L'histoire de Sylvanus Olympio




Sommaire
1.     Enfance et Parcours scolaire…
·        L’Histoire du Togo
·        La formation d’Olympio
2.     Entrée en politique et ascension
3.     Sylvanus Olympio, président !
·        Olympio, la différence avec ses pairs
4.     Olympio et la France
·        une histoire de monnaie…
·        Divergences
5.     Bisbilles et remous
·        La question des Ewés
·        Olympio contre Nkrumah…
6.     Olympio, la chute
·        Les clivages Nord - Sud
·        Olympio face aux « démobilisés »
7.      L’assassinat de Sylvanus Olympio
·        Le film
·        Les thèses 

Bibliographie

1.     Enfance et Parcours scolaire…
Sylvanus Epiphanio Kwami Olympio est né en 1902 à Kpando dans l’ancien Togo britannique actuel Ghana. Son  grand père est un métis portugais venu du Brésil. Il est le premier fils d’Epiphanio Elpidio Olympio, un commerçant de produits tropicaux. Sylvanus Olympio débute ses études dans une région alors colonisée par l’Allemagne à la Mission Catholique allemande de Lomé. Pour comprendre la trajectoire d’Olympio, il est nécessaire de connaitre l’histoire de son pays : le Togo
·        L’Histoire du Togo
En 1883, Bismarck s’interessa au Togo. Colliard écrit « une convention franco-allemande, signée à Berlin le 24 décembre 1885, comporte la reconnaissance du protectorat allemand sur les quelques villages du Togo situés au delà de la lagune de Lomé et la renonciation de la France aux droits qu'en raison de ses relations avec les roitelets locaux elle pourrait faire valoir sur les territoires de Porto Seguro et de Petit Popo. Le traité prévoit la délimitation des zones d'influence française et allemande de la Côte des Esclaves qui est effectuée par le procédé de la commission mixte au cours de l'année 1886. De même une convention anglo-allemande fixe en 1888 la frontière à l'ouest de Lomé [1]» . Débuta alors une course vers l’arrière-pays. En 1914 débutait la première guerre mondiale. Les répercussions se manifestent dans les colonies africaines. Notons que le Togo est encerclé par des possessions britanniques et françaises. En Aout 1914, l’Allemagne perd le Togo au profit de la France et de la Grande Bretagne. Après la guerre, le Togo devient un mandat «  B » de la société des Nations. Sa gestion est assignée à la France et à la Grande Bretagne.
·        La formation d’Olympio
C’est dans ces nombreuses mutations que le jeune Olympio va fréquenter l’école. Après être passé par la Mission Catholique allemande de Lomé, il va connaitre l’école britannique avant de rejoindre l’école française. Un polyglotte en devenir…Au tout début des années 1920, Olympio quitte l’Afrique pour aller poursuivre ses études à Londres. Il entre à la prestigieuse école London School of Economics d’où il sort avec le diplôme de Bachelor of commerce. Selon son fils Ghilchrist, Il est le premier noir diplômé de cette école en 1924. Sylvanus Olympio continue à faire des études et développe sa panoplie. Après son passage à Londres, il étudie le droit international en France à Dijon puis à Viennes en Autriche. A la fin de ses études, il est employé à Unilever, une entreprise anglo-néerlandaise. Après un passage au Nigéria et au Gold Coast, Olympio gravit les échelons. Peu avant la deuxième guerre mondiale, en 1938, il est adjoint à l’agent général d’Unilever pour le Togo à l’United Africa Compagny.
2.     Entrée en politique et ascension
Lors de la seconde Guerre mondiale, Sylvanus Olympio rejoint le camp des Gaullistes. Ce choix a pour conséquence un séjour en prison au Dahomey. Olympio en sort en 1943 avec plus d’aura. Il devient un ponte dans le Comité de l’Unité Togolaise (C.U.T. ), une formation politique qu’il avait rejointe à sa naissance en 1941.
La fin de la deuxième guerre mondiale ouvre une nouvelle ère. Comme dans presque toutes les colonies, le processus d’émancipation est enclenché.  En 1945, l’Onu naissait des cendres de la S.D.N.  Elle reprit à son compte le mandat de la S.D.N. sur le Togo et désigna un conseil de tutelle chargé de contrôler l’administration française. Les partis politiques togolais travaillaient activement à l’évolution du statu du pays mais se divisèrent en deux camps opposés dans leurs objectifs : Le Comité de l’Unité Togolaise (C.U.T.) de Sylvanus Olympio et le Mouvement Populaire Togolais (M.P.T.) de Nicolas Grunitzky, beau frère d’Olympio. Bien des choses opposaient ces deux camps. Parmi celles-ci, les relations avec la France. Olympio défendait l’idée d’une réunification et d’une autonomie tandis que Grunitzky voulait une association plus étroite avec la France.
 ( Sylvanus Olympio, photo prise dans les années 50 - Getty images) 

