou.
6°) Pratiquer la maxime suivante: «Etre allié de Rome, et s'en faire un appui, c'est l'unique moyen de régner aujourd'hui» (la). Pour ce faire, par l'entremise de Djibrina Barry, Ambassadeur du Burkina Faso à Paris, un intriguant de la plus belle eau, présenter une image acceptable dans le milieu de la droite française donnée gagnante aux élections qui s'annonçaient. Le chef de la conspiration lui-même mettra à profit l'année (Septembre 1986 à
Septembre 1987) pour effectuer de nombreux voyages à l'extérieur du pays, notamment en Chine, en URSS, en Libye et en Côte d'Ivoire, s'arrangeant
toujours, lorsque c'était possible, pour faire des escales plus ou moins prolongées à Paris. De retour de Moscou, il s'arrêtera à Tripoli où il gagnera le soutien de Khadafi. Le Président Thomas Sankara avait fini par porter ombrage au «Grand Frère» Khadafi à cause de ses «immixtions» impromptues dans les questions internationales où était impliquée la Libye (ce fut le cas pour la question tchadienne). Par l'entremise de Frédéric Korsaga, Ambassadeur du Burkina Faso à Abidjan,
Compaoré va multiplier les actes d'allégeance au «Vieux». Dans le milieu de la classe politique ivoirienne, plus royaliste que le roi lui-même, l'impatience était à peine contenue d'en finir enfin avec ce «dérangeant» Capitaine Thomas Sankara.
Le «Vieux», longtemps demeuré sourd aux interpellations renouvelées de sa classe politique, avait fini par donner le feu vert: «rai tout fait, dira-t-il, pour me concilier le "Petit", mais en vain».
Le Veux se décrit lui-même, comme étant «un crocodile qui dort les yeux ouverts. Un crocodile qui se nourrit de capitaines». Il avait prononcé cette phrase comme réplique aux provocations du Capitaine Pierre Ouédraogo (encore lui),
qui au cours d'un meeting aux portes du «Vieux» à Gnangologo (village frontalier) l'avait qualifié de «Vieux crocodile»... Concernant le cas du Burkina révolutionnaire, Houphouët-Boigny avait choisi
la tactique de la prise du château-fort de l'intérieur. Il s'arrangea pour mettre le ver dans le fruit et il lui suffit d'attendre que le pourrissement s'effectuât. Quelles que soient ses protestations énergiques (la quête forcenée du Prix Nobel de la Paix l'y oblige!), il n'est pas étranger à ce qui s'est passé à Ouagadougou le 15 Octobre 1987 même s'il n'a peut-être pas souhaité la mort du Président Thomas Sankara. Aussitôt après le 15 Octobre 1987, on raconte, que Blaise Compaoré s'est rendu clandestinement auprès du «Vieux» pour lui rendre compte. Celui-ci serait rentré dans une violente colère contre son protégé: «Pourtant, devait-il lui dire, tu m'avais assuré de son impopularité!»
7°) Amener la presse à décrier le Président Thomas Sankara et à présenter Blaise Compaoré, comme l'alternative nécessaire. Au nombre des tracts qui ont pu circuler dans cette période contre le Président du C.N.R., il en est un, particulièrement symptômatique, signé par un regroupement de Mossis militant pour l'hégémonie sans partage de cette ethnie majoritaire au Burkina. On pouvait
y relever le fait que plus jamais le sang d'un Mossi ne coulerait du fait d'un autre Mossi et au profit d'un étranger. L'allusion au Président Thomas Sankara était à peine voilée. On y invitait tous les Mossis à s'unir pour bouter hors des limites du pouvoir l'ennemi commun étranger! Dans le Burkina Faso de 1987, que de telles manifestations de tribalisme aient été encore possibles, voilà qui surprend à plus d'un titre.
8°) Enfin: travailler à endormir la vigilance du Président Thomas Sankara en arguant la fidélité et l'amitié, principes sacrés chez les Mossi et que l'on ne saurait trahir.
Ce qui fait des événements du 15 Octobre 1987, une véritable tragé die cornélienne, c'est que le Président Thomas Sankara était au fait et dans leurs moindres détails, de tous les agissements des membres de la conjuration et de leurs réelles intentions.
Somé Valère, Thomas Sankara, l'espoir assassiné, Paris l'Harmattan, 1990, pp 40 - 42
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