Esclavage : Omar Ibn Saïd, du Fouta Toro aux
Etats-Unis ; parcours et œuvre d’un lettré musulman devenu esclave
( Omar Ibn Said © Wikipedia)
Par
Bathie Samba Diagne, étudiant au département d’histoire, Ucad
Kluivertb1@gmail.com
Contexte
Tout d’abord nous allons revenir sur
le contexte de l’esclavage. Il faut noter qu’avec l’instauration de la première
République française en 1792, l’esclavage n’était plus autorisé comme l’atteste
ce décret n° 2262 de la convention nationale du 4 Février 1794 : « La Convention Nationale déclare que l’esclavage des Nègres dans
toutes les Colonies est aboli ; en conséquence elle décrète que les hommes,
sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens
Français, & jouiront de tous les droits assurés par la constitution. Elle
renvoie au comité de salut public, pour lui faire incessamment un rapport sur
les mesures à prendre pour assurer l’exécution du présent décret. »
Cependant avec l’arrivée de Napoleon
au pouvoir, la donne va changer : au début du 19ème siècle,
l’esclavage recommençait.
Le Fouta Toro à l’époque était une
zone stratégique. Etant au bord du Fleuve Sénégal, elle pouvait servir de point
d’appui. Un grand commerce s’y développe. Les européens à la recherche
d’esclaves étaient le plus souvent sur les cotes. Ne s’adaptant pas au climat
africain, leur entrée à l’intérieur des terres était le plus souvent synonyme
de leur mort. Ainsi, ils travaillaient avec des relais et traitaient avec des
collaborateurs noirs. Des royaumes vont profiter de ce système pour s’enrichir.
Des guerres se font afin d’avoir des esclaves pour les revendre. Ainsi, Une
économie basée sur la traite va se faire jour et va profiter à de nombreux
royaumes, le Cayor ou le Walo par exemple[1].
Omar Ibn Saïd
Omar Ibn Said est né vers 1770 au Fouta Tooro, au sein d'une riche famille musulmane.
À la mort de son père, Omar, âgé de cinq ans, fut envoyé dans une ville voisine
( le Boundou) pour étudier l’islam. Il va devenir enseignant. La religion était
primordiale dans la vie de Omar et il était adepte de la religion musulmane. Grâce
à une formation religieuse approfondie, Oumar Ibn Said écrit et parle
couramment l'arabe.
À trente-sept ans, après son retour
dans son village, il est capturé par une bande armée. Omar fut emmené
sur la côte atlantique de l'Afrique où il a été placé sur un navire à
destination de Charleston, en Caroline du Sud . Il écrira dans son
autobiographie: « Je m'appelle Omar
ibn Seid. Mon lieu de naissance était Fut Tûr( Fouta Toro), entre les deux
rivières. J'ai cherché la connaissance sous l'instruction d'un cheikh appelé
Mohammed Seid, mon propre frère, Sheikh Soleiman Kembeh et Sheikh djibril Abdal. J'ai
continué mes études durant vingt cinq ans. Puis vint chez nous une grande armée
qui tua beaucoup d'hommes et m’amena à la grande mer, et m'a vendu entre les
mains d’hommes blancs , qui m'ont lié et envoyé sur un grand navire et
nous avons navigué sur la grande mer pendant un mois et demi, lorsque nous
sommes arrivés à un endroit appelé Charleston dans la langue chrétienne. Là ils
m'ont vendu à un petit homme faible et méchant,appelé Johnson, un infidèle
complet, qui n'avait pas peur de Dieu du tout. »[2]
Omar a été amené de l'autre côté de
l'Atlantique en 1807. Une année avant, les esclaves pouvaient être amenés légalement
aux États-Unis depuis le continent africain.
Arrivé en Caroline, Omar Ibn Said fui
la ferme de son propriétaire. Il fut capturé et immédiatement emprisonné à
Fayetteville, en Caroline du Nord. En prison, il a écrit sur ses murs de
cellules avec du charbon en arabe
plaidant pour la libération. Ses geôliers ne pouvaient pas lire ses écrits.
Cependant, James Owens, qui vivait à proximité, avait entendu parler des
capacités spécifiques d’Omar et l'avait "acheté" à son premier propriétaire.
Owens affirma qu’Omar était heureux d'avoir été acheté par un homme de grande
foi.
Owens s'intéresse à son éducation et
achète une copie du Coran en anglais qu'il lit à son nouveau serviteur avec une
Bible qui l'aidera à apprendre l'anglais. Vers 1820, Saïd se serait convertit
au christianisme et aurait commencé à aller à l’église avec la famille Owens où
il aurait son propre siège réservé. Il faut noter aussi que cette conversion
n'était pas nécessairement sincère puisque la plupart des écrits d’Omar
faisaient encore référence à Mohammad ou à Allah.