 Lors de l’assemblée générale de l’Onu en 1947, Sylvanus Olympio présenta sa doléance au Conseil de tutelle. Ses activités commence à être surveillées. En 1954, Olympio est condamné à 5 millions de francs d’amende pour ne pas avoir déclaré sa fortune à l’étranger. Lors de l’élection de 1955 et lors du Référendum en 1956, il appelle au boycott. Il faut noter que l’administration française appuyait Nicolas Grunitzky plus francophile. Nicolas Grunitzky devint premier ministre en 1956. Paralèllement, un référendum fut organisé dans le Togo britannique en 1956, qui approuva son rattachement à la Gold Coast. Ainsi, s’amplifiait le problème de la répartition des Ewe qui se retrouvent désormais d’une part et d’autre de la frontière. Nous y reviendrons dans les lignes qui suivent.  Les partisans de Nicolas Grunitzky gagnèrent du terrain lorsque, le 1er Septembre 1956, après consultation référendaire, la France proclama la République autonome du Togo, associée à la France : le Togo obtenait ainsi le droit d’envoyer des députés à l’assemblée nationale à Paris. Deux ans plus tard, Olympio et le C.U.T. vont renverser la vapeur. Le 27 Avril 1958, les élections législatives contrôlées par l’ONU aboutirent à la victoire du C.U.T. Sylvanus Olympio devient premier ministre. Deux ans plus tard, jour pour jour, le Togo accède à l’indépendance.   
( Indépendance du Togo - Archive de l'Ina )

