Après
la loi cadre en 1956, l’heure était venue pour la France de mettre en place un
nouveau projet qui allait mener à l’indépendance de ses colonies. L’idée est de
donner une autonomie progressive aux colonies pour éviter la répétition des cas
de l’Indochine et de l’Algérie. Dans ce cadre, le Général De Gaulle propose la
« Communauté ». Via un référendum, les colonies africaines étaient
appelées à prendre leur indépendance en votant « oui » ou bien à
continuer avec la France dans la « Communauté » en votant
« non ». Mamadou Dia raconte dans cet extrait pourquoi il n’a pas été
présent à Dakar lors de la visite du Général De Gaulle. Il relate aussi la
manifestation des porteurs de pancartes, la prise de position de Valdiodio
Ndiaye et ses divergences avec Senghor. Nous rappelons que c’est un extrait de
son autobiographie.
Assurément nous avons été contre l’accession de De
Gaulle au pouvoir. C’est, d’ailleurs, ce qui explique que nous étions, pour la plupart, pour voter non au référendum
et, de fait, j’avais même, en tant que Secrétaire Général de l’U.P.S., fait un
rapport dans le sens d’un vote négatif.
En vérité, ce sont les manifestations de Dakar qui
ont complètement chamboulé mon projet.
Je n’avais pas prévu ces manifestations. J’étais parti parce que De Gaulle
venait à Dakar et ne s’était pas du tout donné la peine d’en informer les Chefs
de Gouvernement que nous étions. J’ai dit : « Il n’y a pas de
raison que je reste là pour l’attendre ». Je suis, donc, parti, mais
vraiment sans me douter qu’il allait y avoir des manifestations. Senghor était,
également, en Normandie.
Contrairement à ce que l’on croit, nous ne nous
sommes pas du tout concertés. Nous ne nous attendions pas du tout à ces
manifestations. Cela se comprend, c’était la semi-autonomie. Nous n’avions pas
la Police. Nous n’avions pas de Service de Sécurité. C’est ce qui explique que
nous n’ayions pas pu être informés. Si nous avions eu, à cette époque-là, la
Sécurité, les Services de Police et les Services de renseignement, nous l’aurions été.
La vérité, l’évidence est que c’est à notre insu que
les choses se sont passées. Pour Senghor, les vacances, c’est quelque chose de
sacré. Il avait décidé de partir tel mois ; le ciel pouvait se retourner,
au Sénégal, il n’était pas question, pour lui, de renoncer à ses vacances.
Moi je venais de sortir de la bagarre contre les
syndicats, contre le patronat, j’étais fatigué, réellement, j’avais absolument
besoin de repos et le comportement cavalier de De Gaulle m’incitait à ne pas
l’accueillir.
Les manifestations, il faut le dire, ont été
organisées par des gauchistes. Valdiodio en accueillant De Gaulle en termes
assez raides, a fait un discours conforme à mes positions. Il savait que
j’étais pour voter « non » au référendum. En effet, j’avais fait-
avant mon entretien avec Senghor mon rapport au Parti qui concluait au
« non ». Aussi, la seule surprise pour moi ce furent les
manifestations de Dakar et non point le discours de Valdiodio.
Après ces incidents, je suis allé en Normandie pour
rencontrer Senghor. Nous avons, alors, fait paraitre un communiqué pour
déplorer ce qui s’était passé. C’est, justement, à cette occasion que nous
avons eu, lui et moi, un long tête- à- tête pathétique, qui a duré quatre ou
cinq heures. Dans cette discussion que nous avons eue, Senghor et moi, à
Gonneville-sur-mer, en Normandie, nous étions partis, l’un et l’autre, de
prémisses diamétralement opposées. Pour ma part, je soutenais qu’il fallait
relever le défi Gaullien, qu’il fallait affirmer notre majorité et, donc,
mettre fin à la présence française.
Senghor, quant à lui, estimait que ce serait
l’aventure, l’anarchie, que nous avions besoin pendant encore une longue
période du cadre de la Communauté. Mais, tous deux, nous avions conscience que
la rupture, en ce moment historique, du tandem que nous constituions serait une
catastrophe irréparable. Nous avions, tous deux, conscience que, dans ce débat,
il ne pouvait y avoir ni vainqueur, ni vaincu et que nous étions condamnés
à trouver un compromis entre nos deux
positions.
C’est pourquoi la discussion fut longue, serrée,
passionnée. Chacun d’entre nous eut à donner, cet après midi là, le meilleur de
lui-même comme dialecticien. Mais Senghor avait d’autres ressources que la
dialectique. Il savait se faire séducteur en stimulant, au besoin, le repentir
et en plaidant, pour lui, l’indulgence. C’est les larmes aux yeux, que j’ai
cédé au nom d’une vieille fraternité
d’armes, devant l’aveu lâché en désespoir de cause, à travers un sanglot de
remords qui arrachait le pardon et invitait à oublier la faute.
Senghor me dira que, de toute façon, lui, avait pris
ses dispositions pour voter « oui »…et il dut, devant mon insistance,
m’avouer qu’il avait déjà fait des promesses au gouvernement français.
Naturellement, je n’étais pas d’accord. Nous avons eu une longue discussion.
Je lui ai dit que j’acceptais de me ranger à son point de vue, c'est-à-dire de voter et de
faire voter « oui » au référendum. Mais, à condition qu’il soit
entendu et dit explicitement que c’était un « oui »à l’indépendance
et que dans deux ans nous prenions celle-ci. C’est dans ces conditions que nous
nous sommes mis d’accord pour venir prêcher le « oui ».
Ce fétichisme de l’amitié qui me perdra. Senghor
connaissait bien ma faiblesse : il l’exploitera chaque fois que de besoin.
Homme du double jeu, il se ménagera des arguments de droit dont il se prévaudra
une fois la rupture sentimentale consommée.
Au sein du Parti, nous étions une très forte majorité à vouloir voter
« non », puisque nous étions en mesure, au Sénégal, de prendre tout
de suite notre Indépendance. Nous avions les cadres ; nous étions
certainement les mieux placés ; peut être mieux placés que la Guinée du
point de vue des cadres, pour prendre, sans attendre, notre Indépendance. Il y
a eu une discussion sur le délai. Pour Senghor, il fallait attendre
quinze, vingt ans pour digérer
l’autonomie. J’ai refusé de le suivre.
Mamadou Dia, Mémoires
d'un militant du tiers-monde, Paris, Publisud, 1985, pp 91-93
Commentaires
Enregistrer un commentaire