Sommaire
1.
Enfance et Parcours scolaire…
·
L’Histoire
du Togo
·
La
formation d’Olympio
2.
Entrée en politique et ascension
3.
Sylvanus Olympio, président !
·
Olympio,
la différence avec ses pairs
4.
Olympio et la France
·
une
histoire de monnaie…
·
Divergences
5.
Bisbilles et remous
·
La
question des Ewés
·
Olympio
contre Nkrumah…
6.
Olympio, la chute
·
Les
clivages Nord - Sud
·
Olympio
face aux « démobilisés »
7.
L’assassinat de Sylvanus Olympio
·
Le
film
·
Les
thèses
Bibliographie
1.
Enfance et Parcours scolaire…
Sylvanus Epiphanio Kwami Olympio est
né en 1902 à Kpando dans l’ancien Togo britannique actuel Ghana. Son grand père est un métis portugais venu du
Brésil. Il est le premier fils d’Epiphanio Elpidio Olympio, un commerçant de
produits tropicaux. Sylvanus Olympio débute ses études dans une région alors
colonisée par l’Allemagne à la Mission Catholique allemande de Lomé. Pour
comprendre la trajectoire d’Olympio, il est nécessaire de connaitre l’histoire
de son pays : le Togo
·
L’Histoire du Togo
En 1883, Bismarck s’interessa au
Togo. Colliard écrit « une convention franco-allemande, signée à Berlin le
24 décembre 1885, comporte la reconnaissance du protectorat allemand sur les
quelques villages du Togo situés au delà de la lagune de Lomé et la
renonciation de la France aux droits qu'en raison de ses relations avec les
roitelets locaux elle pourrait faire valoir sur les territoires de Porto Seguro
et de Petit Popo. Le traité prévoit la délimitation des zones d'influence
française et allemande de la Côte des Esclaves qui est effectuée par le procédé
de la commission mixte au cours de l'année 1886. De même une convention
anglo-allemande fixe en 1888 la frontière à l'ouest de Lomé [1]» .
Débuta alors une course vers l’arrière-pays. En 1914 débutait la première
guerre mondiale. Les répercussions se manifestent dans les colonies africaines.
Notons que le Togo est encerclé par des possessions britanniques et françaises.
En Aout 1914, l’Allemagne perd le Togo au profit de la France et de la Grande
Bretagne. Après la guerre, le Togo devient un mandat « B » de la
société des Nations. Sa gestion est assignée à la France et à la Grande
Bretagne.
·
La formation d’Olympio
C’est dans ces nombreuses mutations
que le jeune Olympio va fréquenter l’école. Après être passé par la Mission
Catholique allemande de Lomé, il va connaitre l’école britannique avant de
rejoindre l’école française. Un polyglotte en devenir…Au tout début des années
1920, Olympio quitte l’Afrique pour aller poursuivre ses études à Londres. Il
entre à la prestigieuse école London School of Economics d’où il sort avec le
diplôme de Bachelor of commerce. Selon son fils Ghilchrist, Il est le premier
noir diplômé de cette école en 1924. Sylvanus Olympio continue à faire des
études et développe sa panoplie. Après son passage à Londres, il étudie le
droit international en France à Dijon puis à Viennes en Autriche. A la fin de
ses études, il est employé à Unilever, une entreprise anglo-néerlandaise. Après
un passage au Nigéria et au Gold Coast, Olympio gravit les échelons. Peu avant
la deuxième guerre mondiale, en 1938, il est adjoint à l’agent général
d’Unilever pour le Togo à l’United Africa Compagny.
2.
Entrée en politique et ascension
Lors de la seconde Guerre mondiale,
Sylvanus Olympio rejoint le camp des Gaullistes. Ce choix a pour conséquence un
séjour en prison au Dahomey. Olympio en sort en 1943 avec plus d’aura. Il devient
un ponte dans le Comité de l’Unité Togolaise (C.U.T. ), une formation politique
qu’il avait rejointe à sa naissance en 1941.
La fin de la deuxième guerre mondiale
ouvre une nouvelle ère. Comme dans presque toutes les colonies, le processus
d’émancipation est enclenché. En 1945,
l’Onu naissait des cendres de la S.D.N.