3.     Sylvanus Olympio, président !
·        Olympio, la différence avec ses pairs
Pour comprendre la démarche adoptée par le Togo depuis 1958, il est nécessaire de dégager une étude comparative entre Sylvanus Olympio et les autres présidents d’Afrique occidentale francophone. Il faut noter qu’Olympio a évolué dans un milieu différent. Ayant vu le jour dans une région colonisée par l’Allemagne, il a fait la grande partie de ses humanités dans un milieu anglophone avant de poursuivre ses études en France. Il revient en Afrique et voyage dans la sous région.  S’y ajoute qu’il a fait des études d’économie et de commerce. Pour finir, il travaillait dans une grande firme privée d’envergure internationale.
S’agissant des autres présidents, nous pouvons dire qu’ils ont tous évolué dans un milieu francophone, façonné dans la culture française. Ils n’ont pas connu la diversité d’Olympio. Certains sont allés très tôt en France comme Senghor, ils y ont été formés. La quasi-totalité des autres a été au Sénégal soit à l’Ecole Normale William Ponty ou à l’Ecole de Medecine. D’ailleurs beaucoup d’entre eux ont été fonctionnaires du gouvernement d’Outre mer en tant qu’enseignant : Modibo Keita, Hamani Diori…contrairement à Olympio qui était cadre dans une grande entreprise privée. Pour finir, la majeure partie des autres présidents avait des postes dans la 4ème République française au même moment, Olympio entamait sa lutte pour l’indépendance du Togo.
Ces différences auront bien des conséquences s’agissant de la gestion. C’est qui fait qu’Olympio s’est mis en retrait par rapport aux autres notamment dans ses relations avec la France.
4.     Olympio et la France
·        une histoire de monnaie…
A la tête du Togo depuis 1958, Sylvanus Olympio va mener une démarche assez spéciale : l’indépendance et l’autonomie en ligne de mire. Le processus d’indépendance du Togo encadré par l’Onu va « imposer » une collaboration entre Olympio et Paris bien que dans le fond les idées sont différentes.  Guia Migani[2] écrit : « Pendant sa première période au pouvoir, la principale préoccupation d’Olympio est d’arriver à l’indépendance, tout en conservant de bonnes relations avec la puissance tutélaire. Le leader togolais est conscient des besoins du pays et de l’importance de l’aide apportée par la France [3]».  Il poursuit : « Pendant la période 1958-1960, Olympio met en acte une politique toujours de plus en plus indépendante par rapport à la France. Dans un premier temps, la collaboration s’impose pour arriver à la fin de la tutelle et ne pas retarder la proclamation de l’indépendance. Mais dès qu’il s’agit de définir les nouveaux rapports franco-togolais, Olympio a des idées précises avec lesquelles il n’est pas disposé à transiger : le Togo aura une monnaie nationale dont une gestion rigoureuse assurera la stabilité ; l’équilibre des finances sera assuré par le contrôle des prix et le blocage des salaires ». Robert Julienne, inspecteur général des Finances nous faisait part des mots du directeur général de la BCEAO sur Olympio: « M. Olympio, bénéficiaire d’une formation et d’une pratique commerciales pragmatiques, est moins préoccupé de développement à long terme que de l’essor et de la diversification d’un commerce considérable à l’échelle du pays et de caractère international […]. À cette fin, il désire concilier les avantages d’une monnaie commune avec les soucis de ne pas se trouver trop entraîné par les autres États participant à celle-ci dont il ne partage pas les options politiques et économiques, […]. Il souhaite développer les ouvertures commerciales et financières avec l’étranger : la zone franc est avantageuse dans la mesure où elle permet de libres transactions dans cette aire géographique, mais à la condition d’être dépouillée de ses contraintes pour les transactions extérieures à celle-ci, conception qui heurte ses interlocuteurs français .[4] »
Les négociations pour la définition d’un nouvel accord économique et monétaire commencent en mars 1960, un mois avant la proclamation de l’indépendance. Finalement les négociations se terminent le 28 septembre 1962 : l’accord prévoit la création d’un institut d’émission national, dirigé par un conseil d’administration composé de façon paritaire ; le président du conseil d’administration sera désigné par le gouvernement togolais, et le directeur général, qui reçoit d’importants pouvoirs propres de gestion, par le gouvernement français. La monnaie togolaise, appelée provisoirement « franc togolais », sera garantie de façon illimitée par le Trésor français[5]. Ces accords ne seront pas appliqués. Quatre mois après, Olympio...
( Sylvanus Olympio - Jacques Foccart - Général De Gaulle, Getty images )

