Supplantation des Partis politiques d'opposition par les mouvements populaires : l'essor de l'Activisme ( perspective historienne )
15 août 1963. Une des premières révolutions populaires en Afrique indépendante chassait le président Fulbert Youlou au Congo. C'est la révolution des "trois glorieuses". Un exemple rare à l'époque en Afrique. Les changements de régime qui suivaient étaient le plus souvent l'œuvre des militaires, par Coup d'Etat. Ce peuple qui se réveille et qui demande le départ d'un président ; c'est un phénomène qui se développe à la fin de la décennie 80. Un moment particulier. Nous y reviendrons dans les prochaines lignes.
Aujourd'hui, c'est l'ère de l'Activisme. Ici et là foisonnent des mouvements populaires : Urgence panafricanistes, Frapp, Balai citoyen, Lucha etc. Le combat d'une autre époque. Dans ce présent article, nous nous intéresserons aux mutations qui ont donné naissance à cette forme d'opposition.
Peu après les Indépendances, les régimes en place ont tenté l'expérience du parti unique. Le Tanu au Tanganika, le Pdg en Guinée, PDCI/Rda en Côte d'Ivoire etc. Au Sénégal, Senghor parle de "parti dominant", le sien. L' UPS qui réduit l'opposition à sa plus simple expression. Ce phénomène existait un peu partout en Afrique. Au sein de ces partis, se constituaient des mouvements de jeunes. Ces derniers prenant la part active de la vie du parti. Etant dans un système de parti unique, l'opposition était le plus souvent en exil. Par exemple, beaucoup d'opposants guinéens rejoignirent le Sénégal. Cette opposition étant le plus souvent incarnée par l'élite intellectuelle. Par exemple, au Benin, Emile Zinsou fuit la révolution de Mathieu Kerekou tandis que Camara Laye quitte la Guinée pour s'installer au Sénégal. La majeure partie des jeunes était embrigadée au sein du Parti unique où quelque fois, ils se forment en milice.
La fin des années 80 et le début des années 90 marquait un tournant. Avant tout, on assiste à une expression des échecs accumulés durant des années. Les politiques entreprises jusque-là sont infructueuses. Beaucoup de pays entrent en récession comme le cas de la Côte d'Ivoire. La fin de la Guerre froide porte l'estocade. Les répercussions ne tardent pas. Les populations sortent dans la rue et demandent le départ du président. Cette situation produit, par ricochet, le développement du phénomène des conférences nationales et surtout ! de l'ouverture démocratique qui se lit à travers le multipartisme. Ainsi durant cette période, beaucoup de leaders africains vont perdre le pouvoir : Mathieu Kerekou - Moussa Traoré - Denis Sassou Nguesso etc.
L'adoption du multipartisme fait naître une multitude de petits Partis faibles. Au Sénégal, c'est une politique entreprise dès le début des années 80 par Abdou Diouf. La naissance de ces multitudes de Partis est accompagnée de répercussions. Premièrement, on peut noter la disparition ou la régression progressive des Partis "traditionnels". Par exemple au Sénégal, depuis son départ du pouvoir en 2000, le Parti socialiste de cesse de dégringoler.
Deuxièmement, les Partis sont dépourvus d'idéologies. Que proposent-ils dans le fond ? On peut se poser cette question. Au Sénégal, actuellement à part le Parti gauchiste Pastef, le reste entre dans un même sillage. Ces petits partis souvent finissent phagocytés.
Troisièmement, l'existence des Parti s'adosse à deux phénomènes : les coalitions et le clientélisme.
La tactique pour l'opposition, c'est de former des coalitions. En 2012 par exemple au Sénégal, toute l'opposition se réunit pour combattre Wade. S'agissant du clientélisme, les Partis forts financièrement, "achètent des militants". Les conséquences sont nombreuses.
Pour les coalitions, les bases ne sont pas solides. Juste après l'élection, la coalition vole en éclats. Ce qui est arrivé avec Benno Bokk Yakaar. Idem pour Manko Wattu Sénégal. S'agissant du clientélisme, les germes de la corruption voient le jour, accompagné d'un manque de crédibilité.
Évidemment, la multitude des Partis et la fin du parti unique favorisent la liberté d'expression de la jeunesse. Ajoutée au phénomène du clientélisme, des coalitions et des Partis sans réellement idéologie, cette situation fait naître une nouvelle forme d'opposition : L' Activisme.
Ce que l'on peut noter de prime abord, c'est le fait que ces mouvements naissent d'une réaction. Une opposition face à une politique. Une réaction suscitée par des événements aussi...
La dernière décennie débutait par la crise en Côte d'Ivoire avec le rôle déterminant joué par la France. Peu de temps après, débutait le printemps arabe. Ces événements produisent des effets rapidement. Au Sénégal, naissait un soulèvement populaire qui allait chasser le président Wade, le M23 voyait le jour en Juin 2011. D'autre part, l'intervention de la France au Mali est aussi à prendre en compte. Cet élément ajouté à la crise ivoirienne, la mort de Khadafi et la présence du Franc-Cfa font naitre un sentiment anti-impérialiste. Émerge la figure de Kemi Seba...
Évidemment, ces mouvements populaires sont des formations de Gauche. Il ne s'agit plus de militer pour un candidat. Il s'agit d'un changement de système. Il s'agit de rompre avec l'héritage colonial et avec les leaders jugés fantoches. Kemi Seba créait Urgences panafricanistes. Au Sénégal, naissait le mouvement M23 et Y'en a marre au début de la décennie 2010. Au Burkina Faso, le mouvement Balai citoyen joue un rôle majeur dans les manifestations qui ont précipité le départ de Compaoré. Dans un autre registre, on peut inscrire la Lucha au Congo.
Après les élections de 2012, au Sénégal, le mouvement Y'en a marre régressent. Entre temps, s'installe un regime et une politique jugés francophile. Ce sentiment d'être toujours sous joug. Evidemment, les révoltes de 2011-2012 sont encore fraiches dans les memoires. Comme un réflexe, des mouvements de contestation contre cette politique voient le jour notamment le FRAPP. Celui ci n'est pas le seul à exister. Beaucoup de petits mouvements ont aussi vu le jour et parfois glissent vers des coalitions souvent circonstancielle : Aar liniou Bokk - Nio lank etc. Ces mouvements portent la lutte qui auparavant émanait des partis politiques d'opposition.
Exit la figure du secrétaire général. Vient celle du leader activiste : l'émergence des figures de Kemi Seba - Guy Marius Sagna - Nathalie Yamb etc. Les secrétaires généraux sont dans l'ombre. Aussi, existe une fine frontière entre les leaders de formations de Gauche. La relation entre Guy Marius Sagna et Ousmane Sonko en est un parfait exemple.
Quel est l'avenir de ces mouvements ? L'Histoire nous donnera sans doute une réponse. Pour le moment, ces mouvements naissent ici et là comme des champignons, mettant à jour une nouvelle configuration.
Bathie Samba Diagne
Etudiant au departement d'histoire - Ucad
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