Elle reprit à son compte le mandat de la S.D.N. sur le Togo et désigna
un conseil de tutelle chargé de contrôler l’administration française. Les
partis politiques togolais travaillaient activement à l’évolution du statu du
pays mais se divisèrent en deux camps opposés dans leurs objectifs : Le
Comité de l’Unité Togolaise (C.U.T.) de Sylvanus Olympio et le Mouvement
Populaire Togolais (M.P.T.) de Nicolas Grunitzky, beau frère d’Olympio. Bien
des choses opposaient ces deux camps. Parmi celles-ci, les relations avec la
France. Olympio défendait l’idée d’une réunification et d’une autonomie tandis
que Grunitzky voulait une association plus étroite avec la France.
( Sylvanus Olympio, photo prise dans les années 50 - Getty images)
Lors de l’assemblée générale de l’Onu en 1947,
Sylvanus Olympio présenta sa doléance au Conseil de tutelle. Ses activités
commence à être surveillées. En 1954, Olympio est condamné à 5 millions de francs
d’amende pour ne pas avoir déclaré sa fortune à l’étranger. Lors de l’élection
de 1955 et lors du Référendum en 1956, il appelle au boycott. Il faut noter que
l’administration française appuyait Nicolas Grunitzky plus francophile. Nicolas
Grunitzky devint premier ministre en 1956. Paralèllement, un référendum fut
organisé dans le Togo britannique en 1956, qui approuva son rattachement à
la Gold Coast. Ainsi, s’amplifiait le problème de la répartition des Ewe qui se
retrouvent désormais d’une part et d’autre de la frontière. Nous y reviendrons
dans les lignes qui suivent. Les
partisans de Nicolas Grunitzky gagnèrent du terrain lorsque, le 1er
Septembre 1956, après consultation référendaire, la France proclama la
République autonome du Togo, associée à la France : le Togo obtenait ainsi
le droit d’envoyer des députés à l’assemblée nationale à Paris. Deux ans plus
tard, Olympio et le C.U.T. vont renverser la vapeur. Le 27 Avril 1958, les
élections législatives contrôlées par l’ONU aboutirent à la victoire du C.U.T.
Sylvanus Olympio devient premier ministre. Deux ans plus tard, jour pour jour,
le Togo accède à l’indépendance.
( Indépendance du Togo - Archive de l'Ina )
3.
Sylvanus Olympio, président !
·
Olympio, la différence avec ses pairs
Pour comprendre la démarche adoptée
par le Togo depuis 1958, il est nécessaire de dégager une étude comparative
entre Sylvanus Olympio et les autres présidents d’Afrique occidentale
francophone. Il faut noter qu’Olympio a évolué dans un milieu différent. Ayant
vu le jour dans une région colonisée par l’Allemagne, il a fait la grande
partie de ses humanités dans un milieu anglophone avant de poursuivre ses
études en France. Il revient en Afrique et voyage dans la sous région. S’y ajoute qu’il a fait des études d’économie
et de commerce. Pour finir, il travaillait dans une grande firme privée
d’envergure internationale.
S’agissant des autres présidents,
nous pouvons dire qu’ils ont tous évolué dans un milieu francophone, façonné
dans la culture française. Ils n’ont pas connu la diversité d’Olympio. Certains
sont allés très tôt en France comme Senghor, ils y ont été formés. La quasi-totalité
des autres a été au Sénégal soit à l’Ecole Normale William Ponty ou à l’Ecole
de Medecine. D’ailleurs beaucoup d’entre eux ont été fonctionnaires du gouvernement
d’Outre mer en tant qu’enseignant : Modibo Keita, Hamani
Diori…contrairement à Olympio qui était cadre dans une grande entreprise
privée. Pour finir, la majeure partie des autres présidents avait des postes
dans la 4ème République française au même moment, Olympio entamait
sa lutte pour l’indépendance du Togo.
Ces différences auront bien des
conséquences s’agissant de la gestion. C’est qui fait qu’Olympio s’est mis en
retrait par rapport aux autres notamment dans ses relations avec la France.
4.
Olympio et la France
·
une histoire de monnaie…
A la tête du Togo depuis 1958,
Sylvanus Olympio va mener une démarche assez spéciale : l’indépendance et
l’autonomie en ligne de mire. Le processus d’indépendance du Togo encadré par
l’Onu va « imposer » une collaboration entre Olympio et Paris bien
que dans le fond les idées sont différentes.
