Le référendum de 1958 : Pourquoi le Sénégal avait voté "oui"...





Après la loi cadre en 1956, l’heure était venue pour la France de mettre en place un nouveau projet qui allait mener à l’indépendance de ses colonies. L’idée est de donner une autonomie progressive aux colonies pour éviter la répétition des cas de l’Indochine et de l’Algérie. Dans ce cadre, le Général De Gaulle propose la « Communauté ». Via un référendum, les colonies africaines étaient appelées à prendre leur indépendance en votant « oui » ou bien à continuer avec la France dans la « Communauté » en votant « non ». Mamadou Dia raconte dans cet extrait pourquoi il n’a pas été présent à Dakar lors de la visite du Général De Gaulle. Il relate aussi la manifestation des porteurs de pancartes, la prise de position de Valdiodio Ndiaye et ses divergences avec Senghor. Nous rappelons que c’est un extrait de son autobiographie.

Assurément nous avons été contre l’accession de De Gaulle au pouvoir. C’est, d’ailleurs, ce qui explique que nous étions,  pour la plupart, pour voter non au référendum et, de fait, j’avais même, en tant que Secrétaire Général de l’U.P.S., fait un rapport dans le sens d’un vote négatif.
En vérité, ce sont les manifestations de Dakar qui ont complètement chamboulé  mon projet. Je n’avais pas prévu ces manifestations. J’étais parti parce que De Gaulle venait à Dakar et ne s’était pas du tout donné la peine d’en informer les Chefs de Gouvernement que nous étions. J’ai dit : « Il n’y a pas de raison que je reste là pour l’attendre ». Je suis, donc, parti, mais vraiment sans me douter qu’il allait y avoir des manifestations. Senghor était, également, en Normandie.
Contrairement à ce que l’on croit, nous ne nous sommes pas du tout concertés. Nous ne nous attendions pas du tout à ces manifestations. Cela se comprend, c’était la semi-autonomie. Nous n’avions pas la Police. Nous n’avions pas de Service de Sécurité. C’est ce qui explique que nous n’ayions pas pu être informés. Si nous avions eu, à cette époque-là, la Sécurité, les Services de Police et les Services de renseignement,  nous l’aurions été.
La vérité, l’évidence est que c’est à notre insu que les choses se sont passées. Pour Senghor, les vacances, c’est quelque chose de sacré. Il avait décidé de partir tel mois ; le ciel pouvait se retourner, au Sénégal, il n’était pas question, pour lui, de renoncer à ses vacances.
Moi je venais de sortir de la bagarre contre les syndicats, contre le patronat, j’étais fatigué, réellement, j’avais absolument besoin de repos et le comportement cavalier de De Gaulle m’incitait à ne pas l’accueillir.
Les manifestations, il faut le dire, ont été organisées par des gauchistes. Valdiodio en accueillant De Gaulle en termes assez raides, a fait un discours conforme à mes positions. Il savait que j’étais pour voter « non » au référendum. En effet, j’avais fait- avant mon entretien avec Senghor mon rapport au Parti qui concluait au « non ». Aussi, la seule surprise pour moi ce furent les manifestations de Dakar et non point le discours de Valdiodio.
Après ces incidents, je suis allé en Normandie pour rencontrer Senghor. Nous avons, alors, fait paraitre un communiqué pour déplorer ce qui s’était passé. C’est, justement, à cette occasion que nous avons eu, lui et moi, un long tête- à- tête pathétique, qui a duré quatre ou cinq heures. Dans cette discussion que nous avons eue, Senghor et moi, à Gonneville-sur-mer, en Normandie, nous étions partis, l’un et l’autre, de prémisses diamétralement opposées. Pour ma part, je soutenais qu’il fallait relever le défi Gaullien, qu’il fallait affirmer notre majorité et, donc, mettre fin à la présence française.
Senghor, quant à lui, estimait que ce serait l’aventure, l’anarchie, que nous avions besoin pendant encore une longue période du cadre de la Communauté. Mais, tous deux, nous avions conscience que la rupture, en ce moment historique, du tandem que nous constituions serait une catastrophe irréparable. Nous avions, tous deux, conscience que, dans ce débat, il ne pouvait y avoir ni vainqueur, ni vaincu et que nous étions condamnés à  trouver un compromis entre nos deux positions.
C’est pourquoi la discussion fut longue, serrée, passionnée. Chacun d’entre nous eut à donner, cet après midi là, le meilleur de lui-même comme dialecticien. Mais Senghor avait d’autres ressources que la dialectique. Il savait se faire séducteur en stimulant, au besoin, le repentir et en plaidant, pour lui, l’indulgence. C’est les larmes aux yeux, que j’ai cédé au nom d’une vieille  fraternité d’armes, devant l’aveu lâché en désespoir de cause, à travers un sanglot de remords qui arrachait le pardon et invitait à oublier la faute.
Senghor me dira que, de toute façon, lui, avait pris ses dispositions pour voter « oui »…et il dut, devant mon insistance, m’avouer qu’il avait déjà fait des promesses au gouvernement français. Naturellement, je n’étais pas d’accord. Nous avons eu une longue discussion.
Je lui ai dit que j’acceptais de me ranger à  son point de vue, c'est-à-dire de voter et de faire voter « oui » au référendum. Mais, à condition qu’il soit entendu et dit explicitement que c’était un « oui »à l’indépendance et que dans deux ans nous prenions celle-ci. C’est dans ces conditions que nous nous sommes mis d’accord pour venir prêcher le « oui ».
Ce fétichisme de l’amitié qui me perdra. Senghor connaissait bien ma faiblesse : il l’exploitera chaque fois que de besoin. Homme du double jeu, il se ménagera des arguments de droit dont il se prévaudra une fois la rupture sentimentale consommée.
Au sein du Parti, nous étions une  très forte majorité à vouloir voter « non », puisque nous étions en mesure, au Sénégal, de prendre tout de suite notre Indépendance. Nous avions les cadres ; nous étions certainement les mieux placés ; peut être mieux placés que la Guinée du point de vue des cadres, pour prendre, sans attendre, notre Indépendance. Il y a eu une discussion sur le délai. Pour Senghor, il fallait attendre quinze,  vingt ans pour digérer l’autonomie. J’ai refusé de le suivre.

Mamadou Dia, Mémoires d'un militant du tiers-monde, Paris, Publisud, 1985, pp 91-93


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