·        Divergences
Les ambitions d’indépendance réelle d’Olympio vont se heurter au souhait de Paris de conserver ses anciennes colonies dans son giron. La question de la monnaie parait comme l’un des éléments les plus importants. Olympio veut diversifier ses partenaires et va au-delà de sa collaboration avec Paris. Ainsi, Une semaine avant la proclamation de l’indépendance, le Premier ministre togolais envoie une lettre au président de la Commission Economique Européenne (C.E.E.) pour lui demander de négocier un nouveau traité d’association : « Monsieur le Président, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le gouvernement de la République du Togo, sur le point de devenir indépendant, désire s’associer à la CEE. Le gouvernement de la République du Togo pense qu’il peut le faire conformément aux dispositions de l’article 238 du traité établissant la CEE sans changement important dans les droits et obligations actuels d’association y compris l’assistance du Fonds de développement conformément aux clauses du traité. Le gouvernement de la République du Togo suppose également que cette association n’implique aucun engagement spécial à titre individuel avec les États membres de la CEE. Le gouvernement de la République du Togo serait heureux d’avoir votre confirmation sur cette interprétation en vue de lui permettre d’entreprendre, dans les meilleurs délais, des négociations à cette fin[6] ».
Dans un autre volet, Sylvanus Olympio tissait des liens avec d’autres pays. Migani écrit : « Pendant les années 1960-1963, après l’indépendance, Olympio s’emploie à élargir les relations internationales de son État et à ne pas dépendre exclusivement de l’aide française. De ce point de vue, la République fédérale d’Allemagne et les États-Unis constituent deux importants alliés. La première accepte de financer l’élargissement et l’aménagement du port de Lomé ; en outre, les deux États signent des traités de commerce, de coopération économique et technique, de navigation maritime et de circulation aérienne. La France s’inquiète en particulier de l’importance grandissante d’un expert allemand en matière de questions monétaires, Von Mann, placé auprès du président togolais. Le conseiller économique formule même des propositions de réforme dans un domaine, celui de l’union monétaire franco-africaine, que Paris considère comme lui étant réservé. Ce fait, ajouté aux autres marques d’intérêt de Bonn pour l’Afrique, suscite sinon la méfiance au moins quelques réserves du côté français[7]. Quant aux États-Unis, en 1961, le Togo est l’un des trois pays de l’Afrique francophone, avec le Mali et la Guinée, à avoir signé un accord-cadre dans lequel s’inscrit l’assistance américaine. L’aide américaine s’est traduite surtout par l’importation de produits alimentaires, en 1962, Washington a envoyé au Togo une aide alimentaire pour une valeur d’environ 84 millions de francs CFA ; pour l’année 1963, la République togolaise et les États-Unis sont convenus d’une aide totale de 95 millions CFA, qui sera versée en partie sous forme de crédits et en partie en nature[8]. Enfin, pendant la visite d’Olympio aux États-Unis, en mars 1962, un accord garantissant les investissements américains dans le pays a été signé. Washington trouve que le Togo est un élément important pour la stabilité de la région ; si le gouvernement américain n’encourage pas le relatif isolement du pays par rapports aux États francophones, il partage la politique d’ouverture commerciale d’Olympio et appuie son engagement auprès des Nations unies et sa tentative de créer des liens entre États francophones et anglophones. En effet, il faut noter ici une autre cause de désaccord entre Olympio et le gouvernement français : tandis que Paris cherche à renforcer la cohésion du groupe des États africains de langue française, Olympio refuse de participer aux regroupements que ceux-ci sont en train de constituer, et s’engage pour la constitution d’une organisation africaine unitaire. »[9]
( John Kennedy et Sylvanus Olympio - Getty images )