Guia Migani[2] écrit :
« Pendant sa première période au pouvoir, la principale préoccupation
d’Olympio est d’arriver à l’indépendance, tout en conservant de bonnes
relations avec la puissance tutélaire. Le leader togolais est conscient des
besoins du pays et de l’importance de l’aide apportée par la France [3]». Il poursuit : « Pendant la période
1958-1960, Olympio met en acte une politique toujours de plus en plus
indépendante par rapport à la France. Dans un premier temps, la collaboration
s’impose pour arriver à la fin de la tutelle et ne pas retarder la proclamation
de l’indépendance. Mais dès qu’il s’agit de définir les nouveaux rapports
franco-togolais, Olympio a des idées précises avec lesquelles il n’est pas
disposé à transiger : le Togo aura une monnaie nationale dont une gestion
rigoureuse assurera la stabilité ; l’équilibre des finances sera assuré par le
contrôle des prix et le blocage des salaires ». Robert Julienne,
inspecteur général des Finances nous faisait part des mots du directeur général
de la BCEAO sur Olympio: « M. Olympio,
bénéficiaire d’une formation et d’une pratique commerciales pragmatiques, est
moins préoccupé de développement à long terme que de l’essor et de la
diversification d’un commerce considérable à l’échelle du pays et de caractère
international […]. À cette fin, il désire concilier les avantages d’une monnaie
commune avec les soucis de ne pas se trouver trop entraîné par les autres États
participant à celle-ci dont il ne partage pas les options politiques et
économiques, […]. Il souhaite développer les ouvertures commerciales et
financières avec l’étranger : la zone franc est avantageuse dans la mesure où
elle permet de libres transactions dans cette aire géographique, mais à la
condition d’être dépouillée de ses contraintes pour les transactions
extérieures à celle-ci, conception qui heurte ses interlocuteurs français .[4] »
Les négociations pour la définition
d’un nouvel accord économique et monétaire commencent en mars 1960, un mois
avant la proclamation de l’indépendance. Finalement les négociations se
terminent le 28 septembre 1962 : l’accord prévoit la création d’un institut
d’émission national, dirigé par un conseil d’administration composé de façon
paritaire ; le président du conseil d’administration sera désigné par le
gouvernement togolais, et le directeur général, qui reçoit d’importants pouvoirs
propres de gestion, par le gouvernement français. La monnaie togolaise, appelée
provisoirement « franc togolais », sera garantie de façon illimitée par le
Trésor français[5]. Ces
accords ne seront pas appliqués. Quatre mois après, Olympio...
( Sylvanus Olympio - Jacques Foccart - Général De Gaulle, Getty images )
·
Divergences
Les ambitions d’indépendance réelle
d’Olympio vont se heurter au souhait de Paris de conserver ses anciennes
colonies dans son giron. La question de la monnaie parait comme l’un des
éléments les plus importants. Olympio veut diversifier ses partenaires et va
au-delà de sa collaboration avec Paris. Ainsi, Une semaine avant la
proclamation de l’indépendance, le Premier ministre togolais envoie une lettre
au président de la Commission Economique Européenne (C.E.E.) pour lui demander
de négocier un nouveau traité d’association : « Monsieur le
Président, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le gouvernement de la
République du Togo, sur le point de devenir indépendant, désire s’associer à la
CEE. Le gouvernement de la République du Togo pense qu’il peut le faire
conformément aux dispositions de l’article 238 du traité établissant la CEE
sans changement important dans les droits et obligations actuels d’association
y compris l’assistance du Fonds de développement conformément aux clauses du
traité. Le gouvernement de la République du Togo suppose également que cette
association n’implique aucun engagement spécial à titre individuel avec les
États membres de la CEE. Le gouvernement de la République du Togo serait
heureux d’avoir votre confirmation sur cette interprétation en vue de lui
permettre d’entreprendre, dans les meilleurs délais, des négociations à cette
fin[6] ».