En 1831, Omar Ibn Saïd écrivit la
seule autobiographie d'un esclave écrite dans une de des langues de sa région
d’origine, l'arabe. Omar Ibn Said a vécu jusqu'à l'âge de 94 ans. Sa mort en
1864 survint alors que la guerre civile faisait rage et que les forces de l’Union
libéraient des esclaves en Caroline du Nord et en Virginie. Omar Ibn Saïd
mourut cependant dans la ferme d'Owens sans avoir obtenu sa liberté.
Voici un des textes d’Omar. Il
rédigea celui ci en réponse à la demande d’un certain Hunter qui, probablement,
est, selon Alryyes[3], le
Révérend Eli Hunter de l’American Colonization Society, qui voyagea dans la
région dans les années 30. À l’intention de ce « Hunter », Omar écrivit :
« D’omar à Cheikh Hunter : Vous m’avez demandé d’écrire ma vie. Je
ne saurais le faire car j’ai oublié ma langue et celle des Arabes. Je sais tout
juste un peu de grammaire et de vocabulaire. Ô mes frères, en raison de ma
faiblesse visuelle et corporelle, je vous demande, au nom d’Allah, de ne point
me blâmer.
Mon nom est Omar Ibn Said; Je suis né au Fouta Toro, entre les 2 rives.
J’ai étudié au Boundou et au Fouta auprès de Cheikh Mohammad Said, auprès de
mon frère et auprès de Cheikh Souleymane Kimba et Cheikh Djibril Abdal. J’ai
continué à chercher le savoir durant vingt-cinq ans. Je revins chez moi et y
demeurai pendant 6 ans. Une grande armée vint dans notre contrée et tua
beaucoup de personnes. Elle me captura, me conduisit dans la grande mer, me
vendit comme esclave à un Chrétien (Nasrani) qui m’amena en bateau.
Nous sommes restés en mer durant un mois et demi jusqu’à ce que nous
arrivions à un endroit appelé Charleston…..Un petit homme chétif nommé Johnson,
un infidèle (Kafir) qui ne craignait point Allah, m’acheta. Je suis un homme
faible qui ne peut effectuer de dur labeur. Aussi réussis-je à m’échapper
durant un mois et me rendis à une place appelée Faydel (Fayetteville). C’est là
que j’aperçus des maisons pour la première fois durant tout ce mois.
J’entrai dans une maison pour prier et vis un jeune homme à cheval qui
fut rejoint plus tard par son père. Il dit à son père avoir aperçu un Noir dans
la maison. Un homme appelé Hindah accompagné d’un autre à cheval et de plusieurs
chiens, me demanda de venir avec eux. Après avoir parcouru 19 kilomètres, nous
arrivâmes à Faydel. Ils me gardèrent prisonnier dans une grande maison appelée
jîl (jail) dans leur langue, durant 6 jours. Le vendredi suivant, un homme vint
et ouvrit la porte de la cellule et je vis plusieurs personnes qui parlaient
une langue occidentale (nasrani). Ils m’interpellèrent : est-ce votre nom Omar,
Said? Je ne comprenais pas leur langue. Je vis un homme qui s’appelait Bob
Mumford qui parlait -aux geôliers-. Il décida de me sortir de prison; ce à quoi
je consentis avec plaisir. J’ai séjourné à la maison de Mumford plusieurs jours
durant. C’est alors qu’un homme nommé Jim Owen, époux de la fille de Mumford,
Betsy, me demanda : "Seriez-vous disposé à venir avec moi à Bladen County.
Je répondis : "oui". Depuis lors je suis resté avec Jim Owen...
Avant ma venue au pays des Chrétiens, ma religion était celle de
Mohammad, le prophète d’Allah. Qu'Allah le bénisse et lui accorde la paix.
J’allais à la mosquée avant l’aube, je lavais ma figure, ma tête, mes mains,
mes pieds. J’effectuais les prières de la mi-journée, de la fin de
l’après-midi, du coucher du soleil et de la nuit. Je donnais l'aumône chaque
année en or, argent, en récoltes et bétail : moutons, chèvres, riz, blé et
orge.