5.     Bisbilles et remous
·        La question des Ewés
La conférence de Berlin a divisé géographiquement l’Afrique sans tenir compte de la répartition ethnique. Au Togo, la situation a amplifié avec le départ des allemands lors de la première guerre mondiale. Le Togo est divisé en deux parties, sa gestion est confiée à la France et à la Grande Bretagne. Cette nouvelle configuration répartit les Ewés d’une part et d’autre de la frontière entre les futurs républiques ghanéenne et togolaises. Au fil du temps, diverses manœuvres de regroupement ont été tentées. Colliard note ceci : « Olympio exposa, en 1947, devant le Conseil de tutelle que le « peuple » Ewé était victime d'un morcellement en des territoires que s'étaient disputés les Puissances coloniales et dont les frontières artificielles étaient orientées nord sud alors que les divisions ethniques et linguistiques étaient, selon lui, perpendiculaires ». En 1956, par un référendum, le Togo britannique déclarait son rattachement au Ghana qui sera indépendant plus tard. Ainsi donc, les Ewés se divisaient au moment de l’indépendance en appartenant à deux pays différents. Ce qui jeta les bases d’une future animosité.
·        Olympio contre Nkrumah…
C’est une rivalité contre nature. Sylvanus Olympio et Kwame Nkrumah sont deux leaders progressistes, militants panafricanistes. Des bisbilles dans cette convergence d’idées relèvent donc d’une situation extraordinaire. Lansiné Kaba[10] notait : « Quand le Togo britannique, par référendum se joint au Ghana, les leaders de l’ex-mandat français du Togo craignaient des visées expansionnistes de Nkrumah ». Il poursuit en nous montrant la progression de l’hostilité entre les deux hommes : « A partir de 1960, quand Olympio échappe à un attentat, les relations entre Accra et Lomé prennent un mauvais tournant. La baisse du prix du Cacao au Ghana et, par  conséquent, le transport en contrebande d’une partie de la production sur le marché togolais suscitent la tension, et finalement la crise. Le Bureau des affaires africaines intensifie sa propagande à la radio contre le Togo. D’aucuns pensent qu’il encourage et finance des mouvements subversifs à Lomé[11] ». La tension alla crescendo. Ainsi, à la conférence de Lagos en Janvier 1962, les membres du groupe de Monrovia menacent de rompre les relations avec le Ghana s’il attaque le Togo. L’hostilité définira les  relations entre Accra et Lagos durant la quasi-totalité du règne d’Olympio. 
6.     Olympio, la chute
·        Les clivages Nord - Sud
Il faut revenir sur la configuration géopolitique pour mieux comprendre une des raisons de l’assassinat de Sylvanus Olympio. Pendant la colonisation, certaines régions ont été plus développées que d’autres. Celles ouvertes sur la mer, porte d’entrée des puissances colonisatrices, sont plus « avancées ». C’est le cas au Togo. L’élite intellectuelle est issue du Sud. S’y ajoute le fait que la présence des « Nordistes » est quasi-nulle dans les gouvernements d’Olympio, ce qui fait que certains taxeront Olympio de régionaliste. Il faut noter aussi le fait que « sur les 24 membres des trois gouvernements successifs d’Olympio, deux seulement sont nordistes [12]». Dans cette configuration, le Nord devient un foyer d’opposition. Chose accentuée par un corps important : l’armée. En effet, la majeure partie des militaires vient du Nord. Toulabor Comi écrit : « Avant 1960, à part quelques rares instituteurs sans grande formation scolaire et quelques personnalités politiques comme Fousseni, Ayeva, Méatchi etc., l’élite du Nord était essentiellement militaire. Les colonisateurs successifs recrutaient la force armée dans les régions déshéritées du Nord réputées de tradition guerrière»[13]. Avec cette configuration, ajoutée avec la question des Ewé, batir l’unité s’avéra être une tâche ardue pour Olympio. Surtout que Paris ne le voit plus d’un bon œil, certains militaires aussi… 
·        Olympio face aux « démobilisés »
Bien que des accords de tutelle aient interdit à la France de lever des contingents de tirailleurs au Togo, un certain nombre de Togolais consentaient à des engagements individuels et signaient leurs contrats sur le territoire dahoméen. Au lendemain de l’indépendance, le Togo se retrouvait avec quelque 700 soldats autochtones démobilisés à la fin des guerres d’Indochine et d’Algérie.[14] Ces soldats auront pour vœu d’intégrer la jeune armée nationale togolaise, ce que Sylvanus Olympio refusait. Il leur parlait en ces termes : «  Des mercenaires comme vous qui, tandis que nous luttions pour l’indépendance, massacriez les nationalistes algérien ? [15]». S’agissant de principes, Olympio ne pouvait pas les engager dans son armée. Dans un autre aspect, Olympio faisait attention à son budget.  Pierre Chauleur écrit : « Soucieux de l'équilibre financier de l'Etat, M. Sylvanus Olympio, un des rares leaders africains attentifs aux deniers publics, refusa de leur donner satisfaction. [16]».