Dans un autre volet, Sylvanus Olympio
tissait des liens avec d’autres pays. Migani écrit : « Pendant les
années 1960-1963, après l’indépendance, Olympio s’emploie à élargir les
relations internationales de son État et à ne pas dépendre exclusivement de
l’aide française. De ce point de vue, la République fédérale d’Allemagne et les
États-Unis constituent deux importants alliés. La première accepte de financer
l’élargissement et l’aménagement du port de Lomé ; en outre, les deux États
signent des traités de commerce, de coopération économique et technique, de
navigation maritime et de circulation aérienne. La France s’inquiète en
particulier de l’importance grandissante d’un expert allemand en matière de
questions monétaires, Von Mann, placé auprès du président togolais. Le conseiller
économique formule même des propositions de réforme dans un domaine, celui de
l’union monétaire franco-africaine, que Paris considère comme lui étant réservé.
Ce fait, ajouté aux autres marques d’intérêt de Bonn pour l’Afrique, suscite
sinon la méfiance au moins quelques réserves du côté français[7].
Quant aux États-Unis, en 1961, le Togo est l’un des trois pays de l’Afrique francophone,
avec le Mali et la Guinée, à avoir signé un accord-cadre dans lequel s’inscrit l’assistance
américaine. L’aide américaine s’est traduite surtout par l’importation de
produits alimentaires, en 1962, Washington a envoyé au Togo une aide
alimentaire pour une valeur d’environ 84 millions de francs CFA ; pour l’année
1963, la République togolaise et les États-Unis sont convenus d’une aide totale
de 95 millions CFA, qui sera versée en partie sous forme de crédits et en
partie en nature[8]. Enfin,
pendant la visite d’Olympio aux États-Unis, en mars 1962, un accord
garantissant les investissements américains dans le pays a été signé. Washington
trouve que le Togo est un élément important pour la stabilité de la région ; si
le gouvernement américain n’encourage pas le relatif isolement du pays par
rapports aux États francophones, il partage la politique d’ouverture commerciale
d’Olympio et appuie son engagement auprès des Nations unies et sa tentative de créer
des liens entre États francophones et anglophones. En effet, il faut noter ici
une autre cause de désaccord entre Olympio et le gouvernement français : tandis
que Paris cherche à renforcer la cohésion du groupe des États africains de
langue française, Olympio refuse de participer aux regroupements que ceux-ci sont
en train de constituer, et s’engage pour la constitution d’une organisation
africaine unitaire. »[9]
( John Kennedy et Sylvanus Olympio - Getty images )
5.
Bisbilles et remous
·
La question des Ewés
La conférence de Berlin a divisé
géographiquement l’Afrique sans tenir compte de la répartition ethnique. Au
Togo, la situation a amplifié avec le départ des allemands lors de la première
guerre mondiale. Le Togo est divisé en deux parties, sa gestion est confiée à
la France et à la Grande Bretagne. Cette nouvelle configuration répartit les
Ewés d’une part et d’autre de la frontière entre les futurs républiques
ghanéenne et togolaises. Au fil du temps, diverses manœuvres de regroupement
ont été tentées. Colliard note ceci : « Olympio exposa, en 1947,
devant le Conseil de tutelle que le « peuple » Ewé était victime d'un
morcellement en des territoires que s'étaient disputés les Puissances
coloniales et dont les frontières artificielles étaient orientées nord sud
alors que les divisions ethniques et linguistiques étaient, selon lui,
perpendiculaires ». En 1956, par un référendum, le Togo britannique déclarait
son rattachement au Ghana qui sera indépendant plus tard. Ainsi donc, les Ewés
se divisaient au moment de l’indépendance en appartenant à deux pays
différents. Ce qui jeta les bases d’une future animosité.
·
Olympio contre Nkrumah…
C’est une rivalité contre nature.
Sylvanus Olympio et Kwame Nkrumah sont deux leaders progressistes, militants
panafricanistes. Des bisbilles dans cette convergence d’idées relèvent donc d’une
situation extraordinaire. Lansiné Kaba[10]
notait : « Quand le Togo britannique, par référendum se joint au
Ghana, les leaders de l’ex-mandat français du Togo craignaient des visées
expansionnistes de Nkrumah ». Il poursuit en nous montrant la progression
de l’hostilité entre les deux hommes : « A partir de 1960, quand
Olympio échappe à un attentat, les relations entre Accra et Lomé prennent un
mauvais tournant. La baisse du prix du Cacao au Ghana et, par conséquent, le transport en contrebande d’une
partie de la production sur le marché togolais suscitent la tension, et
finalement la crise. Le Bureau des affaires africaines intensifie sa propagande
à la radio contre le Togo. D’aucuns pensent qu’il encourage et finance des
mouvements subversifs à Lomé[11]
». La tension alla crescendo. Ainsi, à la conférence de Lagos en Janvier 1962,
les membres du groupe de Monrovia menacent de rompre les relations avec le
Ghana s’il attaque le Togo. L’hostilité définira les relations entre Accra et Lagos durant la
quasi-totalité du règne d’Olympio.