Je m’engageais chaque année au djihad contre les infidèles. J'allais à La
Mecque et à Médine comme l'ont fait ceux qui en avaient les moyens. Mon père a
six fils et cinq filles, et ma mère a trois fils et une fille. Quand j'ai
quitté mon pays, j'avais trente-sept ans. Je suis resté dans le pays des
Chrétiens pendant 24 années.. »[4]
Ces quelques lignes sont extraites de
la deuxième partie du manuscrit; la première partie, elle, consistant en des
extraits tirés du chapitre coranique, Al-Mulk.
(“A Muslim American slave, The Life of OMAR IBN SAID”; traduction en anglais de l’autobiographie rédigée en arabe par Omar Ibn Said auteur Ala Alryyes, © inconnu)
L’autobiographie d’Omar Ibn Said
n’est pas le seul texte qu’il ait écrit. Il existe d’autres manuscrits (13
connus) qui ont survécu parmi lesquels celui qu’il rédigea en premier en 1819
et dans lequel il exprima son désir de rentrer chez lui : « Je veux être aperçu en Afrique dans un endroit du fleuve nommé
Kaba ». Ce texte est traduit
par le professeur John Hunwick dans l’ouvrage d’Alryyes. Le dernier texte
d’Omar, rédigé en 1857, est une reprise du chapitre coranique Al-Nasr.
( Sourate du Coran Al-Mulk (la royauté) écrite par Omar ibn Said © wikipedia)
L’histoire d’Omar Ibn Said démontre,
par ailleurs, l’importance de l’acquisition du savoir. Si Omar a perdu famille,
amis et biens matériels, il lui restait cette instruction obtenue à force de
pérégrinations (jawalân) chez différents maîtres, comme c’était d’usage durant
cette époque dans la zone sénégalo-mauritanienne. C’est ce bien précieux qui a
fait de lui un personnage historique important dans la littérature américaine
et dans l’histoire universelle.
Signalons qu’une mosquée à
Fayetteville porte le nom d’Omar Ibn Said et que l’État de Caroline du Nord a
inauguré une enseigne officielle en face de la mosquée, sur laquelle on peut
lire une brève présentation du personnage.
Bibliographie / Webographie
·
Faal Courtney, OMAR IBN SAID (1770-1864), Blackpast, Mars 2009
·
National Humanities Center Resource
Toolbox , The Making of African American Identity: Vol. I, 1500-1865, “Oh
ye Americans”:The Autobiography of Omar ibn Said -an enslaved Muslim in the
United States 1831, 4 pages
·
Ndiaye
Khadim, Retour sur l'autobiographie
traduite en anglais d'un originaire du Fouta au Sénégal vendu comme esclave aux
Etats-Unis, Grioo.com , Octobre 2011
·
Pauron
Michael, Témoignage d’esclave : Omar Ibn
Said, un très subtil libre penseur, Jeune Afrique, Janvier 2012
[1] (Le
Waal0 et le Cayor étaient situés dans
des régions qui n’avaient aucune voie de communication importante vers
l’intérieur. Les esclaves qu’ils vendaient étaient donc soit des prisonniers de
guerre soit, très souvent, leurs propres “concitoyens”. Les souverains du Walo,
du Cayor et du Baol revendiquaient le monopole des relations commerciales avec
les Européens, et ce sont eux qui sont responsables la mise en esclavage de
leurs sujets, soit qu’ils les aient pris eux mêmes, soit qu’ils aient été
incapables de contrôler les esclaves de la couronne (P. Curtin, 1975 : 185)
[2] Traduit de l’anglais “Oh ye
Americans”: The Autobiography Omar ibn Said
[3] Ala Alryyes, professeur à Yale University auteure de “A Muslim American slave, The Life of OMAR IBN SAID”; traduction en
anglais de l’autobiographie rédigée en arabe par Omar Ibn Said. Cette
traduction constitue un événement dans le monde de la recherche universitaire,
car après une première traduction en 1925 faite par Isaac Birds dans l’American
Historical Review, le manuscrit original a été égaré. Il n’a été retrouvé
que 70 ans plus tard, en 1995, dans une vielle malle en Virginie et racheté par
un collectionneur, Derrick Joshua Beard, qui le mit à la disposition des
bibliothèques, musées et universités. Ce Joshua Beard, converti à l’Islam,
s’était rendu en 1998 au Sénégal afin de retracer les origines du célèbre
esclave.
[4]
Traduction de Khadim Ndiaye, philosophe chercheur en histoire au Canada
Très intéressante, l'histoire d'Umar Ibn Saïd. Fier de toi très cher ami, Samba Assane Diagne. Bonne continuation.
RépondreSupprimerCette histoire m'a vraiment touché en tant qu'historien et originaire du Fouta Toro,bonne continuation mon cher Bathie
RépondreSupprimer