Avec cette décision, Olympio se constitue une coalition d’opposants. Ces soldats vont être appuyés par l’ambassadeur de la France au Togo, Louis Mazoyer. La France souhaite le départ d’Olympio qui prend beaucoup de liberté. S’y ajoute à ces éléments que la plupart des militaires est issue du Nord du Togo, une région qui n’est pas bien représentée dans le gouvernement d’Olympio.  Tout menait à une situation tendue. C’est ainsi qu’au début de l’année 1963, ce qui devait arriver arriva…
7.     L’assassinat de Sylvanus Olympio
·        Le film
Ce soir du Samedi 12 Janvier 1963, vers 23heures, le président Sylvanus Olympio travaille sur le discours qu’il doit prononcer lors du voyage qu’il va effectuer en début de semaine au Libéria où il est invité par le président Tubman. Brusquement, son attention est attirée par une vive discussion inhabituelle des gardes en faction devant la grille de sa villa et une dizaine de militaires en tenue de combat. Les putschistes neutralisent les gardes et entrent dans la villa[17]. Diverses thèses ont été avancées s’agissant de la suite des événements. Selon le fils d’Olympio, Gilchrist, les putschistes ont commencé à tirer sur la maison. Dans la confusion, Olympio aurait escaladé le mur qui séparait sa villa de l’ambassade américaine. Il se réfugia dans la banquette arrière d’une voiture. Il y passera des heures. Pendant ce temps, les militaires qui n’ont pas pu le trouver, rentrent dans leur camp. Ayant constaté que la fuite d’Olympio est le talon d’Achille du putsch, ils y retournèrent. Ils sont quatre : Robert Adéwy, Janvier Tchango, Emmanuel Bodjollé et un certain Etienne Eyadéma. Olympio apercevant l’ambassadeur américain aurait intercepté ce dernier. Il lui demanda de l’aide. «  Ne bougez pas, je vais chercher les clés » lui aurait répondu l’ambassadeur. Ce dernier ne viendra jamais. Bizarrement, à leur retour dans les lieux, les quatre putschistes se dirigent directement vers la voiture.
·        Les thèses 
L’ambassadeur aurait-il vendu la mèche ? C’est la thèse avancée par certaines sources qui pensent que l’ambassadeur aurait prévenu son homologue français de la cache d’Olympio et que ce dernier aurait communiqué cela aux putschistes. D’autre part, Gilchrist affirme que les putschistes l’ont trouvé dans l’ambassade américaine assis dans une voiture. Après, ils auraient appelé Louis Mazoyer, ambassadeur de la France à Lomé. Ce dernier aurait appelé son homologue américain qui est allé parler à Olympio. Nous constatons bien qu’il y a contradiction. Quoi qu’il en soit, Olympio est sorti de la voiture. Les putschistes le poussent vers le portail mais il résiste. C’est ainsi qu’un militaire lui aurait tiré. Ce militaire s’avère être Etienne Eyadéma. Peu après ce putsch, il disait dans les colonnes du Paris Match [18]: « Je l'ai descendu parce qu'il ne voulait pas avancer ».
Pierre Chauleur a une autre version des événements. Il note : « Mécontents, les militaires, sous la conduite de l'adjudant Bodjollé, décidèrent de lui porter directement une réclamation plus insistante. Dans la soirée, ils se rendirent au palais du Président qui leur opposa un refus catégorique. Le mécontentement explosa. M. Sylvanus Olympio s'enfuit alors par la fenêtre pour se réfugier à l'ambassade des Etats-Unis. Les soldats tirèrent dans la nuit. Le lendemain matin, près d'une auto, le long de la concession de l'ambassade, on retrouva le cadavre du Président, percé de trois balles. [19]»
Nous pensons que la thèse la plus plausible est celle qui relate qu’Olympio aurait été trouvé dans la voiture. L’ambassadeur a-t-il révélé sa cachette ? Les putschistes ont il été aidé ? Nous ne saurons affirmer cela. Dans toutes les thèses, on constate que la voiture revient. En ce qui concerne l’assassinat d’Olympio, sa femme affirme avoir vu les militaires le bousculer. Elle a aussi vu l’un d’entre eux tirer sur Olympio. Elle affirme aussi que le corps d’Olympio a été mis sous le manguier. Une partie de cette thèse est corroborée par la déclaration d’Etienne Eyadéma qui affirme avoir tué Olympio.