6.
Olympio, la chute
·
Les clivages Nord - Sud
Il faut revenir sur la configuration
géopolitique pour mieux comprendre une des raisons de l’assassinat de Sylvanus
Olympio. Pendant la colonisation, certaines régions ont été plus développées
que d’autres. Celles ouvertes sur la mer, porte d’entrée des puissances
colonisatrices, sont plus « avancées ». C’est le cas au Togo. L’élite
intellectuelle est issue du Sud. S’y ajoute le fait que la présence des
« Nordistes » est quasi-nulle dans les gouvernements d’Olympio, ce
qui fait que certains taxeront Olympio de régionaliste. Il faut noter aussi le
fait que « sur les 24 membres des trois gouvernements successifs d’Olympio,
deux seulement sont nordistes [12]». Dans
cette configuration, le Nord devient un foyer d’opposition. Chose accentuée par
un corps important : l’armée. En effet, la majeure partie des militaires
vient du Nord. Toulabor Comi écrit : « Avant 1960, à part quelques
rares instituteurs sans grande formation scolaire et quelques personnalités
politiques comme Fousseni, Ayeva, Méatchi etc., l’élite du Nord était
essentiellement militaire. Les colonisateurs successifs recrutaient la force
armée dans les régions déshéritées du Nord réputées de tradition guerrière»[13].
Avec cette configuration, ajoutée avec la question des Ewé, batir l’unité
s’avéra être une tâche ardue pour Olympio. Surtout que Paris ne le voit plus
d’un bon œil, certains militaires aussi…
·
Olympio face aux « démobilisés »
Bien que des accords de tutelle aient
interdit à la France de lever des contingents de tirailleurs au Togo, un
certain nombre de Togolais consentaient à des engagements individuels et
signaient leurs contrats sur le territoire dahoméen. Au lendemain de
l’indépendance, le Togo se retrouvait avec quelque 700 soldats autochtones
démobilisés à la fin des guerres d’Indochine et d’Algérie.[14]
Ces soldats auront pour vœu d’intégrer la jeune armée nationale togolaise, ce
que Sylvanus Olympio refusait. Il leur parlait en ces termes : « Des
mercenaires comme vous qui, tandis que nous luttions pour l’indépendance,
massacriez les nationalistes algérien ? [15]».
S’agissant de principes, Olympio ne pouvait pas les engager dans son armée.
Dans un autre aspect, Olympio faisait attention à son budget. Pierre Chauleur écrit : « Soucieux de l'équilibre financier de l'Etat,
M. Sylvanus Olympio, un des rares leaders africains attentifs aux deniers
publics, refusa de leur donner satisfaction. [16]».
Avec cette décision, Olympio se
constitue une coalition d’opposants. Ces soldats vont être appuyés par
l’ambassadeur de la France au Togo, Louis Mazoyer. La France souhaite le départ
d’Olympio qui prend beaucoup de liberté. S’y ajoute à ces éléments que la
plupart des militaires est issue du Nord du Togo, une région qui n’est pas bien
représentée dans le gouvernement d’Olympio.
Tout menait à une situation tendue. C’est ainsi qu’au début de l’année
1963, ce qui devait arriver arriva…
7.
L’assassinat de Sylvanus Olympio
·
Le film
Ce soir du Samedi 12 Janvier 1963,
vers 23heures, le président Sylvanus Olympio travaille sur le discours qu’il
doit prononcer lors du voyage qu’il va effectuer en début de semaine au Libéria
où il est invité par le président Tubman. Brusquement, son attention est
attirée par une vive discussion inhabituelle des gardes en faction devant la
grille de sa villa et une dizaine de militaires en tenue de combat. Les
putschistes neutralisent les gardes et entrent dans la villa[17].
Diverses thèses ont été avancées s’agissant de la suite des événements. Selon
le fils d’Olympio, Gilchrist, les putschistes ont commencé à tirer sur la
maison. Dans la confusion, Olympio aurait escaladé le mur qui séparait sa villa
de l’ambassade américaine. Il se réfugia dans la banquette arrière d’une voiture.
Il y passera des heures. Pendant ce temps, les militaires qui n’ont pas pu le
trouver, rentrent dans leur camp. Ayant constaté que la fuite d’Olympio est le
talon d’Achille du putsch, ils y retournèrent. Ils sont quatre : Robert
Adéwy, Janvier Tchango, Emmanuel Bodjollé et un certain Etienne Eyadéma. Olympio
apercevant l’ambassadeur américain aurait intercepté ce dernier. Il lui demanda
de l’aide. « Ne bougez pas, je vais chercher les clés » lui aurait
répondu l’ambassadeur. Ce dernier ne viendra jamais. Bizarrement, à leur retour
dans les lieux, les quatre putschistes se dirigent directement vers la voiture.
·
Les thèses
L’ambassadeur aurait-il vendu la
mèche ? C’est la thèse avancée par certaines sources qui pensent que
l’ambassadeur aurait prévenu son homologue français de la cache d’Olympio et
que ce dernier aurait communiqué cela aux putschistes. D’autre part, Gilchrist
affirme que les putschistes l’ont trouvé dans l’ambassade américaine assis dans
une voiture. Après, ils auraient appelé Louis Mazoyer, ambassadeur de la France
à Lomé. Ce dernier aurait appelé son homologue américain qui est allé parler à
Olympio. Nous constatons bien qu’il y a contradiction. Quoi qu’il en soit,
Olympio est sorti de la voiture. Les putschistes le poussent vers le portail
mais il résiste. C’est ainsi qu’un militaire lui aurait tiré. Ce militaire
s’avère être Etienne Eyadéma. Peu après ce putsch, il disait dans les colonnes
du Paris Match [18]:
« Je l'ai descendu parce qu'il ne voulait pas avancer ».
Pierre Chauleur a une autre version
des événements. Il note : « Mécontents,
les militaires, sous la conduite de l'adjudant Bodjollé, décidèrent de lui
porter directement une réclamation plus insistante. Dans la soirée, ils se
rendirent au palais du Président qui leur opposa un refus catégorique. Le
mécontentement explosa. M. Sylvanus Olympio s'enfuit alors par la fenêtre pour
se réfugier à l'ambassade des Etats-Unis. Les soldats tirèrent dans la nuit. Le
lendemain matin, près d'une auto, le long de la concession de l'ambassade, on
retrouva le cadavre du Président, percé de trois balles. [19]»
Nous pensons
que la thèse la plus plausible est celle qui relate qu’Olympio aurait été trouvé
dans la voiture. L’ambassadeur a-t-il révélé sa cachette ? Les putschistes
ont il été aidé ? Nous ne saurons affirmer cela. Dans toutes les thèses, on
constate que la voiture revient. En ce qui concerne l’assassinat d’Olympio, sa
femme affirme avoir vu les militaires le bousculer. Elle a aussi vu l’un
d’entre eux tirer sur Olympio. Elle affirme aussi que le corps d’Olympio a été
mis sous le manguier. Une partie de cette thèse est corroborée par la
déclaration d’Etienne Eyadéma qui affirme avoir tué Olympio.
( Lendemain de l'assassinat d'Olympio - Archive de l'I.N.A. )
( Funérailles de Sylvanus Olympio, getty images )
Conclusion
Avec cet assassinat d’Olympio,
l’Afrique connaissait un phénomène qui allait marquer son histoire : les
coups d’Etat. Il faut noter quand même que ce putsch est assez spécifique. Il
n’a pas été mené par des militaires de l’armée togolaise mais par des anciens
de l’armée coloniale qui voulait intégrer celle-ci. Après le décès d’Olympio,
le très francophile Nicolas Grunitzky revient au pouvoir. Lui qui avait été
favorisé par le pouvoir colonial dans les années 50. La politique qu’il va
mener est l’anti-chambre de celle d’Olympio. Dans un souci d’entente, la
présidence du pays va être composée en tenant compte du clivage Nord-Sud.