 ( Lendemain de l'assassinat d'Olympio - Archive de l'I.N.A. )


 ( Funérailles de Sylvanus Olympio, getty images )

Conclusion
Avec cet assassinat d’Olympio, l’Afrique connaissait un phénomène qui allait marquer son histoire : les coups d’Etat. Il faut noter quand même que ce putsch est assez spécifique. Il n’a pas été mené par des militaires de l’armée togolaise mais par des anciens de l’armée coloniale qui voulait intégrer celle-ci. Après le décès d’Olympio, le très francophile Nicolas Grunitzky revient au pouvoir. Lui qui avait été favorisé par le pouvoir colonial dans les années 50. La politique qu’il va mener est l’anti-chambre de celle d’Olympio. Dans un souci d’entente, la présidence du pays va être composée en tenant compte du clivage Nord-Sud. Antoine Méatchi, un leader Nord est fait vice président. La cohabitation va s’avérer chaotique avec Grunitzky. Il faut noter que la réalité des pouvoirs se trouve entre les mains de l’armée. En 1967, Etienne Eyadéma prend les rênes du pays. C’est le début d’une nouvelle ère pour le Togo : 38 ans de pouvoir !!!

( Nicolas Grunitzky et des militaires - Getty images )


Bibliographie

Chauleur Pierre, « L'Afrique noire à l'heure des militaires », Études 1967/11 (Tome 327), pp 465 - 485
Colliard Claude-Albert, «L'évolution du statut des territoires du Togo » In: Annuaire français de droit international, volume 2, 1956.
pp. 222-241
Kaba Lansiné, Nkrumah et le réve de l’unité africaine, Paris Editions Chaka, 1991, 191 p.
Migani Guia, « La CEE ou la France, l’impossible choix de Sylvanus Olympio, président du Togo ». In: Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°77, 2005. Europe et Afrique au tournant des indépendances. pp. 25-31;
Pauvert Jean-Claude, « L'évolution politique des Ewé » In: Cahiers d'études africaines, vol. 1, n°2, 1960. pp. 161-192
Toulabor C., Le Togo sous Eyadéma, Paris, Karthala, 1986, 340 pages
Yagla W.O., L'édification de la nation togolaise, Paris, l'Harmattan, 200 p.

Autres sources 
·        Foka Alain, Archives d’Afrique – Sylvanus Olympio, Radio France Internationale, 2013
·        Fresques Ina



[1] Colliard Claude-Albert. L'évolution du statut des territoires du Togo. In: Annuaire français de droit international, volume 2, 1956. P. 223
[2] Guia Migani est docteur en Histoire de l’Université de Florence et de l’IEP de Paris.
[3]  Migani Guia. La CEE ou la France, l’impossible choix de Sylvanus Olympio, président du Togo. In: Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°77, 2005. Europe et Afrique au tournant des indépendances. pp. 25-31
[4] Robert Julienne, Vingt années d’institutions monétaires ouestafricaines, 1955-1975. Mémoires, Paris, L’Harmattan, 1988, p. 166.
[5] Migani Guia. La CEE ou la France, l’impossible choix de Sylvanus Olympio, président du Togo. In: Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°77, 2005. Europe et Afrique au tournant des indépendances. pp. 25-31;
[6] Archives historiques de l’Union européenne. CEAB 02/2035, lettre de Sylvanus Olympio, Premier ministre du
gouvernement de la République du Togo, adressée à W. Hallstein, président de la Commission de la CEE, 20 avril 1960.
[7] Archives du ministèredes affaires étrangères français, service de coopération économique, (CEEEuratom), dossier 723, lettre du représentant permanent de la France auprès de Communautés européennes
[8] Archives du ministère des finances français, fonds organismes sous tutelle, dossier B 48.114, lettre du directeur de la Caisse centrale de coopération économique à son directeur général, 8 mars 1963.
[9] Migani Guia, op.cit, p.28-29
[10] Lansiné Kaba, Nkrumah et le rêve de l’unité africaine, Editions Chaka - Afrique contemporaine, p. 157
[11] Lansiné Kaba, op.cit., p.158
[12] Yagla W.O., l'édification de la nation togolaise, Paris, L’harmattan, p.110
[13] Toulabor C., Le Togo sous Eyadéma, Paris, Karthala, 1986, p.34
[14] Toulabor C. op. cit. p.42
[15] Toulabor C. op. cit. p.46
[16] Chauleur Pierre, « L'Afrique noire à l'heure des militaires », Études 1967/11 (Tome 327), p. 469
[17] D’après le récit d’Alain Foka, Archives d’Afrique – Sylvanus Olympio
[18] Paris Match n°720 du 26 Janvier 1963
[19] Chauleur Pierre, « L'Afrique noire à l'heure des militaires », Études 1967/11 (Tome 327), p. 469

Commentaires