Antoine Méatchi, un leader Nord est fait vice président. La cohabitation va
s’avérer chaotique avec Grunitzky. Il faut noter que la réalité des pouvoirs se
trouve entre les mains de l’armée. En 1967, Etienne Eyadéma prend les rênes du
pays. C’est le début d’une nouvelle ère pour le Togo : 38 ans de
pouvoir !!!
( Nicolas Grunitzky et des militaires - Getty images )
Bibliographie
Chauleur Pierre,
« L'Afrique noire à l'heure des militaires », Études 1967/11 (Tome 327), pp 465 - 485
Colliard Claude-Albert, «L'évolution du statut des territoires du
Togo » In: Annuaire français de droit international, volume 2, 1956.
pp. 222-241
Kaba Lansiné, Nkrumah et le réve de l’unité africaine, Paris Editions Chaka,
1991, 191 p.
Migani Guia, « La CEE ou la France, l’impossible choix de Sylvanus Olympio,
président du Togo ». In: Matériaux pour l'histoire de notre temps,
n°77, 2005. Europe et Afrique au tournant des indépendances. pp. 25-31;
Pauvert Jean-Claude, « L'évolution politique des Ewé »
In: Cahiers d'études africaines, vol. 1, n°2, 1960. pp. 161-192
Toulabor C., Le Togo
sous Eyadéma, Paris, Karthala, 1986, 340 pages
Yagla W.O., L'édification de la nation togolaise, Paris, l'Harmattan, 200 p.
Autres sources
·
Foka
Alain, Archives d’Afrique – Sylvanus Olympio, Radio France Internationale, 2013
·
Fresques
Ina
[1] Colliard
Claude-Albert. L'évolution du statut des territoires du Togo. In: Annuaire
français de droit international, volume 2, 1956. P. 223
[2] Guia
Migani est docteur en Histoire de l’Université de Florence et de l’IEP de
Paris.
[3] Migani Guia. La CEE ou la France,
l’impossible choix de Sylvanus Olympio, président du Togo. In: Matériaux pour
l'histoire de notre temps, n°77, 2005. Europe et Afrique au tournant des
indépendances. pp. 25-31
[4] Robert
Julienne, Vingt années d’institutions monétaires ouestafricaines, 1955-1975.
Mémoires, Paris, L’Harmattan, 1988, p. 166.
[5] Migani
Guia. La CEE ou la France, l’impossible choix de Sylvanus Olympio, président du
Togo. In: Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°77, 2005. Europe et
Afrique au tournant des indépendances. pp. 25-31;
[6] Archives
historiques de l’Union européenne. CEAB 02/2035, lettre de Sylvanus Olympio,
Premier ministre du
gouvernement de la République du Togo, adressée à W.
Hallstein, président de la Commission de la CEE, 20 avril 1960.
[7] Archives
du ministèredes affaires étrangères français, service de coopération
économique, (CEEEuratom), dossier 723, lettre du représentant permanent de la
France auprès de Communautés européennes
[8] Archives
du ministère des finances français, fonds organismes sous tutelle, dossier B
48.114, lettre du directeur de la Caisse centrale de coopération économique à
son directeur général, 8 mars 1963.
[9] Migani Guia, op.cit, p.28-29
[10] Lansiné
Kaba, Nkrumah et le rêve de l’unité africaine, Editions Chaka - Afrique
contemporaine, p. 157
[11] Lansiné
Kaba, op.cit., p.158
[12] Yagla
W.O., l'édification de la nation togolaise, Paris, L’harmattan, p.110
[13] Toulabor
C., Le Togo sous Eyadéma, Paris,
Karthala, 1986, p.34
[14]
Toulabor C. op. cit. p.42
[15]
Toulabor C. op. cit. p.46
[16] Chauleur
Pierre, « L'Afrique noire à l'heure
des militaires », Études
1967/11 (Tome 327), p. 469
[17] D’après
le récit d’Alain Foka, Archives d’Afrique – Sylvanus Olympio
[18] Paris
Match n°720 du 26 Janvier 1963
[19] Chauleur
Pierre, « L'Afrique noire à l'heure des militaires », Études 1967/11 (Tome
327), p. 469
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